La dette haïtienne refait surface au moment du séisme tragique du 12 janvier 2010. Une demande est adressée à Nicolas Sarkozy par un groupe de soutien pour son remboursement immédiat. Le président en visite en Haïti le 17 février 2010 (première visite d’un chef d’État français sur le sol d’Haïti depuis son indépendance) avait concédé que la présence française sur l’île « n’a pas laissé que de bons souvenirs ». « Même si je n’ai pas commencé mon mandat au moment de Charles X, j’en suis quand même responsable au nom de la France », déclare-t-il.
Deux jours plus tard, une tribune signée notamment par Edgar Morin et Étienne Balibar est publiée dans Libération.
En mai 2015, alors qu’il inaugure en Guadeloupe le Mémorial Act, consacré à la mémoire de la traite et de l’esclavage, le président François Hollande rappelle qu’en 1804, Haïti fut la première république noire ayant militairement fait échec au rétablissement de l’esclavage décidé par Napoléon deux ans plus tôt. Et déclare à la surprise générale : « Quand je viendrai en Haïti, j’acquitterai à mon tour la dette que nous avons. » Applaudissements, suivis de désillusion : Hollande ne parlait que de dette « morale »…
Une perte de croissance de 20 milliards d’euros
À la suite des évaluations de l’économiste Thomas Piketty chiffrant la perte de croissance pour Haïti à 20 milliards d’euros, Jean-Marc Ayrault affirme que « pour ce tout petit pays agricole, des traces profondes et structurelles ont été laissées par la dette ». Mais la commission publique chargée en 2003 d’examiner les relations entre les deux pays aurait eu pour instruction, révélera le New York Times, dont une enquête majeure publiée en 2022 dévoile les dessous de la dette, de « ne pas dire un mot allant dans le sens de la restitution ». Frantz Duval directeur de la rédaction du quotidien haïtien Le Nouvelliste témoigne : « Quelques discussions ont bien eu lieu pour savoir comment aider Haïti, notamment au niveau de l’éducation. Le président Martelly a bien fait quelques annonces, mais un accord signé n’a connu que des suites vaporeuses. Et puis plus rien. Jusqu’à l’enquête du New York Times. »
En 2022, cette publication fait l’événement. En explorant des milliers d’archives, les journalistes révèlent que « pendant six décennies, Haïti a envoyé 560 millions de dollars (en dollars actuels) aux descendants des anciens colons et aux banques qui avaient offert le premier prêt. « Si cet argent était resté dans le pays, en deux siècles il aurait augmenté la richesse nationale d’un montant compris entre 21 milliards de dollars à 115 milliards de dollars. » Et cela n’inclut pas les prêts contractés ultérieurement. »
Aujourd’hui, Catherine Porter, l’une des enquêtrices du média américain, que sa proximité avec Haïti avait mise sur la piste de la dette, réagit à l’absence de suites et plus généralement à l’occultation du sujet : « En France, remarque celle qui est correspondante du journal américain, j’ai l’impression que cette histoire d’Haïti n’existe pas, même dans les écoles. Pourtant, l’espace consacré à la mémoire, aux commémorations, aux statues ici et là dans Paris où je vis, est majeur ! Certes, Emmanuel Macron s’est rendu l’an dernier au fort de Joux, où Toussaint Louverture a fini ses jours, mais il n’a pas eu un mot sur l’histoire de la dette. Bien sûr, ce n’est pas une enquête du New York Times qui peut à elle seule changer la donne, mais on remarque que les journalistes désormais s’en font l’écho dans leurs articles. On parle souvent de malédiction sur Haïti, mais plutôt que celle d’un dieu vaudou ou autre, ne faudrait-il pas parler de la malédiction de la dette ? »
Un sujet méconnu
Jean-Claude Bruffaerts, coauteur du livre Haïti-France, les chaînes de la dette. Le rapport Mackau* avec les historiens Marcel Dorigny, Gusti-Klara Gaillard et Jean-Marie Théodat, souligne aussi le silence français. « On a constaté que les gens en France découvraient le sujet à travers le livre que nous avons écrit. La population française est dans l’ignorance, le Quai d’Orsay est dans le déni. La pression vient davantage aujourd’hui de la préoccupation qu’ont les politiques français du regard extérieur. D’autres pays occidentaux avancent en effet sur les questions de restitution. »
Et en Haïti ? Monique Clesca est membre depuis trois ans d’une commission pour la recherche d’une solution à la crise haïtienne, commission qui, en 2021, « a formulé l’accord de Montana, prônant les valeurs démocratiques ». Le groupement Montana est aujourd’hui représenté au gouvernement intérimaire à la tête du pays. « La bataille est médiatique, dit-elle, les articles du New York Times ont déclenché une ferveur autour de cela en Haïti ». Monique Clesca envisage de mener des actions auprès de l’ONU, puisqu’en ce début 2024, c’est de ce côté-là que la question a rebondi. Pour sa part, le président de la Fondation de la Mémoire de l’esclavage Jean-Marc Ayrault a appelé le 10 mai dernier la France « à s’engager dans une démarche de réparation vis-à-vis d’Haïti ».
*Coédition Hémisphères/Maisonneuve et Larose.
Haïti a longtemps été grevée d’une dette importante contractée auprès de la France au XIXe siècle. Cette « dette de l’indépendance » a été imposée par la France en 1825 comme condition à la reconnaissance de l’indépendance d’Haïti. Elle a pesé lourdement sur les finances du pays pendant plus d’un siècle. Cette série propose de revenir sur cette histoire et ses conséquences en trois volets.
Prochain épisode : Haïti : la dette à l’Organisation des nations unies.
Retrouvez l’épisode précédent : Haïti : l’histoire méconnue de la dette.
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