Soudan : Violences sexuelles généralisées dans la capitale

  • Les Forces de soutien rapide (Rapid Support Forces, FSR) au Soudan ont commis des actes de violence sexuelle généralisés dans des zones de Khartoum qu’elles contrôlent, des actes qui constituent des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.
  • Les FSR et les Forces armées soudanaises (Sudanese Armed Forces, FAS) ont toutes deux attaqué du personnel médical, des équipes de secours locales et des infrastructures de soins, ce qui constitue des crimes de guerre.
  • L’Union africaine et l’ONU devraient déployer de toute urgence une force de protection des civils, et les États prendre des mesures pour que les auteurs de violences sexuelles soient tenus responsables de leurs actes.

(Nairobi) – Les parties au conflit au Soudan, en particulier les Forces de soutien rapide (Rapid Support Forces, FSR), ont commis des viols généralisés, notamment des viols collectifs, et ont forcé des femmes et des filles à se marier à Khartoum, la capitale du pays, depuis le début du conflit en cours, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.

Le rapport de 89 pages, intitulé « “Khartoum is Not Safe for Women” : Sexual Violence against Women and Girls in Sudan’s Capital” » (« Khartoum est dangereuse pour les femmes » : Violences sexuelles contre les femmes et les filles dans la capitale soudanaise »), documente des violences sexuelles généralisées, ainsi que des mariages forcés de femmes et d’enfants, dans le cadre du conflit à Khartoum et dans ses villes adjacentes. Les prestataires de services qui soignent et soutiennent les victimes ont également entendu des témoignages de femmes et de filles qui affirment avoir été détenues par les FSR dans des conditions qui pourraient être assimilées à de l’esclavage sexuel. Les recherches menées mettent également en lumière les conséquences dévastatrices sur la santé physique et mentale des survivantes, l’impact dévastateur des attaques des belligérants contre les centres de soins ainsi que le blocage délibéré de l’aide humanitaire par les Forces armées soudanaises (Sudanese Armed Forces, FAS).

« Les Forces de soutien rapide se sont livrées à des viols, y compris des viols collectifs, et ont forcé d’innombrables femmes et filles à se marier dans des zones résidentielles de la capitale soudanaise », a déclaré Laetitia Bader, directrice adjointe de la division Afrique de Human Rights Watch. « Le groupe armé a terrorisé les femmes et les filles et les deux parties au conflit les ont empêchées d’obtenir de l’aide humanitaire ainsi que des services de soutien, aggravant leurs souffrances tout en leur donnant le sentiment qu’elles ne sont en sécurité nulle part. »

Il est d’une importance primordiale d’entendre directement les survivantes de violences sexuelles et de recueillir leurs expériences, avis et demandes dans un cadre assurant leur sécurité et leur dignité. Toutefois, à quelques exceptions près, ce rapport ne présente pas de témoignages directs des survivantes elles-mêmes. En effet, compte tenu des restrictions d’accès à Khartoum, des défis sécuritaires qui s’y posent, du manque de services pour les survivantes et des obstacles logistiques, Human Rights Watch s’est entretenu avec 42 prestataires de santé, travailleurs sociaux, psychologues, avocats et membres d’unités d’interventions d’urgence établies à Khartoum, entre septembre 2023 et février 2024.

Dix-huit des prestataires de santé avec lesquels Human Rights Watch a mené des entretiens ont fourni des soins médicaux ou un soutien psychosocial directs aux survivantes de violences sexuelles, ou ont géré des incidents individuels. Ils ont déclaré avoir pris en charge un total de 262 survivantes de violences sexuelles âgées de 9 à 60 ans entre le début du conflit en avril 2023 et février 2024.

« J’ai dormi avec un couteau sous l’oreiller pendant des mois, par crainte des raids des FSR qui donnent lieu à des viols », a relaté à Human Rights Watch, début 2024, une femme âgée de 20 ans vivant dans une zone contrôlée par les FSR. « Depuis que cette guerre a débuté, être femme à Khartoum, qui est sous le contrôle des FSR, c’est être en danger. »

Les séquelles physiques, mais aussi émotionnelles, sociales et psychologiques avec lesquelles les survivantes doivent continuer de vivre sont immenses, a constaté Human Rights Watch. Les membres des personnels de santé ont rencontré plusieurs d’entre elles qui nécessitaient des soins pour des blessures invalidantes subies lors de viols, y compris collectifs. Au moins quatre d’entre elles en sont mortes. De nombreuses survivantes qui ont tenté d’interrompre leur grossesse à la suite d’un viol se sont heurtées à des obstacles considérables en matière d’accès à l’avortement. Les survivantes ont décrit ou présenté des symptômes indiquant un stress posttraumatique et une dépression, notamment des pensées suicidaires, de l’anxiété, de la peur et des insomnies.

« J’ai parlé à une survivante d’un viol qui venait de découvrir qu’elle était enceinte de trois mois », a déclaré un psychiatre. « Elle était de toute évidence traumatisée et secouée de frissons, craignant la réaction de sa famille. Elle m’a confié : ‘‘S’ils apprennent ce qui m’est arrivé, ils me tueront.’’ »

Des survivantes ont déclaré aux prestataires de soins avoir été violées par jusqu’à cinq combattants des FSR. Ces derniers ont également enlevé des femmes et des filles, les enfermant dans des maisons et d’autres infrastructures qu’elles occupaient à Khartoum, Bahri et Omdurman, et les soumettant à des violences sexuelles et à d’autres abus. Des éléments des FSR ont parfois agressé des femmes et des filles devant des membres de leurs familles. Les FSR ont également contraint des femmes et des filles à des mariages forcés.

Moins de cas sont attribués aux Forces armées soudanaises, mais une hausse du nombre d’incidents a été signalée après que ces combattants ont pris le contrôle d’Omdurman début 2024. Des hommes et des garçons ont également été violés, notamment en détention.

Les deux parties au conflit ont bloqué l’accès des survivants à des soins de santé complets nécessaires, a relevé Human Rights Watch.

Les FAS ont délibérément restreint l’approvisionnement humanitaire, y compris les articles médicaux, ainsi que l’accès des personnels humanitaires, imposant un blocus de facto sur les articles sanitaires destinés aux zones sous contrôle des FSR à Khartoum depuis au moins octobre 2023. Les FSR ont pillé des stocks médicaux et occupé des locaux médicaux.

Les équipes locales de premiers secours ont été contraintes de jouer un rôle de premier plan dans la réponse aux violences sexuelles. Elles en paient toutefois le prix fort, les deux parties ayant intimidé, placé en détention arbitraire et attaqué des médecins, des infirmiers et des secouristes volontaires, notamment en raison de l’aide fournie à des survivantes de viol. Dans plusieurs cas, des éléments des FSR se sont livrés à des violences sexuelles contre des prestataires de soins, ont-ils déclaré.

Toute violence sexuelle perpétrée dans le cadre d’un conflit constitue un crime de guerre. Comme c’est également le cas pour les mariages forcés, lorsque les violences sexuelles sont perpétrées dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre une population civile, comme c’est le cas au Soudan, celles-ci peuvent alors faire l’objet d’une enquête et de poursuites pour crimes contre l’humanité, a rappelé Human Rights Watch.

L’obstruction délibérée et les restrictions arbitraires de l’aide humanitaire violent également le droit humanitaire international, et les pillages ainsi que les attaques visant les civils, y compris les membres de personnels de santé et les premiers secours, constituent des crimes de guerre. Cibler intentionnellement des opérations d’aide humanitaire, notamment ses personnels, locaux et véhicules, constitue également un crime de guerre passible de poursuites en vertu du statut de la Cour pénale internationale (CPI).

Aucune des parties au conflit n’a pris de mesures significatives pour empêcher ses forces de commettre des viols ou de s’en prendre à des infrastructures de soin, ni pour enquêter de manière indépendante et transparente sur ces crimes, a constaté Human Rights Watch. Le 23 juillet, le porte-parole des FSR a écrit à Human Rights Watch en rejetant les affirmations selon lesquelles le FSR occuperaient des hôpitaux ou des centres médicaux dans les trois villes de l’État de Khartoum. De plus, il n’a fourni aucune preuve que les FSR auraient enquêté de façon effective sur ces accusations de violences sexuelles par ses forces, ni encore moins pris des mesures pour que les responsables rendent des comptes.

L’Union africaine et l’ONU devraient immédiatement collaborer pour déployer une nouvelle mission de protection des civils au Soudan, notamment pour prévenir les violences sexuelles et basées sur le genre, appuyer la fourniture de services complets à toutes les survivantes et documenter les violences sexuelles liées au conflit. Cette mission devrait être dotée d’un mandat et de moyens pour surveiller les obstructions à l’aide humanitaire et en faciliter l’accès.

Il est urgent que les bailleurs de fonds internationaux renforcent leur soutien politique et financier aux équipes locales de premiers secours. Les États devraient œuvrer ensemble à l’imposition de sanctions ciblées contre les commandants responsables de violences sexuelles et d’attaques visant les professionnels de santé et les permiers secours locaux. Les États Membres de l’ONU, en particulier ceux de la région, devraient continuer à soutenir les enquêtes internationales sur ces crimes, notamment celles menées par la Mission internationale indépendante d’établissement des faits sur le Soudan. L’ONU devrait en priorité veiller à reconstituer sa capacité à répondre aux violences sexuelles liées aux conflits à l’échelle de son système.

« Les femmes, les hommes et les enfants exposés à un risque d’abus imminent ou qui ont survécu à des viols à Khartoum et au-delà devraient pouvoir sentir que le monde est prêt à les protéger et à garantir leur accès aux services d’aide et à la justice », a conclu Laetitia Bader. « L’ONU et l’Union africaine devraient être le fer de lance de cette protection et les États tenir pour responsables les auteurs de violences sexuelles en cours, d’attaques contre les personnels médicaux locaux, d’infrastructures de santé, et de blocage de l’aide. »

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