Le socialiste Dominique Potier a été réélu le 7 juillet dernier député de la 5e circonscription de Meurthe-et-Moselle, un siège qu’il occupe depuis 2012. L’ancien agriculteur bio – mais toujours associé de son exploitation – est très engagé comme parlementaire en faveur de l’agroécologie.
Il a, entre autres, été le rapporteur de la mission d’enquête sur l’échec des plans successifs de réduction de l’usage des produits phytosanitaires. S’il a refusé de faire campagne avec l’étiquette du Nouveau Front populaire (NFP), il en partage l’esprit.
Comme d’autres, il appelle la gauche, dont la majorité est (très) relative, à construire un accord de gouvernement. Afin d’éviter de devoir attendre 2027 pour espérer voir progresser la cause de l’agriculture et de l’écologie.
Quel bilan dressez-vous des mesures prises par le gouvernement en faveur du monde agricole, entre les mouvements de janvier et la dissolution de juin ?
Dominique Potier : Comme je l’ai écrit dans une note de la Fondation Jean-Jaurès qui liste les angles morts des réponses politiques à la crise agricole, il faudrait le talent d’un politologue aguerri pour décrypter par quels méandres un mouvement né de la colère d’éleveurs de l’Ariège s’achève par l’obtention d’un abaissement inespéré des normes environnementales, au bénéfice des filières économiques les plus puissantes !
La destruction minutieuse du plan Ecophyto de réduction de l’usage des pesticides, pour prendre cet exemple, contraste avec le caractère vague des promesses de régulation économique pour permettre à tous les producteurs de vivre dignement de leur travail.
A quels chantiers, alors, devrait s’atteler prioritairement un futur gouvernement ?
D. P. : Les angles morts des réponses politiques à la crise agricole sont autant de chantiers prioritaires. Il y a, d’abord, la question foncière. C’est un sujet écologique et social majeur, mais la profession et les pouvoirs publics font semblant de ne pas le voir. Pourtant, il n’y aura pas d’installation de nouveaux agriculteurs sans accès au foncier. Et sans installation, il n’y aura pas d’agroécologie.
« Il faut stopper le phénomène d’accaparement des terres, qui se traduit par une perte de valeur écologique et sociale »
Il faut stopper le phénomène de concentration et d’accaparement des terres qui favorise la simplification et se traduit par une perte de valeur écologique et sociale, mais aussi par une perte de compétitivité avec la hausse vertigineuse des prix des terres liée à la spéculation.
Un tiers des agriculteurs partiront à la retraite d’ici à 2030. Cela veut dire un tiers des terres agricoles qui vont changer de mains au cours des prochaines années. Si ces terres vont à l’installation de nouveaux agriculteurs ou si elles vont à l’agrandissement de ceux qui sont déjà en place, cela n’aboutira pas au même paysage.
Qu’en est-il du partage de la valeur, que les lois Egalim de 2018, 2021 et 2023 devaient rééquilibrer ?
D. P. : Après les mouvements de janvier dernier, le gouvernement a renvoyé à une énième loi Egalim, mais n’a rien proposé de précis face au pouvoir de marché des grands acteurs de la transformation et de la distribution. Par ailleurs, ces textes sur le partage de la valeur en agriculture font l’impasse sur le secteur amont : machinisme agricole, fourniture d’engrais, de semences, de produits phytosanitaires… Or, le revenu des exploitants est impacté par des coûts de production de plus en plus lourds.
Le débat sur le partage de la valeur s’est focalisé – sans vraiment dégager de solutions – sur les prix payés aux agriculteurs par le secteur aval, mais a négligé le sujet des prix imposés aux agriculteurs par les multinationales du secteur amont. Or, ces firmes internationalisées profitent de nombreux avantages fiscaux, que ce soit via les paradis fiscaux ou par les multiples exonérations dont bénéficient les agriculteurs, comme les aides à l’acquisition de machines agricoles.
J’ai donc proposé que l’on étende les missions de l’Observatoire de la formation des prix et des marges au secteur amont, car tout laisse à penser que, par différents biais, ce secteur n’est pas exempt de marges indécentes et de profits d’opportunité.
« La question de la maîtrise des coûts de production est essentielle, mais elle n’a pas été abordée lors de la crise de janvier »
Il faut par ailleurs favoriser l’agriculture de groupe et les coopératives d’utilisation en commun de matériel agricole, les Cuma, de manière à éviter le suréquipement actuel, ruineux pour les producteurs, et ainsi réduire leurs charges d’exploitation. Mais ce n’est évidemment pas l’intérêt de l’industrie d’amont. Cette question de la maîtrise des coûts de production est essentielle, elle aurait pu être abordée lors de la crise de janvier, mais il n’en a rien été.
Il y a aussi la question de la répartition des aides de la PAC…
D. P. : C’est un autre éléphant dans la pièce, et il va bien falloir également s’y attaquer. Les soutiens à l’agriculture, si l’on additionne les subventions européennes et les aides fiscales nationales, se montent à une vingtaine de milliards d’euros par an. En réallouant seulement 5 % de ce volume, soit un milliard d’euros par an, en faveur des filières bio et des cultures de protéines végétales, nous nous donnerions les moyens de rendre notre agriculture résiliente face au dérèglement climatique.
« Les aides restent beaucoup trop proportionnelles aux surfaces, ce qui pousse à l’agrandissement et à la spéculation foncière »
Par ailleurs, il faut moduler et plafonner les aides par actif. Aujourd’hui, les montants perçus par les agriculteurs restent beaucoup trop proportionnels aux surfaces, ce qui pousse à l’agrandissement et à la spéculation foncière. Une réforme avait été introduite en 2014, aboutissant à ce que 10 % de l’enveloppe des aides directes soit allouée à la surprime des 52 premiers hectares cultivés, améliorant ainsi le revenu des petites et moyennes exploitations.
Il était prévu d’aller plus loin, mais cette ambition a été stoppée. Si nous parvenions au seuil de 20 %, atteint ou dépassé en République tchèque, en Lituanie, en Croatie ou en Wallonie, cela aurait un effet redistributif puissant dans un monde agricole marqué par de très fortes inégalités de revenus.
Quelles autres régulations vous semblent nécessaires ?
D. P. : Aux trois priorités que nous venons d’évoquer – meilleur accès au foncier, meilleur partage de la valeur avec l’aval comme avec l’amont et nouvelle allocation des aides –, il faudrait ajouter bien sûr le rééquilibrage des conditions des échanges avec les pays tiers, notamment en termes de normes environnementales.
Mais il ne faudrait pas oublier la maîtrise, chez nous, des volumes produits pour éviter les effondrements de prix. J’ai réalisé une étude mettant en évidence que, s’il avait existé une organisation de producteurs permettant de maîtriser les aléas du marché, les betteraviers auraient plus facilement engagé la transition vers l’arrêt des néonicotinoïdes.
« Les régulations apportent un double bénéfice : la consolidation des revenus et la préservation de la nature »
Cet exemple illustre bien le double bénéfice qu’apportent des régulations en faveur du partage de la terre et de la valeur. D’une part, la consolidation des revenus des producteurs et le recul d’une détresse économique exploitée politiquement par l’extrême droite. D’autre part, la préservation de la nature, donc des bases productives de l’agriculture. Cette régulation doit aussi empêcher que l’usage des sols à des fins énergétiques affecte notre sécurité alimentaire et la biodiversité.
Quel est votre regard sur les propositions du programme du NFP concernant l’agriculture ?
D. P. : J’en partage l’esprit, beaucoup moins la lettre. La proposition sur les prix planchers, par exemple, traduit une volonté de garantir un revenu digne pour tous les agriculteurs et les travailleurs tout au long de la chaîne de production. Il n’y a pas à discuter là-dessus. En revanche, il y a un débat sur les instruments.
Des prix plancher fixés par l’Etat ont des effets retors. Pour nous, socialistes, il faut plutôt encadrer et réguler le marché : organiser des accords de filière sur des prix, généraliser des accords tripartites et pluriannuels entre producteurs, transformateurs et distributeurs, étudier l’opportunité de paiements contracycliques quand les cours sont bas, comme le font les Etats-Unis…
Et concernant l’écologie ?
D. P. : Il est évident qu’il faut sortir de la dépendance à la phytopharmacie. Mais j’ai toujours été réticent à ce que les interdictions de telle ou telle molécule soient décidées uniquement par l’Etat ou par l’Assemblée nationale. Parce que ce que l’Etat peut enlever, il peut l’imposer également. Quand la gauche demande l’interdiction du glyphosate, c’est le miroir exact de la droite qui demande son maintien. Dans une démocratie moderne, la décision ne peut appartenir ni à la toute puissance du marché, ni à celle de l’opinion. Elle doit se prendre dans un dialogue entre la démocratie et la science.
C’est aux agences de sécurité sanitaire de déterminer la dangerosité de tel ou tel produit, non aux élus. Par contre, ces agences sanitaires doivent être totalement indépendantes et mieux armées, tant sur le plan des moyens de recherche que sur le plan déontologique.
L’agroécologie, notre assurance-vie face au changement climatique et à l’effondrement de la biodiversité, fait l’objet d’une contre-révolution culturelle
L’agroécologie, qui est pourtant notre assurance-vie face au changement climatique et à l’effondrement de la biodiversité, fait depuis quelques années l’objet d’une contre-révolution culturelle. Un enjeu de cette contre-révolution, c’est la remise en cause du pouvoir des agences sanitaires, Anses au niveau français et Efsa au niveau européen. Elles sont la cible des libéraux et de l’extrême droite.
Il faut au contraire renforcer ces autorités sanitaires. C’est un enjeu écologique : avec des agences indépendantes et mieux dotées en capacités d’expertise, je suis certain que le glyphosate n’aurait jamais été réautorisé en Europe. Et c’est un enjeu démocratique : des décisions fondées sur la science et en toute transparence sont plus consensuelles.
Comment sortir de la crise agricole avec un monde agricole si divisé ?
D. P. : Chacun doit prendre ses responsabilités. Il appartient au futur gouvernement d’avoir le courage de traiter des angles morts des réponses politiques données jusqu’ici à la crise agricole.
La profession doit aussi consentir à un exercice de vérité, avoir le courage d’affronter la question de l’équité en son sein
La profession doit aussi consentir à un exercice de vérité, avoir le courage d’affronter la question de l’équité en son sein, et donc celle de la répartition des aides publiques. Et le courage de répondre à la question de la productivité à moyen terme, donc de la préservation de l’environnement, qui ne peut pas être sacrifiée à la compétitivité à court terme. Ce qui passe obligatoirement par l’intervention des pouvoirs publics pour en finir avec les concurrences déloyales.
Justice au sein du monde agricole, préservation de la productivité au-delà du court terme et règles commerciales cohérentes avec l’ambition écologique et sociale : il devrait être possible pour la profession de s’accorder sur ces sujets. Ils ne vont pas contre la compétitivité de l’agriculture, bien au contraire.
Quelle devrait être la méthode ? Une nouvelle conférence agricole ?
D. P. : Je ne suis pas sûr qu’il faille refaire l’exercice des Etats généraux de l’alimentation de 2017. Les recommandations qui en sont sorties étaient bonnes, il s’agit surtout à présent de tirer toutes les conclusions et de mettre en cohérence les actes avec les paroles. C’est le chantier qui est devant nous.
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