« L’accusation de vol de l’élection pour le perchoir n’est pas recevable »


La réélection de Yaël Braun-Pivet à la présidence de la chambre basse du Parlement a suscité de vives réactions de la part des oppositions, particulièrement du Nouveau Front Populaire et du Rassemblement national. Pour le professeur de droit constitutionnel Dominique Rousseau, les polémiques liées aux accords transpartisans ou à la participation des ministres aux votes n’altèrent pas la validité du scrutin.

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Le Point : Comment qualifier le résultat du scrutin pour la présidence de l’Assemblée nationale ?

Dominique Rousseau : Le résultat est logique dès lors que le Nouveau Front Populaire n’avait pas souhaité élargir ses propositions d’alliances. Ainsi, il était évident qu’il ne pouvait obtenir la majorité. À partir du moment où un groupe n’a pas la majorité, celui-ci est obligé de rechercher des voix supplémentaires de part et d’autre de l’hémicycle pour former une coalition. C’est ce qui s’est passé entre Ensemble ! et la droite. L’accord passé entre les deux groupes était plutôt logique. Ces deux formations politiques ont déjà voté des textes majeurs durant la dernière législature, en particulier sur les retraites et l’immigration. Il est donc assez normal que ces deux groupes se soient alliés lors du scrutin de jeudi. C’est un phénomène qui nous rappelle les alliances entre le RPR et l’UDF jadis. Ensuite, si l’on se place du point de vue de la gauche, cette dernière aurait mieux fait de s’ouvrir un peu plus à d’autres formations pour augmenter ses chances d’installer son candidat au perchoir.

Beaucoup de voix à gauche dénoncent un “vol” de l’élection. Cet argument est-il valable ?

C’est une accusation qui n’est pas recevable. Il n’y a pas eu de vol de l’élection pour le perchoir. La gauche en est la première responsable puisqu’elle s’est refusée à chercher des voix au-delà de son propre bloc. La réélection de Yaël Braun-Pivet s’explique donc également par la stratégie de la gauche qui s’est volontairement isolée. On comprend donc bien que sans majorité, on ne peut gagner. À ce titre, la dénonciation par André Chassaigne de l’alliance “contre nature” du bloc macroniste et de la droite républicaine ne vaut pas. Quand on est minoritaire, il n’est pas anormal d’avoir recours à des alliances. La gauche a renoncé à le faire et n’a donc pu gagner l’élection.

Le résultat peut-il être considéré comme “contraire” à l’issue des dernières législatives, comme l’affirment les membres du RN ?

Il ne faut pas confondre les deux élections. Il faut savoir distinguer les enjeux propres aux législatives, et ceux relatifs à l’élection du président de l’Assemblée nationale. En réalité, le fait de ne pas avoir un président de la chambre basse issu du RN n’est pas contraire à la volonté des Français. Plusieurs études ont montré qu’ils étaient favorables au “front républicain” pour faire barrage au RN. Ils étaient 67 % à affirmer qu’ils étaient contre le Rassemblement national. Le parti a sans doute recueilli le plus de voix sur l’ensemble des électeurs, mais par le barrage républicain il n’a pas transfomé ses voix en sièges. De plus, il faut ajouter que malgré la venue d’Eric Ciotti pour grossir ses rangs, le RN a trop peu d’alliés.

Le bloc de gauche souhaite saisir le Conseil constitutionnel pour invalider l’élection de Yaël Braun-Pivet. Que peut-il espérer ?

C’est une ambition qui n’a aucune chance d’aboutir. Il faut savoir que le Conseil Constitutionnel s’est déjà prononcé en 1986, et s’est déclaré “incompétent” pour rendre des décisions quant à l’élection du président de l’Assemblée nationale. La gauche n’a donc aucun espoir pour inverser le résultat.

17 ministres ont voté pour la réélection de Yaël Braun-Pivet au perchoir de l’Assemblée. Est-ce inédit dans l’histoire de la Ve République ?

Ce phénomène s’est déjà produit en 1967, puis en 1988. La seconde fois, les socialistes n’avaient réussi à obtenir qu’une majorité relative à l’issue des élections législatives. Dans la foulée, François Mitterrand avait acté la démission du gouvernement de Michel Rocard. Au moment d’élire le président de l’Assemblée nationale, les ministres étaient revenus sur les bancs de l’hémicycle pour voter et élire Laurent Fabius au perchoir de la chambre basse. Ce n’est donc pas nouveau. En réalité, les ministres qui deviennent à nouveau députés, comme on le voit aujourd’hui, expédient les affaires courantes mais sans avoir de mandat d’exercice. Ainsi, ils ne peuvent plus déposer de projets de loi comme ils pouvaient le faire avant la dissolution décidée par Emmanuel Macron. C’est un phénomène qui est d’ailleurs inscrit dans la loi et qui est reconnu par le Conseil Constitutionnel. Le fait que l’on s’insurge contre des ministres revenus au Palais Bourbon et qui participent à l’élection du président de l’Assemblée n’a pas de sens.

À LIRE AUSSI Assemblée nationale : après la présidence, l’heure des votes pour les postes clésLa répartition des postes du bureau doit-elle être conforme à la composition de l’hémicycle ?

D’une manière générale, c’est fortement conseillé. Toutefois, il faut rappeler que le règlement de l’Assemblée nationale ne l’oblige pas. Il incite à ce que le bureau respecte la composition des différents groupes parlementaires, ainsi que la parité. Elle doit tendre à une représentation juste des différentes forces. Comme nous l’avons vu le lendemain de l’élection de Yaël Braun-Pivet, il n’y a pas eu d’accord entre les présidents de groupes. En conséquence, le vote par les députés doit décider de la composition du bureau, par un vote à bulletin secret. L’enjeu est, pour chaque formation politique, d’asseoir sa visibilité dans l’institution.

En quoi le résultat de l’élection pour le perchoir de l’Assemblée peut influencer le choix du futur Premier ministre ?

Le lien entre l’élection de la présidente de l’Assemblée nationale et la nomination du Premier ministre est beaucoup plus politique qu’institutionnelle. Dans le contexte actuel, la réélection de Yaël Braun-Pivet envoie un signal à la gauche. Si la gauche maintient sa stratégie actuelle de refus d’aller vers des alliances au-delà de son périmètre, elle ne pourra prétendre à former un gouvernement de coalition. En revanche, les résultats de l’élection de Yaël Braun-Pivet lui font prendre conscience qu’elle doit adapter sa stratégie à la situation parlementaire et s’ouvrir à l’aile gauche de la macronie, elle peut encore espérer gouverner. Aucune règle n’oblige à ce que le président de l’Assemblée national et le Premier ministre soient de la même couleur politique même si, évidemment, dans la pratique, c’est plus simple lorsqu’ils sont du même bord.


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