Crédit photo, IRD
- Author, Isidore Kouwonou
- Role, BBC Afrique
Les pêcheurs de la petite côte de Dakar, notamment les quartiers Thiaroye-Sur-Mer et Yarakh ont, en 2020 et 2021, fait face à une situation sanitaire exceptionnelle qui a mis le pays dans une incertitude. Un mystère ? Personne ne pouvait répondre avec exactitude.
« Au début, plusieurs hypothèses ont été évoquées : un contact avec un produit toxique, l’insalubrité, la consommation d’un aliment contaminé ou encore des substances déversées par des navires ou des entreprises d’hydrocarbures ? C’était une maladie mystérieuse jamais observée auparavant chez nous les pêcheurs », raconte à la BBC Afrique Moustapha Diouf, président de l’association des pêcheurs à Thiaroye-Sur-Mer.
Cette maladie mystérieuse, qui a également touché des pêcheurs en Guinée en 2023, avait mis tout le dispositif sanitaire du Sénégal en alerte. L’urgence était de trouver les causes de cette maladie qui se manifeste par une éruption cutanée et des brûlures sur la peau.
Mais depuis quelques jours, grâce à une étude menée par un consortium de scientifiques dont des Sénégalais, et publié dans la revue Embo Molecular Medecine, on a une idée de ce qui s’est passé et l’origine de cette maladie.
Le coupable de cette maladie dont le mystère a été finalement levé, est une microalgue marine toxique, selon les scientifiques. BBC Afrique a rencontré l’un de ces scientifiques qui a accepté de parler des travaux qui ont abouti à cette découverte.
Mais d’abord, une descente sur la côte dakaroise de Thiaroye-Sur-Mer a permis de se rendre compte du drame qu’ont vécu les pêcheurs.
Les pêcheurs toujours à la recherche du sens du « mystère »…
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Crédit photo, IRD/Patrice Brehmer
« C’est vous qui m’annoncez que des scientifiques ont découvert que c’est une algue marine toxique qui est à l’origine de cette maladie. Personne ici n’est au courant de cette information », indique Moustapha Diouf d’un air surpris quand nous l’avons interrogé sur l’origine de la mystérieuse maladie.
Selon ce responsable de l’association de pêcheurs de Thiaroye-Sur-Mer qui n’a pas donné un chiffre exact, environ 150 ou 200 personnes ont été atteintes par la maladie mystérieuse dans cette banlieue de Dakar. A l’époque, à chaque fois que les pêcheurs revenaient de la pêche, ils se plaignaient des brûlures au visage et à d’autres parties sur le corps.
Ces brûlures étaient généralement suivies d’éruptions cutanées, avec de petits boutons sur le corps. Mais impossible d’avoir une explication de ce qui se passait réellement. Les parties les plus touchées sont les mains, le visage, l’avant-bras, la plante des pieds, l’abdomen et le sexe des pêcheurs. « Les pêcheurs et leurs familles ont été pris de panique et d’inquiétude. L’ensemble du village était en état d’alerte », ajoute M. Diouf.
Le Centre de santé de Thiaroye a été rapidement réquisitionné pour accueillir les malades, poursuit Moustapha Diouf. En plus de ce centre, les victimes ont été prises en charge aussi à la Maison de la femme et au centre de santé Sicap Mbao.
« Nous leur avons conseillé de rester chez eux en attendant d’identifier la cause exacte de la maladie, afin d’éviter toute aggravation de la situation. Un soutien psychologique leur a été apporté pour les aider à traverser cette période difficile. L’arrêt temporaire de leur activité a également été préconisé pour limiter les risques ».
Une situation qui avait impacté économiquement ces personnes dont l’activité principale est la pêche. « Vous imaginez, j’ai une femme, des enfants et c’est moi qui m’occupe de mes parents aussi. C’était difficile pour nous de nous en sortir avec l’arrêt de nos activités. On mangeait difficilement », confie El Hadj Makouro Diop, pêcheur.
Après des analyses effectuées par les centres de santé, la contamination d’origine virale, bactérienne ou due à des pesticides ou à des hydrocarbures, a été écartée. Les recherches se sont ensuite orientées vers les filets de pêche, puisque selon le président de l’association des pêcheurs, ces derniers constataient un liquide gluant sur les filets, les laissant penser qu’il serait à l’origine du mal.
Le plus difficile à un moment donné, c’est lorsque beaucoup de ces pêcheurs avaient du mal à déclarer la maladie et accepter d’aller se faire soigner. « Ils avaient honte de se déclarer », confie Moustapha Diouf qui souligne qu’il prenait sur lui de les sensibiliser avant que plusieurs d’entre eux ne se décident à aller se faire soigner.
« La découverte récente selon laquelle une micro-algue marine est à l’origine de l’infection est une information précieuse. Cela permet aux pêcheurs d’adapter leurs méthodes de travail, avec l’accompagnement des autorités, pour éviter que cette situation ne se reproduise », espère Moustapha Diouf.
…Enfin résolu
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Crédit photo, IRD/Patrice Brehmer
Selon des scientifiques du CNRS, de l’Ifremer, de l’IRD et des universités de Toulouse (France), Murcie (Espagne) et Singapour, avec le centre anti-poison et l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), qui ont mené des études sur cette maladie cutanée inquiétante, plus d’un millier de pêcheurs dans la zone géographique de la Petite-Côte, une partie du littoral sénégalais située au sud de Dakar, ont été touchés en 2020 et 2021.
A l’origine de cette maladie, les scientifiques ont découvert une toxine produite par la microalgue marine, le Vulcanodinium rugosum. Cette toxine provoque une inflammation sévère des cellules de la peau.
Mais le travail de recherche n’a pas du tout été aisé pour les scientifiques, puisque ces derniers n’avaient aucune information sur cet ennemi invisible.
« Nous étions démunis face à cette crise que subissaient en 2020 les pêcheurs. Avec nos collègues sénégalais, on ne savait pas quoi chercher lors des premières investigations en mer, car ce phénomène n’avait jamais encore été observé. Nous avons donc mis en place un consortium scientifique pour mener une investigation interdisciplinaire », indique Dr Patrice Brehmer, Expert en écologie marine et halieutique à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), qui a également fait partie de ce groupe d’experts, actuellement basé à la Commission Sous-Régionale des Pêches (CSRP) à Dakar.
Les experts dirigés par un Sénégalais à l’assaut du mystère
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Crédit photo, IRD/Patrice Brehmer
Des experts de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), de l’IRD avec à leur tête le Prof Mamadou Fall, Directeur du Centre anti-poison de Dakar, se sont lancés à l’assaut de la maladie.
Cette équipe est ensuite allée en mer pour collecter des échantillons avec l’appui de la gendarmerie. N’ayant pas du tout d’information sur la maladie, souligne M. Brehmer, plusieurs hypothèses ont été émises au départ de ces recherches. Notamment la présence d’un polluant due aux transports maritimes. Mais elles ont été toutes balayées par la suite.
Le plus curieux, selon lui, la maladie n’affecte pas tous les pêcheurs. Il a été noté, grâce a leur témoignages, que ce sont les pêcheurs artisans, ceux qui travaillent avec des filets maillant dérivant de surface, qui sont affectés. Ceux qui utilisent les chalutiers où travaillaient à la ligne n’avaient aucun problème. « C’était extrêmement troublant pour nous ».
« Mais on s’est rapidement orienté vers la forte probabilité que ce soit dû à une algue toxique ou une combinaison de facteurs qui mèneraient à une algue toxique », fait savoir Patrice Brehmer qui insiste sur le fait qu’en mer les polluants, qu’ils soient naturels ou d’origine humaine, se dispersent assez rapidement. Et de regretter qu’on n’avait pas intervenu très rapidement au Sénégal en 2020 pour circonscrire cette maladie ou du moins détecter son origine. Ce qui était dû au fait que les malades ne voulaient pas se déclarer, parce que leur sexe était touché.
Les experts ont alors changé de stratégie en allant à la rencontre des pêcheurs, discutant avec eux. « En 2021, nous étions mieux préparés pour répondre à la seconde crise. Les recommandations de prévention que nous avions apportées aux pêcheurs se sont avérées justifiées, même s’il nous aura fallu 5 années de recherche pour trouver la cause de cette maladie », déclare M. Brehmer.
« Grâce aux discussions qu’on a eues avec les pêcheurs artisans, on a rencontré une pirogue en mer qui revenait de la zone contaminée avec ses engins de pêche. On l’a arraisonné avec la gendarmerie nationale. Je suis monté à bord pour collecter l’eau au fond de la pirogue, parce que les pêcheurs nous avaient annoncé aussi que l’eau avait une coloration bizarre ».
C’est donc cette eau qui a été envoyée à l’institut Ifremer en France qui, après analyse, a constaté la présence extrêmement élevée de la biotoxine du type Portimine A et la pinatoxine. Néanmoins jusque-là, les scientifiques restaient dans le flou, il y avait bien deux toxines, mais aucune d’entre elles, n’étaient connu pour rapporter les symptômes cutanés observés, selon l’expert.
« On a vite compris qu’il devait y avoir un lien entre la presence des biotoxine et cette maladie mystérieuse, mais impossible de le démontrer. Il n’y avait aucune publication scientifique qui aurait pu expliquer ce processus de dermatite aiguë, constaté sur la peau des pêcheurs », dit Patrice Brehmer.
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Crédit photo, IRD/Patrice Brehmer
Mais les faisceaux de présomption ont conduit le Prof Mamadou Fall du Centre anti-poison de Dakar à adresser une note aux autorités sanitaires que la maladie est causée par une toxine qui vient d’une microalgue appelée Vulcanodinium rugosum.
Le fait que des symptômes similaires avaient été découverts à Cuba à la suite des recherches de mon collègues Philipp Hess de l’Ifremer, et du montage d’un consortium de scientifiques autour de Etienne Meunier du CNRS, on a enfin eu la démonstration que « la Portimine A qu’on avait trouvé dans les eaux de fond de pirogue au Sénégal, peut déclencher des inflammations cutanées sur les cellules de la peau humaine », selon Dr Patrice Brehmer.
« Sur la base de nos analyses et avec le concours de nos partenaires français, nous avons rapidement opté pour l’hypothèse d’une biotoxine et informé les autorités compétentes dès novembre 2021, sur la forte présomption du rôle de la Portimine A produite par Vulcanodinium rugosum, car de fortes concentrations de Portimine A avaient été collectées par une équipe composée par l’IRD, le Centre Anti Poison, la gendarmerie de l’Environnement, et l’UCAD dans une embarcation opérant dans la zone contaminée », explique Pr Mamadou Fall, chef de service du Centre antipoison de Dakar au Sénégal et Directeur du Laboratoire de Toxicologie et d’hydrologie de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Pas de remède au mal
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Crédit photo, Ifremer/Kenneth Mertnes
« On n’a pas de remède pour éradiquer cette microalgue du milieu; il faut apprendre a vivre avec », déclare Patrice Brehmer. Une information qui ne rassure pas les pêcheurs. Il s’est toutefois réjoui du fait qu’on puisse désormais éviter des erreurs diagnostiques et orienter les formations sanitaires pour répondre à la problématique.
En 2021 déjà, les experts avaient formulé quelques recommandations aux pêcheurs, notamment de mettre des gants et des bottes en allant en mer, de ne pas se toucher le visage ni les parties intimes et d’avoir de l’eau douce dans la pirogue pour se rincer une fois que le filet a été remonté. Une fois à quai ou revenu à la plage, rincer le matériel de pêche avec de l’eau douce et vidanger la pirogue. « Ces recommandations sont encore valables aujourd’hui ».
Les experts sont unanimes qu’il n’y a aucun problème quant à la consommation des produits de la pêche.
Les perspectives de ces études
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Crédit photo, IRD/Patrice Brehmer
L’étude menée par les scientifiques met en lumière l’impact croissant des toxines environnementales sur la santé humaine, dans un contexte du changement global, notamment du dérèglement climatique et de l’accroissement des flux liés au transport maritime. Et la probabilité selon ces experts est que la présence de cette microalgue est due au transport maritime.
« En effet, les modifications des températures, de l’acidité, de l’oxygénation et des courants océaniques favorisent la prolifération et la redistribution de certains micro-organismes marins, comme les dinoflagellés toxiques. Le trafic maritime favorise aussi la dissémination d’espèces marines d’un écosystème à un autre, notamment par les eaux de ballast », indiquent les résultats du travail des experts.
La perspective au niveau écologique sera désormais de chercher comment cette microalgue est arrivée au Sénégal, et pourquoi elle est restée au large durant 2 années consécutives, selon Patrice Brehmer. « C’est assez surprenant. Parce que là où on connaît Vulcanodinium rugosum, c’est notamment dans des zones très côtières voire lagunaires. Mais au Sénégal comme en Guinée, ça n’a pas été le cas ».
L’épidémie de dermatite associée à la Portimine A illustre les risques imprévisibles que les transformations subies par les écosystèmes marins peuvent entraîner. Elle souligne aussi l’urgence de surveiller les espèces marines productrices de toxines, de comprendre leurs mécanismes d’action et d’adaptation, et de développer des solutions pour prévenir et traiter les menaces qui pèsent sur la santé humaine.
Avec ces études, les scientifiques ont également découvert que certaines personnes possédant une mutation génétique dans le gène NLRP1 sont protégées contre les effets de la Portimine A.
« Ces résultats ouvrent des perspectives de recherche notamment dans la lutte contre le cancer et d’autres maladies, afin de comprendre pourquoi tout le monde n’est pas affecté de la même manière et d’identifier de nouvelles cibles thérapeutiques potentielles, comme le NLRP1, pour atténuer les effets des toxines comme la Portimine A ».
Quant à la maladie dont ont souffert les pêcheurs au Sénégal il y a cinq ans, elle n’est plus un mystère. Elle n’est pas contagieuse, ne touche pas les produits halieutiques. Mais on ne sait pas si elle va revenir ou si elle est définitivement partie.
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