Au Sahel, des accusations de cannibalisme contre des militaires relancent les appels à la justice internationale
Ce sont quatre vidéos, publiées depuis mardi 16 juillet sur les réseaux sociaux, qui horrifient et interpellent. Celles-ci montrent des soldats des armées du Mali et du Burkina Faso s’adonner à la mutilation de cadavres, avec des propos suggérant des pratiques cannibales. Dans la première, un homme habillé en uniforme des forces armées maliennes (FAMa) éventre à l’arme blanche un cadavre et annonce qu’il compte manger son foie. Il est entouré de plusieurs personnes en treillis, l’une d’entre elles au moins rit derrière la caméra.
Dans la deuxième, publiée quelques jours plus tard, le 19 juillet, un homme est effectivement filmé en train de cuisiner ce qui semble être un foie sur un petit feu de bois. Son uniforme indique qu’il appartiendrait au régiment des commandos parachutistes de l’armée malienne. Le cœur de la victime semble aussi avoir été prélevé. La personne filmant la vidéo place un doigt amputé dans du papier aluminium, pour le « souvenir » dit-elle.
Côté burkinabé, deux vidéos ont circulé ces derniers jours : l’une montre des hommes en treillis se présentant comme des membres du BIR 15 Cobra 2. Ce bataillon d’intervention rapide est basé à Gaoua, dans le sud-ouest du pays et a été créé, avec d’autres, en octobre 2023 par le capitaine Ibrahim Traoré, arrivé au pouvoir lors d’un coup d’Etat le 30 septembre 2022.
« Agissements macabres »
Le groupe s’acharne sur un cadavre, le découpant pour tenter d’extraire ses organes. En langue mooré, les hommes en parlent comme de la « viande ». Plusieurs filment la scène et n’hésitent pas à montrer leurs visages. Sur l’autre vidéo, des civils armés appartenant probablement à un groupe de volontaires pour la défense de la patrie (VDP) posent fièrement avec une tête empalée et un tibia brandi comme un trophée.
Les armées malienne et burkinabée ont chacune publié un communiqué en réaction à la publication de ces vidéos. L’état-major général des armées du Burkina Faso a condamné « avec la plus grande fermeté ces agissements macabres » le mercredi 24 juillet, assurant que « des dispositions sont prises pour identifier de façon formelle l’origine de ces images ainsi que leurs auteurs ».
Les forces armées maliennes ont, elles, réagi dès le lendemain du début de la circulation de la première vidéo, disant se démarquer de pratiques « d’une rare atrocité », « contraires à l’éthique, aux valeurs, us et coutumes de notre armée », et annoncent également que « les services compétents sont mobilisés » pour éclaircir la situation. L’ancien premier ministre malien, Moussa Mara, a lui aussi dénoncé des images « insoutenables » et soutenu l’ouverture d’une enquête par les FAMa.
La CPI interpellée
Au Burkina Faso, la publication de ces vidéos intervient alors que l’armée est accusée d’avoir commis plusieurs massacres ces derniers mois. Entre le 27 avril et le 10 mai, deux convois de l’armée accompagnés de VDP envoyés en mission de ravitaillement ont exécuté près de 400 civils selon une enquête du journal Libération dans le nord-est du pays. L’un d’entre eux se dirigeait vers la ville de Mansila, à l’époque assiégée par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), qui a depuis été reconquise par l’armée burkinabée.
« Un travail de documentation est en cours sur les massacres commis par l’armée. Cela crée des tensions au sein du régime, qui commence à avoir peur de la CPI [Cour pénale internationale] », souligne une source sécuritaire sur place.
Sur les réseaux sociaux, les vidéos sont reprises par des voix critiques des régimes putschistes sahéliens, soucieuses de pointer le décalage entre leur volonté affirmée de rétablir la sécurité et la réalité vécue par les populations. Ces dénonciateurs appellent en effet la CPI à enquêter sur les crimes présumés commis par les belligérants. Le sentiment d’impunité des soldats qui ne semblent pas vouloir cacher leur visage les interroge particulièrement.
Le régime d’Ibrahim Traoré est mis en cause par plusieurs enquêtes qui ont révélé l’ampleur des exactions de l’armée et de ses supplétifs. Un rapport de l’ONG Human Rights Watch publié en avril a pointé le massacre d’au moins 223 civils le 25 février dans les villages de Nondin et Soro, situés dans le nord du pays. Des images filmées par des djihadistes mais aussi par des soldats montrent des cadavres brûlés, dont ceux d’enfants en bas âge.
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