Une autre intelligence artificielle est possible, par Evgeny Morozov (Le Monde diplomatique, août 2024)
Un spectre hante l’Amérique — le spectre du communisme. Cette fois, il est numérique. « Le communisme géré par intelligence artificielle pourrait-il fonctionner ? », demande Daron Acemoğlu, économiste au Massachusetts Institute of Technology (MIT), tandis que le capital-risqueur Marc Andreessen s’inquiète de savoir si la Chine s’apprête à créer une intelligence artificielle (IA) communiste. Même le trublion républicain Vivek Ramaswamy y va de son analyse en affirmant sur X que l’IA procommuniste constitue une menace comparable à celle du Covid-19.
Mais qui sait vraiment, au milieu de la panique générale, de quoi l’on parle ? Une intelligence artificielle communiste suivrait-elle le modèle chinois, avec des plates-formes calquées sur celles des grandes sociétés américaines et soumises à un étroit contrôle étatique, ou plutôt une approche de type État social à l’européenne, avec un développement centralisé aux mains d’institutions publiques ?
La seconde option présente un certain attrait, d’autant plus que la course à l’IA tend aujourd’hui à faire passer la rapidité avant la qualité — on a pu s’en apercevoir en mai dernier lorsque la fonction AI Overviews de Google a recommandé de mettre de la colle dans ses pizzas et de manger des pierres. Un financement public de l’IA générative, qui s’accompagnerait d’une sélection rigoureuse des données ainsi que d’une supervision exigeante, pourrait accroître la qualité des outils et le prix facturé aux entreprises clientes, garantissant ainsi une meilleure rémunération des créateurs de contenu.
Pour autant, chercher à développer une économie socialisée de l’intelligence artificielle, n’est-ce pas encore capituler face à la Silicon Valley ? Une IA « communiste » ou « socialiste » doit-elle se limiter à décider qui détient et contrôle les données ou à modifier les modèles et les infrastructures informatiques ? Ne pourrait-elle être porteuse de transformations plus profondes ?
Deux exemples puisés dans l’histoire contemporaine suggèrent une réponse positive. Le (…)
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