à quand la sortie de crise ?


Après les sévères sanctions infligées au Niger par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), à la suite du coup d’État de la junte qui s’est emparée du pouvoir le 26 juillet 2023, le Togo s’est presque immédiatement proposé d’offrir à ce pays de l’hinterland son espace maritime afin de lui faciliter le commerce et le transit de ses marchandises. Une nouvelle donne qui offre aux hommes d’affaires nigériens des avantages, tant sur le plan économique que sécuritaire.

Pour les dirigeants togolais, régulièrement sollicités pour jouer les médiateurs dans la région, l’objectif est double : permettre à Niamey de sortir de l’isolement géographique et devenir un hub logistique sous-régional incontournable pour les pays enclavés du Sahel. « La République sœur du Togo a déjà beaucoup fait et nous l’en remercions. Grâce au Togo, depuis le 26 juillet, la population nigérienne continue à être approvisionnée », avait déclaré à Lomé le colonel-major Salissou Mahaman Salissou, ministre des Transports et de l’Équipement du Niger, au sortir d’une rencontre, en mai dernier, avec le ministre togolais de l’Économie maritime, Edem Kokou Tengue.

Ce rapprochement entre Lomé et Niamey intervient également dans un contexte de crispation diplomatique entre le Bénin et le Niger, alors qu’une délégation nigérienne est arrivée à Cotonou mercredi 24 juillet pour rencontrer le président béninois Patrice Talon. Tout l’enjeu pour les pustchistes, qui continuent d’accuser le pays voisin d’abriter des bases militaires françaises et de former des terroristes, est de trouver des alternatives rapides et crédibles pour contourner le port de Cotonou. Le chef de l’État du Bénin a beau démentir, rien y fait, pour l’instant, le Niger maintient sa frontière fermée « pour des raisons de sécurité » et a coupé les vannes de l’oléoduc censé acheminer le pétrole d’Agadem vers le Bénin. Ce pétrole est essentiel pour les économies des deux pays. 20 à 30 % de ces ressources qui transitent par le port de Cotonou sont des produits destinés au Niger.

Fin juin, les deux anciens chefs d’État du Bénin, Nicéphore Soglo et Thomas Boni Yayi, s’étaient rendus à Niamey pour y rencontrer le général Abdourahmane Tiani pour trouver des pistes de solutions.

Pour le Bénin : faire respirer l’économie locale

Et en effet, un début de réponse semble avoir été trouvé du côté du poste-frontière de Segbana, à une centaine de kilomètres à l’est de la localité béninoise de Kandi. Ce nouveau corridor offre une meilleure option aux transporteurs nigériens, qui peuvent désormais choisir de traverser une courte distance depuis le port de Cotonou jusqu’à Kebbi, puis jusqu’au Niger, ou de parcourir une plus longue distance depuis le port de Lomé, traverser tout le Burkina avant de rejoindre le Niger. Auparavant, de nombreux transporteurs étaient obligés de parcourir Cotonou-Malanville pour rentrer au Niger. « Le Nigeria et le Bénin sont une même famille d’une même maison », a déclaré Yusuf Maitama Tuggar, ministre nigérian des Affaires étrangères au terme des travaux. De son côté, le ministre des Finances chargé de la coopération du Bénin, Romuald Wadagni, a estimé qu’il s’agit d’« un moment historique dans la concrétisation de la vision des chefs d’État des deux pays ». Le gouverneur de l’État de Kebbi a salué l’engagement et la détermination des agents des douanes du Bénin et du Nigeria qui ont la pertinence de l’initiative et ont travaillé pour la concrétisation de l’idée. « Je réaffirme l’engagement de l’État de Kebbi à favoriser des interactions économiques et sociales bénéfiques avec la République du Bénin. Ensemble, nous continuerons de travailler à la prospérité et au bien-être de nos communautés et résidents frontaliers », a conclu Nasir Idris. Selon l’honorable Issa Salifou Saley, député au Parlement béninois, « ce que certains ne savent pas, c’est que, par le passé, sur 1 000 camions de marchandises qui vont au Niger, 990 retournent pour aller au Nigeria. La plupart de ces marchandises appartiennent aux Nigérians. Aujourd’hui, c’est grâce à ce nouveau corridor du nord-Bénin qui s’ouvre sur le Nigeria que le port de Cotonou va tourner à plein régime. Nous saluons vraiment le dynamisme du président Patrice Talon, de ses ministres des Affaires étrangères et des Finances », a-t-il fait savoir. « Avant, nous n’avions que la traversée fluviale pour faire passer nos marchandises vers le Niger. C’était non officiel, mais nous n’avions pas de choix. C’est une bonne décision que viennent de prendre le Bénin et le Nigeria. Nous ne pouvons que saluer cet engagement », a réagi Moutala Adamou, responsable d’une Société de transit et de transport basée à Cotonou.

Pour le Niger : trouver d’autres alternatives

Depuis le coup d’État du 26 juillet 2023 contre le président Mohamed Bazoum, les relations sont tendues entre le Niger et le Bénin. « Nous avons souverainement décidé de garder notre frontière fermée avec le Bénin pour la bonne et simple raison que nos anciens amis, que sont les Français, sont revenus sur le territoire béninois après leur départ du Niger », avait déclaré le Premier ministre Ali Mahamane Lamine Zene lors d’un point de presse diffusé à la télévision publique. Malgré les efforts de Cotonou pour ramener Niamey à raison, les militaires au pouvoir au Niger ont continué le bras de fer en maintenant leur position. Face au durcissement du ton des autorités béninoises, leurs homologues nigériens ont choisi de faire transiter les marchandises en destination de Niamey par le Togo. Et pour cause, le pouvoir de Lomé entretient de bonnes relations avec les juntes au pouvoir dans les trois pays de L’alliance des États du Sahel constituée par le Burkina Faso, le Mali et le Niger. En visite récente dans la capitale togolaise, une délégation nigérienne de haut niveau a en effet posé les jalons d’un partenariat renforcé avec le Port autonome de Lomé. Un rapprochement qui devrait booster les échanges maritimes entre les deux pays.

« Cette initiative prise par le gouvernement togolais est salutaire. Elle est louable. Elle va rejaillir sur toute la chaîne. Plus nous payons cher la surestarie, plus le consommateur final paie cher nos produits. En somme, la décision n’avantage pas que les opérateurs économiques nigériens, mais toute la République du Niger », affirme Abdel-Aziz Moussa, homme d’affaires nigérien. « C’est une décision très louable de la part des autorités togolaises. Ça fait plus de 20 ans que nos marchandises passent par le port de Lomé. Maintenant, on sent vraiment que les autorités togolaises sont avec nous. Qu’ils veulent nous aider. Nous les remercions », renchérit Sani Boubacar, un autre entrepreneur.

Selon le ministre togolais de l’Économie maritime, il s’agit de faire en sorte que les échanges commerciaux entre les deux pays soient à l’échelle de l’économie, le plus fluide possible, et permettent un approvisionnement du marché nigérien ainsi que les exportations ou l’écoulement des produits fabriqués au Niger. « Le fait de prolonger la franchise à 40 jours arrange tout le monde », explique Ibrahim Sawadogo, transporteur burkinabé. « Dès fois, nos titans tombent en panne lors du transport des marchandises et nous dépassons la durée de la franchise. Ça pose de graves problèmes entre les sociétés de transit, les clients et nous qui sommes des transporteurs à cause des frais de la surestarie. Je crois qu’avec les 40 jours, nous pourrons désormais faire le trajet aller-retour, quoi qu’il arrive », a-t-il ajouté.

« Nous nous sommes engagés à prendre des dispositions idoines pour ce qui nous concerne, notamment pour ce qui est du côté sécuritaire, afin de nous assurer que les conditions sécuritaires permettent la fluidité du trafic pour les camions transportant des marchandises. Pour ce qui est du poste frontalier juxtaposé de Cinkassé, des dispositions vont être prises pour pouvoir agencer les horaires de travail pour assurer une meilleure fluidité », a confié au Point Afrique le ministre des Transports nigérien lors de sa visite au Togo.

Le choix du Togo est un enjeu de taille quand on sait que le Niger figure déjà au 9e rang des importateurs depuis les infrastructures portuaires togolaises. D’ailleurs, les autorités nigériennes ont précisé fin mai qu’elles pourront aussi se tourner vers le Cameroun pour sortir durablement de l’isolement.


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