Le président du Centre national du cinéma est accusé d’avoir abusé sexuellement de son filleul, de 29 ans son cadet, lors d’une soirée d’été «traumatisante» pour le jeune homme. S’il reconnaît des «baisers consentis», Dominique Boutonnat nie toute agression sexuelle.
C’est dans le cadre idyllique d’une île grecque des Cyclades, au cours d’une chaude soirée d’été, que s’est nouée l’affaire qui a fait basculer la vie de Dominique Boutonnat, 54 ans, et de son filleul, Alexandre*, alors âgé de 21 ans, en août 2020. Une nuit sur laquelle les versions divergent, mais qui a valu au patron du Centre national du cinéma (CNC) d’être visé par une plainte le 7 octobre 2020. Après de longues investigations, il est jugé ce vendredi devant le tribunal judiciaire de Nanterre pour «agression sexuelle».
Cet été là, Alexandre et ses parents rejoignent leur ami de toujours Dominique Boutonnat, et son épouse, dans sa maison sur l’île de Kéa, en Grèce. Depuis trois décennies, les vies de ces deux familles s’entremêlent au gré de dîners chez les uns et les autres et de vacances communes. La mère d’Alexandre fait de Dominique Boutonnat – qu’elle considère «comme son frère» – le témoin de son mariage puis le parrain de son fils.
L’emprise d’un «second père»
En grandissant, le garçon développe une admiration sans borne pour le producteur de cinéma qui l’emmène voir des films, explorer les musées et l’aide à trouver des stages pour lancer sa carrière. C’est un «second père» pour le jeune homme qui a une «confiance absolue» en lui, surtout après le soutien que Dominique Boutonnat lui a apporté quand il a révélé son homosexualité à sa famille.
Le 3 août 2020, le petit groupe partage un dîner bien arrosé au restaurant avant de retourner à la villa des Boutonnat. Chacun rejoint sa chambre, sauf Alexandre et Dominique qui prolongent la soirée au bord de la piscine. Dans ses déclarations devant les enquêteurs, Alexandre raconte que son parrain le pousse à s’enivrer en lui servant de plus en plus de verres et lui propose un bain de minuit. Les deux hommes se dénudent et plongent dans l’eau.
À la lueur des premiers rayons du soleil, Alexandre sort de la piscine, enroule une serviette autour de sa taille et s’attarde sur la beauté du paysage. Alors, l’étoffe glisse de ses hanches, le laissant nu sous les yeux de son parrain qui le prend en photo puis s’approche et l’enlace. Pour le reste, les deux hommes – dont les avocats n’ont pas souhaité réagir – livrent des versions radicalement différentes. Selon son récit, Alexandre part se coucher, gêné par cette étreinte équivoque. Alors qu’il est allongé nu dans son lit, Dominique Boutonnat se glisse sous les draps et se presse contre lui. Le souffle du quinquagénaire s’intensifie tandis qu’il se frotte contre lui et tente de l’embrasser. L’homme est désormais nu.
Une attitude qui surprend et tétanise son filleul. Redoutant une pénétration sexuelle, il se soumet à une masturbation forcée pensant ainsi mettre fin aux ardeurs de son parrain. Ce dernier tente de lui imposer une fellation mais Alexandre parvient à se dégager de son emprise prétextant avoir envie de dormir. Devant le juge d’instruction, il dira regretter ne pas avoir réussi à tenir tête à celui qui exerçait sur lui, d’après ses dires, une forme d’emprise.
Le «gouffre» entre les deux versions
En garde à vue, le patron du CNC réfute ce déroulé des faits qu’il juge «complètement faux». S’il reconnaît avoir échangé des «baisers consentis» avec son filleul au bord de la piscine, il soutient qu’Alexandre l’a entraîné dans sa chambre qu’il a fermée à clé avant de lui demander de l’embrasser pour lui dire bonne nuit. Selon sa version, c’est Alexandre qui s’est ensuite blotti contre lui et s’est mis à le caresser en lui chuchotant qu’il ne «pouvait rien contre l’attirance des corps». Dominique Boutonnat aurait alors mis un terme à leur rapprochement.
« Il y a quelque chose de bizarre qui s’est passé qui est lié à ta sexualité et moi j’ai beaucoup d’amour pour toi. Ça s’est concrétisé comme ça parce qu’on était complètement ivres. »
Dominique Boutonnat à son filleul.
Quelques jours plus tard, après avoir quitté l’île de Kéa, Alexandre appelle son parrain pour lui faire part de sa souffrance et du traumatisme provoqué par cette soirée. Dans cet échange enregistré par le plaignant, Boutonnat se retranche derrière l’alcool et l’orientation sexuelle du jeune homme : «On avait beaucoup bu, on est proches et … Il y a quelque chose de bizarre qui s’est passé qui est lié à ta sexualité et moi j’ai beaucoup d’amour pour toi. Ça s’est concrétisé comme ça parce qu’on était complètement ivres.» Dans une succession de messages, le quinquagénaire semble minimiser les faits tout en insistant pour que son filleul garde le silence sur cette nuit car personne n’est en mesure de comprendre la forte relation qui les unit, avance-t-il.
Traumatisé, Alexandre cherche du réconfort auprès de ses parents et leur confie ce qu’il a subi. Quand ces derniers décident de couper les ponts avec leur vieil ami, Boutonnat amorce sa défense auprès de leur entourage en affirmant qu’Alexandre a développé des sentiments amoureux à son égard qui ont pu contribuer à une mauvaise interprétation de cette soirée.
Le souvenir de ce huis clos impénétrable, dans lequel s’oppose la parole de l’un contre celle de l’autre, provoque chez Alexandre des vomissements qui lui font perdre près de 10 kilos en trois semaines. Il développe des troubles anxieux et des symptômes post-traumatiques, selon le psychiatre qui l’expertise. «Le gouffre entre la réalité d’Alexandre et celle du mis en cause, ainsi que le retournement de la faute vers lui, a ouvert la nécessité d’y faire barrage en déposant plainte» en octobre 2020, remarque-t-il.
Si Dominique Boutonnat continue de nier l’abus dénoncé par son filleul, le juge d’instruction retient, au terme d’un an et demi d’investigations, «l’ascendant exercé» par le patron du CNC sur son filleul. Dans ses conclusions, le magistrat estime que la nuit du 3 août 2020 «s’analyse comme une volonté de séduction désinhibée par les effets de l’alcool» de la part de Dominique Boutonnat sur son cadet, dont il connaissait «l’inexpérience en matière sexuelle et l’orientation homosexuelle». À cela s’ajoute une «relation d’admiration réciproque quasi filiale concernant la partie civile, ce qui constitue l’élément de contrainte nécessaire à la caractérisation de l’infraction d’agression sexuelle».
Appels à la démission du CNC
Malgré sa mise en examen en février 2021, Dominique Boutonnat a été reconduit par l’exécutif à son poste à la tête du CNC en juillet 2022. Une décision qui a provoqué un tollé dans le milieu du cinéma, avec de nombreux appels à la démission. «À l’heure où il nous faut collectivement améliorer les outils pour lutter contre les violences et les harcèlements sexistes et sexuels (…), comment se faire entendre quand, à la tête du principal organisme du secteur, se trouve une personne elle-même mise en examen pour agression sexuelle?», interrogeait en octobre 2022 la CGT-spectacle.
En tant que président du CNC, l’ancien producteur de cinéma est chargé d’accorder des subventions aux productions françaises, mais aussi d’organiser la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Des formations obligatoires ont notamment été mises en place pour les entreprises du secteur et sont même devenues une condition pour toucher des aides publiques. Or, les producteurs se rendent au CNC «en rigolant parce qu’ils se disent “c’est drôle, je vais aller faire une formation contre les violences sexuelles à l’intérieur d’une institution dont le président est lui-même accusé de violences sexuelles”», a déploré l’actrice Judith Godrèche lors d’une audition au Sénat en février.
Pour les faits qui lui sont reprochés, Dominique Boutonnat encourt jusqu’à cinq ans de prison.
*La victime souhaitant garder l’anonymat, son prénom a été modifié.
Crédit: Lien source
Les commentaires sont fermés.