« Le pays est fier de nous », Déchiré par l’Histoire, le Soudan du Sud a remporté plus qu’une victoire
A Villeneuve d’Ascq,
Des regards éberlués sur le parquet du stade Pierre-Mauroy, des réactions courroucées de supporteurs dans les tribunes. Marquée par une première victoire éclatante contre Porto Rico ce dimanche (90-79), l’épopée olympique des basketteurs sud-soudanais avait pourtant très mal démarré, avant même le coup d’envoi.
Bien trop désinvoltes, les organisateurs ont commis une grosse boulette en envoyant l’hymne du Soudan, le pays dont le plus jeune Etat du monde s’est séparé dans le sang et les larmes en 2011. « C’était un triste moment pour nous, ça m’a fait mal, a avoué l’ailier fort Wenyen Gabriel après une victoire acquise de belle manière (90-79), confirmant l’exploit frôlé face aux Etats-Unis en préparation à Londres huit jours plus tôt (défaite 101-100). Mais nous avons su surmonter l’adversité. » Et aussi rattraper un départ catastrophique (0-8).
« C’est un moment de fierté », a repris le joueur du Maccabi Tel-Aviv, passé par sept clubs de NBA, dont les deux de Los Angeles et qui rêve ouvertement de quart de finale. « Cela montre la puissance du sport. C’est un moment d’unité. Ce qu’on a fait, c’est plus grand que nous. »
« Ces gars sont d’une incroyable résilience, a savouré pour sa part Royal Ivey l’entraîneur américain des « Bright Stars », si heureux qu’il aurait pu passer sa journée devant les médias. On a collé au plan de jeu, avec un jeu rapide, physique, de la défense, une présence aux rebonds offensifs. »
La revanche de la Coupe du monde 2023
Plus puissants, les coéquipiers de Carlik Jones (19 points, meilleur marqueur de la partie) ont fait la différence dans le troisième quart-temps au cours d’un match plaisant, ambiancé par un public fervent. Ils ont surclassé leurs adversaires aux rebonds (55 à 37) et pris une revanche particulièrement appréciée par leur entraîneur, un an après la défaite en Coupe du monde face à la même équipe (101-96).
Cette compétition a pourtant servi de jalon essentiel pour les « Etoiles brillantes », composées d’athlètes dispersés à travers la planète (Etats-Unis, Australie, Chine, Israël). En terminant meilleure équipe africaine, le Soudan du Sud a décroché le seul ticket continental pour les JO.
La consécration d’une incroyable aventure initiée en 2019 par Luol Deng, ancienne vedette des Chicago Bulls, deux fois All-Star NBA (2012, 2013), et digne héritier du plus que longiligne Manute Bol, vedette soudanaise des années 1980 et 1990.
L’ex-international britannique de 39 ans a pris la tête de la Fédération de basket de son pays d’origine, avec des rêves fous pour un Etat meurtri, qu’il a récemment révélés sur le site officiel des Jeux olympiques : « J’avais la conviction que nous nous étions une des meilleures équipes en Afrique, que nous pouvions dominer le basket comme le Kenya et l’Ethiopie dominent en athlétisme, comme la Jamaïque le fait dans le sprint. »
Luol Dueng a réuni des athlètes disséminés sur la planète et qui, comme lui, ancien réfugié au Royaume-Uni, sont le fruit de l’histoire d’un pays accablé par la guerre et la famine ainsi que par des phénomènes climatiques extrêmes. Après l’indépendance, le Soudan du Sud a connu un conflit fratricide au bilan dévastateur : quelque 400.000 morts et des millions de déplacés.
Des destins incroyables
Mais la grande majorité des olympiens actuels n’a pas directement connu les horreurs de la dernière décennie. Ils sont nés ou ont grandi ailleurs, souvent aux Etats-Unis, en Australie ou au Canada, car la génération de leurs parents avait dû fuir l’interminable seconde guerre civile soudanaise, commencée une dizaine d’années après la fin de la première et qui avait déjà charrié son lot d’atrocités entre 1983 et 2005. Voici quelques exemples de ses destins bouleversés :
- Wenyen Gabriel, né à Khartoum (Soudan) en 1997, a rejoint tout petit l’Egypte avec sa famille, avant de s’envoler deux ans plus tard pour Manchester (New Hampshire) où vit une importante communauté sud-soudanaise. Dans la langue dinka, son prénom signifie « essuie tes larmes », un hommage rendu par ses parents à sa sœur aînée décédée en bas âge.
- Nuni Omot, qui évolue au Ningbo Fubang (Chine), a vu le jour en 1994 dans un camp de réfugiés au Kenya, où sa famille avait échoué après une première étape en Ethiopie pour échapper à la guerre civile. Trois ans plus tard, il a pu s’envoler avec sa mère et son frère pour le Minnesota. Refoulé pour raisons médicales, son père ne les a rejoints que 22 ans plus tard.
- Khaman Maluach, à la fois le plus jeune (17 ans) et le plus grand (2,16 m) de l’équipe, est né au pays mais a grandi comme réfugié dans l’Ouganda voisin. Ce n’est qu’en 2019, à 13 ans, qu’il a découvert le basket, encouragé par un motard intrigué par sa taille alors qu’il marchait au bord de la route. Passé par le camp d’entraînement créé par Luol Deng, il évolue aujourd’hui dans la prestigieuse université de Duke.
« C’est un jour historique, je sais que le pays est fier de nous aujourd’hui, on doit rester positif et continuer, a asséné Peter Jok, arrière d’Ottawa (Canada), auteur de 11 points ce dimanche. Il y a beaucoup de malheurs dans notre pays, on apporte de la positivité et de l’unité. »
Avant de défier la Serbie samedi, les outsiders sud-soudanais retrouveront mercredi à Villeneuve-d’Ascq les Etats-Unis et voudront faire ravaler aux anciennes gloires de la NBA Gilbert Arenas et Paul Pierce les commentaires racistes dégueulés en marge de ce presque exploit. Avouons-le : on a hâte de voir ça.
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