Suspension de Securicom Protect : « Nous comptons sur l’indulgence de l’Etat pour nous permettre de sauver nos 1 600 employés », Ahmed Baro, directeur juridique et des ressources humaines

Le Groupe SECURICOM a été créé en 1999 par un Malien du nom de Mamadou Sidibé. La société s’est par la suite déployée au Niger et en Côte d’Ivoire à travers des filiales. Au Burkina Faso, le groupe était présent à travers trois filiales : Securicom Burkina, créée en 2010 qui intervient dans la sûreté aéroportuaire en offrant des services de sûreté additionnelle aux différentes compagnies aériennes qui desservent l’aéroport de Ouagadougou ; Securicom Protect, qui intervient dans la sécurité privée ; et Securicom Accueil, qui intervient dans l’accueil personnalisé à l’aéroport. Cette dernière n’existe plus. Il convient de noter que toutes ces filiales sont détenues à hauteur de 51% des parts sociales par des Burkinabè.

Par un arrêté en date du 10 juillet 2024 du ministère de l’Administration territoriale, de la décentralisation et de la sécurité (MATDS), l’autorisation d’exercer de Securicom Protect a été suspendue pour une durée de six mois. Le groupe est présentée comme une société française qui emploie des mercenaires « par certains de ses concurrents » à travers les réseaux sociaux. Le directeur juridique et des ressources humaines du groupe, Moustapha Ben Ahmed Baro, s’est épanché sur notre média, détaillant les conditions qui ont prévalu à la suspension de la filiale, et implorant par la même occasion, la magnanimité des autorités pour la reprise des activités de la société, au regret de voir 1 600 employés privés de leur gagne-pain.

Dans l’arrêté du MATDS, deux griefs ont été formulés à l’encontre de Securicom Protect. « Il nous est reproché d’une part d’avoir sous-traité notre agrément au profit d’une société étrangère, notamment Geos (société française), et d’avoir employé des agents de sécurité non habilités », informe Ahmed Baro. Cependant, à l’entendre, leur agrément n’a ni été cédé, ni été prêté à Geos comme l’interdisent les dispositions du décret n°1243, relatif à la réglementation des activités des sociétés de sécurité privée. « Avec Geos, nous avons plutôt constitué un consortium ou joint-venture en anglais, afin de mutualiser nos expertises et nos capacités financières pour faire face à la complexité de ce contrat. C’est une stratégie qui est très courante dans le monde des affaires et c’est ce que nous avons fait avec Geos, qui est experte dans la sécurisation des délégations de l’Union européenne (UE) à travers le monde. A noter que tous ceux qui ont pris part à l’appel d’offres lancé en 2020 par l’UE, avaient formé un consortium dans le même format que nous : une société locale et une société étrangère. A noter également que depuis 2010, et donc bien avant notre consortium, d’autres acteurs de la sécurité privée ont assuré ce contrat avec les mêmes profils de personnels. Et c’est en 2022 que notre consortium à « hérité » de ce contrat, a l’issue de l’appel d’offres lancé en 2020 ».

« Quant au deuxième grief tenant au défaut d’habilitation des Agents internationaux de protection rapprochée (AIPR), il s’explique plus par une question de difficultés d’application de la loi qu’à une volonté délibérée de violer les prescriptions du décret ci-dessus cité. A noter que le choix d’un personnel international de sécurité rapprochée est une exigence des spécifications techniques de ce contrat, c’est à dire du cahier des charges. En effet, ces derniers doivent être ressortissants de l’UE, avoir une expérience d’au moins cinq ans, soit dans l’armée soit dans la sécurité privée. Nous ne pouvions donc pas recruter localement, même si c’est ce que nous aurions souhaité. Le problème est que depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation courant novembre 2023 à travers le décret cité ci-dessus, désormais, toute personne désirant être employée en qualité d’agent de sécurité privée (vigile, contrôleur ou superviseur), doit requérir une habilitation délivrée par le ministère en charge de la sécurité, après avoir subi une formation de trois mois dans un centre de formation agréé par le même ministère. Il se trouve qu’aucun module prévu à cet effet ne correspond au profil de nos AIPR, d’où l’impossibilité pour nous, d’avoir satisfait à cette exigence », explique le directeur juridique de l’entreprise.

« La suspension concerne uniquement Securicom Protect, et non Securicom Burkina »

« Il est vrai que nous avons recruté des anciens hommes de tenue étrangers, mais… »

Concernant la rumeur sur les anciens hommes de tenue qu’aurait recruté Securicom Protect, Ben Ahmed Baro la confirme. Toutefois, il précise que, contrairement à ce qui se dit sur les réseaux sociaux, il ne s’agit nullement de mercenaires car ils sont investis d’une mission qui se limitait à assurer la sécurité rapprochée de l’ambassadeur de l’UE et des autres diplomates. « Certains poussent l’amalgame jusqu’à affirmer que ces agents étaient employés par notre société qui fait de la sûreté aéroportuaire pour, prétendent-ils, « espionner » l’aéroport de Ouagadougou au profit de l’Etat français. Nous estimons que c’est tout simplement une aberration. Ces agents n’ont jamais fait partie de nos effectifs d’agents de sûreté aéroportuaire qui sont à 100% des Burkinabè », a-t-il clarifié.

« Le deuxième aspect du contrat avec l’UE était réservé aux agents locaux, et portait sur les agents de gardiennage et ceux postés dans les résidences »

« Nous avons rencontré les autorités »

« Lorsque nous avons eu connaissance de l’arrêté, nous avons entrepris depuis lors, des démarches en vue de rencontrer les autorités. Elles ont fait preuve de bienveillance en nous recevant pour échanger sur les griefs relevés à l’encontre de notre société. Nous avons tout de suite compris que c’étaient les conditions de notre collaboration avec la société Geos et la présence d’AIPR non habilités qui nous a valu la suspension. Nous avons donc pris des mesures fortes afin de régulariser notre situation vis-à-vis de la loi, dans l’espoir de recouvrer notre agrément. Ainsi, le même jour, nous avons dénoncé le consortium ; c’est à dire que nous avons écrit à notre partenaire et à la Délégation de l’UE pour dire que nous ne faisons plus partie du contrat, malgré qu’après deux ans d’exécution, nous sommes loin de recouvrer nos investissements. Ensuite, nous avons pris les dispositions pour rompre les contrats de travail de tous les AIPR et mieux, nous avons entrepris de les faire quitter le territoire. Il y a eu une première vague qui a quitté le pays le mercredi 24 juillet. Une deuxième vague est partie le jeudi 25. La dernière quittera le territoire burkinabè ce vendredi 26 juillet 2024. Nous avons bon espoir que toutes ces mesures fortes rencontreront la bienveillance des autorités », a laissé entendre Ben Ahmed Baro.

La distinction reçue par Securicom Protect par le Syndicat national des vigiles

« Nous entreprenons des solutions pour… amortir le choc »

La filiale Securicom Protect emploie environ 1 600 agents. Et depuis la notification de l’arrêté, le 15 juillet 2024, le moral de ces derniers dégrossit de jour en jour. « Tout le monde se pose des questions. Ils (parlant des employés) se demandent comment nous allons faire. Les employés nous regardent et se demandent ce qu’ils vont devenir », se désole Ben Ahmed Baro. Toutefois, la société n’entend pas rester là, les bras croisés, regardant ses travailleurs s’apitoyer sur leur sort. « Nous sommes en train d’entreprendre des solutions pour sauvegarder le maximum d’emplois, en collaboration avec d’autres sociétés partenaires. Nous espérons que cela va aider à amortir le choc », a annoncé Ben Ahmed Barro.

Pour la société, s’engager dans une voie judiciaire contre l’Etat n’est pas une option nécessairement productive dans ces genres de circonstances car, dit-il, « nous sommes une société respectueuse des lois et des règlements de notre pays, en témoigne notre distinction reçue le 11 mai 2023, comme meilleure société respectueuse des droits des employés, du Syndicat national des vigiles. Nous avons donc, à priori, exclu la voie judiciaire, car pour nous, l’arrêté est une décision de l’autorité et il doit être exécuté. Nous ne sommes pas dans la dynamique de remettre cela en cause, même si nous en sommes fortement impactés. Quelque part, nous comprenons aisément la position des autorités sur les questions aussi sensibles que la sécurité et estimons qu’elles sont tout à fait légitimes, au regard du contexte socio-politique de notre pays. Nous comptons surtout sur l’indulgence et la magnanimité des autorités, pour nous permettre de continuer à exister pour le bonheur de nos nombreux employés, leurs familles et pour ceux à venir.

E.C

Lefaso.net

Crédit: Lien source

Les commentaires sont fermés.