la dette de l’île caribéenne à l’Organisation des Nations unies


« Je me joins à vos demandes d’action immédiate », a déclaré vendredi 19 avril l’Autrichien Volker Türk, haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, appuyant la demande de restitution dans un discours prononcé lors de la clôture du PFPAD (Forum permanent des Nations unies pour les personnes d’ascendance africaine), que ce haut-commissariat supervise.

Un peu partout dans la Caraïbe, la question de l’esclavage et des réparations commence à être étudiée, voire traitée, notamment à la Barbade, mais, précise Frantz Duval, du Nouvelliste, du côté haïtien, l’affaire est double, voire triple : « Si l’on additionne ce qui concerne Haïti, la France cumule la dette de l’esclavage, celle du remboursement des indemnités au colon et celle du remboursement des intérêts aux banques. » Et pour Jean-Claude Bruffaerts, coauteur de Haïti-France, les chaînes de la dette. Le rapport Mackau (1825) aux éditions Hémisphères-Nouvelles éditions Maisonneuve et Larose, « Haïti doit attendre d’obtenir la restitution pour ouvrir le débat sur la réparation. Mais les pays occidentaux savent que s’ils lâchent une première ligne (la restitution), la seconde sera attaquée ensuite (la réparation). »

Le sujet de la dette commence à émerger

Pourtant, 2024 voit bouger les choses à l’aube du bicentenaire de la dette, en 2025. L’ancienne Première ministre Michèle Pierre-Louis, présidente de la FOKAL, association subventionnée par George Soros et dont le travail à Port-au-Prince a valeur de poumon socioculturel pour l’île, a déjà écrit sur ce thème.

Impliquée dans la réflexion comme conseillère de la Fondation Mémoire de l’esclavage l’écrivaine Yanick Lahens, depuis Haïti, est très engagée sur le sujet. Monique Clesca, militante de la société civile, a décidé de passer à la vitesse supérieure, forte des demandes d’autres peuples caribéens : « Nous nous sommes dit qu’à l’occasion du 3e sommet du forum des personnes d’ascendance africaine, il fallait ranimer la ferveur pour informer le public haïtien, et pas que. Haïti est membre des Caricom. C’était le bon moment pour lancer une campagne médiatique, et capter l’attention des dirigeants (haïtiens en premier lieu) mais aussi de l’assemblée générale des Nations unies en septembre. La prise de position de Volker Türk nous a déjà aidés, dans le sens où sa voix porte dans les couloirs des Nations unies. »

Yvens Rumbold, qui participe depuis 2022 au Forum permanent, souligne que pour « qu’un organe de l’ONU fasse quelque chose, un État doit en faire la demande. La procédure aurait donc bien plus de chance d’aboutir si l’État haïtien intervenait. Mais l’État haïtien, qui n’était pas présent au forum, ne s’implique pas. La diplomatie française a tout fait pour que, depuis le président Aristide, il n’y ait pas de positionnement fort de l’État sur cette question. L’idéal, c’est une démarche diplomatique avec la France. Nous, que ce soit avec la procédure onusienne ou en portant le dossier devant des instances françaises, faisons tout pour obliger les États haïtien et français à entamer ce dialogue qu’aucun des deux ne souhaite avoir ».

Une prise de conscience

La possibilité d’une réouverture du dossier semble ainsi faible… « Tout dépendra bien entendu de l’arrivée d’un pouvoir légitimé en Haïti, Sinon on aurait beau jeu de dire que si on restitue l’argent, il disparaîtra dans des paradis fiscaux, souligne Jean-Claude Bruffaerts. « Je ne pense pas que les pays occidentaux vont ouvrir la boîte de Pandore. Ils refuseront probablement de parler de dette. La question est plutôt de trouver un modus vivendi, d’accepter une solidarité avec Haïti, qui se traitera de gré à gré plutôt que devant les tribunaux. La France était dans le déni, aujourd’hui elle se demande si on ne peut pas organiser une solidarité internationale avec Haïti, une sorte d’aide au développement qui ne serait pas négociée entre la France et Haïti seulement, mais entre Haïti et plusieurs pays occidentaux. Il y a des gens au Sénat français qui se disent ouverts à cette discussion. »

En témoigne la toute récente question posée par Frédéric Buval, sénateur de Martinique qui, rappelant que « notre pays a depuis plus de deux siècles une dette historique envers ce peuple martyr, dont elle a exigé le paiement d’une indemnité massive de 150 millions de francs or en échange de la reconnaissance de son indépendance. » Et demandant « ce que ce que compte faire la France pour aider à restaurer sans délai la sécurité et répondre aux immenses besoins humanitaires en Haïti. »

Tandis que les États-Unis viennent de contribuer financièrement à l’équipement sur place de l’armée du Kenya venue en renfort pour aider la police locale à se débarrasser des gangs qui font la loi à Port-au-Prince et ailleurs, la France affiche une position de retrait. Sur l’île, la communauté française est de plus en plus réduite « la France n’a pas d’intérêts en Haïti, pas d’entreprises françaises, elle évacue ses ressortissants dans les crises graves. « Reste la langue française ? Combien d’écrivains haïtiens, jusque dans nos prix littéraires la mettent à l’honneur ! « Oui, mais le français est en recul dans la société aussi », observe Frantz Duval du Nouvelliste.

Rembourser, non, mais aider Haïti, oui !

Il en va, au fond, d’une autre dimension que Volker Türk a mise en avant : « Je fais confiance à la France, pays des droits de l’homme, pour qu’elle réalise l’inhumanité de ce qu’elle a fait, restitue la dette et paie des réparations à Haïti. Quand vous regardez l’état d’Haïti et comment le paiement de cette dette a appauvri le pays, demander réparation et restitution est un appel au respect des droits humains, ceux des Haïtiens ».

Voilà la France que défend Jean-Marc Ayrault : être à la hauteur de la France, car la dette est une affaire de symbole. « Il ne s’agit pas de demander à la France de battre sa coulpe, mais plutôt d’être cohérente avec ses idéaux universalistes : il faut faire connaître cette histoire, c’est la première injustice à réparer, car elle est ignorée des Français. Il s’agit de retrouver une vraie fierté française à l’approche de cette date l’an prochain. Avant de parler de réparation, il faut travailler collectivement à voir comment aider Haïti à retrouver la paix civile, la France doit tout faire pour être à l’initiative d’un soutien à un gouvernement efficace et fonctionnel. Il ne s’agit pas de régler des comptes. Mais de prendre sa part car la dette est une affaire française. »

Rétablir une vérité historique, réparer une injustice, voici, a minima, les bases pour préparer l’échéance de 2025 qu’un chauffeur de taxi parisien, natif d’Haïti, commente ainsi dans un sourire : « rembourser Haïti ? Non ! Mais aider le pays à faire des routes, construire des écoles, des hôpitaux… »

Haïti a longtemps été grevée d’une dette importante contractée auprès de la France au XIXsiècle. Cette « dette de l’indépendance » a été imposée par la France en 1825 comme condition à la reconnaissance de l’indépendance d’Haïti. Elle a pesé lourdement sur les finances du pays pendant plus d’un siècle. Cette série propose de revenir sur cette histoire et ses conséquences en trois volets.

Retrouvez les épisodes précédents :

Haïti : l’histoire méconnue de la dette

Haïti : résurgences de la dette


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