(Nairobi) – Les autorités du Burkina Faso devraient ouvrir de toute urgence une enquête impartiale sur une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux qui montre des soldats de l’armée burkinabè mutilant et éventrant un cadavre, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Toutes les personnes jugées responsables d’actes répréhensibles devraient être poursuivies, quel que soit leur rang.
La vidéo, qui a été diffusée sur les réseaux sociaux à la fin du mois de juillet 2024, montre au moins 18 hommes vêtus d’uniformes de l’armée identifiables, dont deux utilisent des couteaux pour éventrer un corps décapité et démembré. Dans une déclaration datée du 24 juillet, le chef d’état-major de l’armée burkinabè, le major-colonel Célestin Simporé, a condamné « ces agissements macabres aux antipodes des valeurs militaires et morales ». Il a indiqué que « des dispositions [ont été] prises » pour identifier le lieu où ont été tournées ces images ainsi que les responsables, sans toutefois annoncer l’ouverture d’une enquête criminelle.
« Cette vidéo épouvantable où l’on voit des soldats mutiler un corps témoigne de l’absence généralisée d’obligation de rendre des comptes pour les atrocités commises par des unités militaires au Burkina Faso ces dernières années » a expliqué Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « Les autorités militaires burkinabè devraient immédiatement ouvrir une enquête transparente et impartiale sur cet incident sordide et sanctionner de manière appropriée les responsables. »
Human Rights Watch a examiné la vidéo de 81 secondes, s’est entretenu avec cinq personnes ayant connaissance de l’incident et a reçu l’expertise d’un médecin spécialisé en médecine légale. Des experts en criminalistique des médias ont également analysé le fichier vidéo.
La vidéo montre un homme en uniforme militaire avec un drapeau du Burkina Faso visible sur l’épaule gauche se penchant sur le corps mutilé au sol. Une tête décapitée est visible au sol à proximité, à côté d’un deuxième cadavre. L’homme en uniforme plonge un couteau dans une zone située juste en dessous du sternum et commence à découper la chaire. Il plonge ensuite son bras dans la cavité et semble essayer de retirer des parties du corps, sans succès.
Un autre homme en uniforme de l’armée, qui utilise ce qui semble être une petite épée, fait des entailles dans le corps, frappant le sternum à 24 reprises, jusqu’à ouvrir le thorax du cadavre. Le premier homme prend alors son couteau et découpe ce qui semble être un organe du corps. Il se lève, l’organe dans les mains, tandis que les autres soldats se rassemblent autour de lui. Certains exclament en français « La patrie ou la mort ! » – un slogan associé au défunt leader révolutionnaire burkinabè, Thomas Sankara, dans les années 1980 et adopté par la junte actuelle.
Quatre des hommes portent les couleurs du drapeau national du Burkina Faso sur le revers gauche de leurs vestes militaires ou de leur t-shirts, ce qui correspond à l’uniforme militaire burkinabé. On peut entendre les hommes en uniforme dire en français qu’ils sont membres du Bataillon d’Intervention Rapide 15 (BIR-15), une force spéciale impliquée dans des opérations de contre-insurrection contre les groupes armés islamistes, et de l’unité militaire « Cobra 2 », une force d’élite associée au président du Burkina Faso, Ibrahim Traoré.
Beaucoup des hommes visibles sur la vidéo portent des fusils d’assaut militaires de type Kalashnikov et sont vêtus de gilets tactiques de protection. Trois d’entre eux portent des casques militaires. Leur équipement est similaire à celui observé dans une vidéo publiée sur YouTube en décembre 2023 par la télévision d’État burkinabè pour annoncer la création de nouveaux Bataillons d’Intervention Rapide (BIR). L’homme qui semble enlever l’organe est armé d’un pistolet.
En novembre 2022, le président Ibrahim Traoré a créé six bataillons d’intervention rapide pour soutenir les opérations militaires contre les groupes armés islamistes. Le nombre de ces forces spéciales a depuis été multiplié par quatre, pour atteindre au moins 25 BIR. Le BIR-15 a été créé par décret présidentiel le 25 octobre 2023. Deux jours plus tard, le président Ibrahim Traoré a nommé le capitaine Paul Belem au poste de commandant du bataillon.
Selon des médias burkinabè, le BIR-15 est stationné à Gaoua, dans la région du Sud-Ouest, ce qui suggère que la vidéo a pu être filmée dans cette région, ou dans les régions voisines, qui ont toutes été touchées par le conflit. Deux sources, dont une proche de l’armée, ont indiqué à Human Rights Watch que la vidéo a été filmée entre avril et mai près de Nouna, dans la région de la Boucle du Mouhoun.
Human Rights Watch n’a pas pu identifier de manière indépendante où et quand la vidéo a été filmée, mais les langues entendues dans la vidéo – le français, le mooré et le bobo – et les uniformes militaires portés par le groupe impliqué suggèrent que c’était au Burkina Faso. Human Rights Watch n’a trouvé aucune version de la vidéo disponible en ligne avant le 23 juillet 2024. Des experts en criminalistique des médias et en génération et manipulation de l’intelligence artificielle membres de la Deepfakes Rapid Response Force, une initiative de l’organisation WITNESS, ont analysé le fichier vidéo et ont conclu qu’il n’y avait aucune preuve significative de manipulation par intelligence artificielle.
Dans sa déclaration, le chef de l’armée a déclaré que les hommes de la vidéo étaient « des personnes supposées appartenir aux Forces de Défense et de Sécurité (FDS) et aux Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP) ». Ces derniers sont des auxiliaires civils, mobilisés pour la première fois en 2020, qui accompagnent les soldats pendant leurs opérations. Depuis qu’il a pris le pouvoir lors d’un coup d’État en septembre 2022, le président Ibrahim Traoré a augmenté le recours aux VDP, et en octobre 2022, il a lancé une campagne pour recruter 50 000 VDP supplémentaires. Les uniformes et l’équipement des hommes dans la vidéo semblent confirmer l’implication des Forces de Défense et de Sécurité, a déclaré Human Rights Watch.
Dans le conflit armé au Burkina Faso, les forces de sécurité gouvernementales ainsi que les groupes armés islamistes ont commis de nombreuses atrocités en toute impunité, alimentant des cycles d’abus et de représailles. Human Rights Watch a précédemment documenté de graves violations des droits humains commises par des soldats des BIR et des membres des VDP, notamment le massacre d’au moins 156 personnes, dont 45 enfants, dans le village de Karma, dans la province du Yatenga, en avril 2023. Les soldats des BIR ont aussi été impliqués dans l’exécution sommaire d’au moins 223 personnes, dont 56 enfants, dans les villages de Soro et Nondin en février.
Les forces gouvernementales du Burkina Faso luttent contre les forces du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Jama’at Nusrat al-Islam wa al-Muslimeen, JNIM) lié à Al-Qaïda et contre l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) depuis que les groupes armés sont entrés dans le pays depuis le Mali en 2016. Ces groupes contrôlent de vastes étendues de territoire dans le pays, ils attaquent les civils ainsi que les forces de sécurité du gouvernement et combattent également l’un contre l’autre. Le conflit a tué des milliers de personnes depuis 2016 selon l’Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED), un projet de collecte de données désagrégées, d’analyse et de cartographie des crises, et a contraint plus de 2 millions de personnes à quitter leurs foyers.
Le droit international coutumier applicable au conflit au Burkina Faso interdit la « mutilation des cadavres ». Les mutilations corporelles commises dans le cadre de conflits armés non internationaux constituent le crime de guerre « d’atteinte à la dignité de la personne » selon le statut de Rome de la Cour pénale internationale, auquel le Burkina Faso est partie. En vertu du droit international relatif aux droits humains, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a indiqué que le traitement irrespectueux des dépouilles humaines peut constituer un traitement cruel, inhumain ou dégradant à l’égard de la famille du défunt.
« Les autorités burkinabè devraient contrôler les unités militaires et les auxiliaires civils commettant des abus et ouvrir des enquêtes complètes sur ceux impliqués dans la commission d’abus ainsi que les traduire en justice », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Les gouvernements concernés devraient exhorter la junte militaire à mettre un terme aux atrocités telles que celles montrées dans la vidéo.»
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