Critique essais : pourquoi « Pute » de Dominique Lagorgette est-il indispensable ?

Place à la critique et à deux essais qui s’intéressent chacun à deux objets familiers, mais pourtant peu travaillés par les sciences humaines : le mot « pute » qui agit comme un stéréotype, un stigmate, et dont la linguiste Dominique Lagorgette en fait l’histoire, puis le désamour, phénomène tout aussi universel que l’amour, c’est le manuel de la philosophe Fabienne Brugère.

« Pute : histoire d’un mot et d’un stigmate » de Dominique Lagorgette

Paru aux éditions de La Découverte

« Garce », « coureuse », « salope »… Fatal Bazooka le dit très bien, tous ces mots ne renvoient qu’à un seul ; le mot « pute », soit la diffusion et la persistance d’un terme à travers les âges, soit la diffusion et la persistance d’un stéréotype qui analyse, classe et stigmatise un ensemble de personnes et d’abord des personnes de genre féminin.

Mais d’où vient une telle persistance à travers l’histoire ? Comment comprendre ce paradoxe selon lequel « pute » et son corollaire « putain » continuent à disgracier les femmes et les travailleuses du sexe tout en étant aussi des signes d’admiration, de ponctuation banale, de plaisir et de joie, par exemple « c’est une putain de journée ! ». Pour la linguiste Dominique Lagorgette qui signe cette histoire du mot « pute », c’est la rareté de ce mot, véritable couteau suisse, et qui tel un couteau peut effectivement trancher avec violence.

L’avis des critiques :

  • Nora Bouazzouni a trouvé ce livre indispensable : « il faudrait le mettre en milieu scolaire ». Que met-il à jour ? « Il montre que la langue française est une manière de structurer notre pensée, nos représentations et nos sociétés ». Autre tour de force de l’ouvrage : « il prouve que les hommes débordent d’imagination et de misogynie pour désigner et traiter les femmes de putes et inversement ». Grâce à cet essai, elle a découvert « que la quasi-totalité des mots en argot qu’on utilise pour désigner les femmes signifient ‘travailleuses du sexe' ».
  • Piere Benetti a aimé le pari « étonnant » de ce livre : « il prend un mot du langage courant et on voit bien une fascination pour la figure de la pute, des prostituées, et, en fait, des femmes ». Il a trouvé très intéressant l’aspect suivant : « du XVe siècle à aujourd’hui, ce sont des hommes qui construisent la langue et même quand les femmes le parlent, elles reprennent une langue masculine ». Il conclut : « ce livre m’a montré combien ce qui persiste, c’est une détestation de la liberté des femmes à disposer de leur corps ».

Les Chemins de la philosophie

57 min

« Désaimer : manuel d’un retour à la vie” de Fabienne Brugère

Paru aux éditions Flammarion

Que serions-nous si à la fin des années 70, Roland Barthes n’avait pas décidé d’écrire sur l’amour, que serions-nous sans ses Fragments d’un discours amoureux, nous les sentimentaux, les romantiques ou les délaissés, mais qui y croient encore, qui en veulent encore… car Barthes y tient à cet amour éternel et transhistorique. Et s’il s’était trompé, qu’il n’y avait pas que l’amour, mais bien évidemment, le désamour, l’amour qui se finit, qui fait mal, sur lequel on a écrit beaucoup de romans, de chansons, mais pas beaucoup de théorie… Il est pourtant lui aussi éternel et transhistorique, universel, se manifestant à travers l’ennui, la déception ou la violence dans le couple, mais aussi, la renaissance ? C’est le pari de la philosophe Fabienne Brugère dans ce manuel d’un retour à la vie : désaimer n’est pas que la fin d’une relation amoureuse, mais aussi de l’amour si cliché que l’on s’était fabriqué.

L’avis des critiques :

  • Nora Bouazzouni a été ennuyée par sa lecture : « j’ai lu ce livre avec une indifférence, je n’ai pas compris le projet, j’ai eu l’impression de lire un carnet de citations ». Elle regrette que le livre n’aille pas au bout de sa démarche : « c’est peu abouti en termes de fond et de forme, la structure est très bancale ». Alors qu’attendait-elle d’un tel ouvrage ? « Je trouve que cet ouvrage manque de libido, j’aurais aimé qu’il soit plus charnel ».
  • Piere Benetti ne s’est pas senti trompé par le titre de l’ouvrage : « c’est une philosophie qui ne veut pas en passer par la démonstration, c’est un livre qui s’approche effectivement du manuel, du développement personnel ou de la psychologie ». Cependant, il a trouvé trop flou l’objet d’étude, mais reconnait ce que l’ouvrage souhaite mettre à jour : « il y a la volonté de saisir un objet du quotidien qui nous échappe ».

Répliques

51 min

Extraits sonores :

  • Chanson C’est une pute de Fatal Bazooka
  • Archive de Roland Barthes dans Femme d’aujourd’hui, le 1er mars 1978

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