Exportation pétrolière au Niger : le pays peut-il construire un nouveau pipeline vers le Tchad pour contourner le Bénin ?
- Author, Armand Mouko Boudombo
- Role, Journaliste -BBC Afrique
- Twitter,
- Reporting from Dakar
Ces dernières semaines, Niamey affiche clairement son intention de lancer la construction d’un nouvel oléoduc qui reliera ses champs pétroliers à ceux du Tchad, mais le pays a-t-il les moyens de le faire ?
L’ambition est claire, à en croire les derniers pourparlers, tenus au début de la seconde décade du mois de juillet, entre les autorités tchadiennes et celles du Niger, lors d’une visite de la ministre tchadienne du pétrole, des mines et de la géologie, à Niamey.
Les deux pays veulent « concrétiser dans les délais raisonnables » la réalisation de cette infrastructure. Une visite en terre nigérienne qui a suivi un accord donné par la partie tchadienne fin mai, en Conseil des ministres.
Ce pipeline devrait relier les champs pétroliers d’Agadem, dans le nord-est du Niger, à ceux de Doba, dans le sud du Tchad, sur une distance de 985 kilomètres, pour transporter le pétrole qui sera injecté dans une infrastructure déjà existante depuis 2003, qui va jusqu’à Komè, dans le sud du Cameroun, et longue de 1070 kilomètres.
Ce détour est envisagé pour contourner les tensions diplomatiques qui règnent désormais entre le Niger et le Bénin, et dont une médiation est en cours, dans le but de rapprocher Niamey et Porto-Novo.
Le Niger a achevé en mars 2024 la construction d’un oléoduc long de près de 2000 kilomètres, pour lui permettre d’exporter son pétrole via le port de Cotonou. La brouille diplomatique de ces derniers mois entre les deux pays ne permet pas à l’infrastructure d’entrer véritablement en fonction, au point où Niamey envisage de l’abandonner pour en construire une autre.
Défis sécuritaires
Ce retournement de situation fait renaître une vieille ambition de Niamey, de faire transiter son pétrole par le Tchad, avant de l’acheminer dans le sud du Cameroun. C’était d’ailleurs l’idée de départ pour les Autorités de Niamey.
Même si, pour le moment, aucun élément ne filtre ni sur le coût, ni sur le niveau de financement, encore moins sur le niveau de maturation de ce projet. « Nous ne communiquons pas dessus », dit-on au ministère nigérien du pétrole.
Côté tchadien, on assure que « des dispositions institutionnelles ont déjà été prises pour non seulement mener à maturité, mais aussi à une réalisation optimale de ce projet novateur », avec une implication des plus hautes autorités du pays.
Ce que l’on peut néanmoins dire en prenant compte de certains paramètres, c’est que le projet devrait être difficilement tenable par Niamey.
La sécurité reste un véritable enjeu. Si la zone d’Agadem, encore sous la menace de groupes armés, où sont situés les champs pétroliers, bénéficie d’une forte présence militaire (700 officiellement) pour la protection de l’infrastructure principale, ces forces restent insuffisantes pour sécuriser l’entièreté du pipeline existant, qui continue à subir des sabotages de groupes armés.
La tâche deviendrait plus complexe si jamais les travaux de construction du nouvel oléoduc démarraient, sur le flanc est du pays, situé non loin de la frontière nord du Nigéria, une zone connue pour vivre régulièrement des attaques de groupes armés, appelés bandits dans le nord du Nigeria.
La virulence de Boko Haram avait été la principale cause de l’abandon du premier tracé de cette infrastructure qui devait diriger le pétrole nigérien vers le Tchad.
Niamey avait jugé le tracé partant d’Agadem à Seme-Kpodji « moins exposé » que celui allant au Tchad.
Aujourd’hui, « la situation sécuritaire reste la même dans le premier tracé », estime Seidik Abba, spécialiste des questions sécuritaires dans le Sahel.
L’auteur de Voyage au cœur de Boko Haram estime que ce groupe djihadiste a repris des forces des derniers mois, rejoignant une analyse d’International Crisis Group dans son dernier rapport sur la région, rendu public en mars dernier.
Le groupe reste donc très actif dans l’État de Borno dans le Nord du Nigéria, frontalier à la région de Diffa où sont situés les champs d’Agadem et bordant le lac Tchad. Il pourrait perturber les travaux, si ceux-ci venaient à démarrer, sans efforts supplémentaires de sécurisation.
Le Niger peut-il construire l’oléoduc sur fonds propres ?
Le projet d’oléoduc passant par le Tchad a néanmoins l’avantage d’être beaucoup plus court que celui reliant le sud-est du Niger au sud du Bénin.
Pour le moment, les autorités n’avancent pas de chiffres quant au coût de la construction de cette infrastructure. On sait tout de même que lorsque ce projet était encore à l’ordre du jour, avant qu’il ne soit définitivement orienté vers Seme-Kpodji, Niamey planchait sur un montant d’à peu près 4 milliards de dollars.
Environ 2 milliards de dollars, soit quelque 1200 milliards de francs CFA devaient être consacrés à la construction de l’oléoduc, et 2,5 milliards de dollars dans les infrastructures de surface, expliquait l’ex-ministre du pétrole, Foumakoye Gado à la presse nigérienne. Soit un total de 2700 milliards de francs CFA, en tenant compte du taux de conversion actuel du dollar.
Le premier défi sera d’abord de trouver un financier pour le projet. Celui reliant Agadem à Seme-Kpodji avait été financé par la Chine, à hauteur de 2.400 milliards. Il faut donc trouver à peu près la moitié de ce montant pour construire un nouveau pipeline en direction du Tchad.
À l’heure qu’il est, les autorités n’ont pas encore dit si elles comptent construire l’infrastructure sur fonds propres, si elles comptent la financer par l’endettement ou le faire en partenariat public privé.
Selon les institutions internationales, notamment la Banque Mondiale et le FMI, le Niger a pour le moment un taux d’endettement soutenable. Ces dernières années, le pays a su réduire son taux, en le ramenant en deçà de 50 % de son PIB.
Le pétrole est son principal levier de croissance, et devrait lui permettre d’atteindre un taux à deux chiffres cette année, si l’on intègre les recettes liées à la vente de l’or noir. Mais, depuis le début de cette année, la vente des produits pétroliers, notamment adossée sur l’entrée en service du pipeline Niger-Bénin, reste timide, du fait de la crise diplomatique entre les deux pays.
Ce qui devrait creuser le déficit budgétaire de cette année, prévu à 34 %. Cela élimine d’office l’hypothèse d’un financement du projet sur fonds propres, dans la mesure où le pays ne dispose pas d’assez de fonds sur les caisses.
Recourir à l’endettement ?
C’est la deuxième option qui s’offre à Niamey. À défaut de recourir à ses fonds propres issus des prévisions de développement, le pays doit pouvoir lever des fonds chez des partenaires bilatéraux ou multilatéraux pour réussir à construire l’infrastructure.
Même là, l’horizon semble sombre. Le pays vient de bénéficier d’un financement du Fonds Monétaire International, d’un montant de 42 milliards de francs CFA, avec pour principal objectif le financement de la transition écologique et la stabilité macroéconomique du pays.
En lui apportant cette aide financière, le FMI a déclaré que le Niger a été très affecté par l’instabilité politique et les sanctions consécutives au coup d’État de juillet 2023.
Tout en reconnaissant que les perspectives à court et moyen terme se sont améliorées après la levée des sanctions de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest, le FMI a encouragé les autorités nigériennes à ‘’poursuivre une politique d’endettement prudente et à chercher des financements concessionnels compte tenu du resserrement des conditions de financement’’.
On se souvient qu’en avril dernier, Niamey avait signé un accord avec la China National Petroleum Corporation, CNPC, la société chinoise qui gère son pétrole, avec un acompte de 400 millions de dollars, soit quelque 240 milliards de francs CFA.
L’entreprise chinoise doit se faire rembourser sur les ventes du pétrole nigérien, notamment celui issu du pipeline Niger-Bénin, moyennant un taux d’intérêt de 7 % que les experts trouvent assez élevé.
L’année dernière, le pays a eu des difficultés de trésorerie suite au coup d’État, allant jusqu’à accumuler quelques 500 millions de dollars (500 milliards de francs CFA) de retard de payement à ses créanciers.
Les autorités ont dû recourir à un emprunt jugé risqué par les experts, sur le marché régional, pour tenter de faire face à ses charges et d’éponger sa dette.
Le pipeline Tchad-Cameroun peut-il supporter le flux ?
Les premiers bateaux du pétrole issu des champs d’Agadem ont été acheminés au Bénin début mai dernier, avant l’éclatement d’une crise diplomatique entre les deux pays, qui ont poussé Niamey à refermer les vannes de l’Oléoduc.
Outre le péril que cette fermeture fait courir sur les 390 milliards de recettes attendues par les autorités cette année, le Niger pourrait également se retrouver débiteur de son partenaire, la CNPC, qui attend quelques 16,8 milliards de francs CFA d’intérêts sur son acompte sur la vente du pétrole, si aucune solution diplomatique n’est trouvée avec le Niger.
Les champs d’Agadem devraient produire quelque 90 mille barils par jour depuis leur mise en service en mai dernier, pour progressivement se situer à 200 mille barils par jour en 2026.
Ce flux devrait être connecté à celui des champs pétroliers de Doba au Tchad, qui lui achemine le brut tchadien sur les champs de Komè à Kribi dans le sud du Cameroun.
L’infrastructure livrée en 2003 a une capacité de 225 mille barils jour. Ces dernières années, la production tchadienne connaît une baisse remarquable. Ces deux dernières années, les champs de Komè ont produit une moyenne de 140 mille barils par jour.
Si on associe ce flux aux 90 mille barils que le Niger destine quotidiennement au marché international et qui devraient quitter le circuit du Niger pour celui du Cameroun, on observe que la capacité du pipeline Tchad-Cameroun arrive à saturation.
Ceci ne prend pas en compte l’augmentation de la production du brut nigérien dans les champs d’Agadem, qui devraient plus que doubler d’ici deux ans.
Crédit: Lien source
Les commentaires sont fermés.