« Imposer une administration par la force militaire et réussir à convaincre la population d’adhérer à un projet politique alternatif sont deux choses différentes, souligne un diplomate de la région sous le couvert de l’anonymat. Depuis leur prise de Goma, la capitale provinciale du Nord-Kivu, puis celle du Sud-Kivu, Bukavu, les rebelles du M23, soutenus par le Rwanda, se retrouvent confrontés à une question essentielle : comment administrer deux métropoles de plus d’un million d’habitants, sans aucune expérience préalable en gouvernance civile ?
Ce jeudi 20 février, les rebelles ont d’abord misé sur la visibilité. À Bukavu, où les rues étaient autrefois envahies de déchets, une agitation soudaine s’empare de la ville. Un « salongo spécial » – une vaste opération de nettoyage imposée par les nouvelles autorités – est décrété. Munis de bêches et de râteaux, des milliers d’habitants s’y joignent, bon gré, mal gré.
« Ils ont peur d’être frappés par les rebelles, une rumeur qui circule en ville. C’est une manière pour les nouvelles autorités de s’imposer et de montrer qu’elles assainissent la ville, qu’on le veuille ou non », confie Faustin, un habitant de Bukavu.
Une mise en scène déjà observée à Goma, quelques jours après la chute de la ville. Là encore, si certains participaient volontairement, d’autres, nombreux, affirmaient avoir reçu des menaces de représailles en cas de refus.
« Qui va payer les professeurs ? »
Si les rebelles ont promis d’assainir Goma et Bukavu, ils peinent à relancer les activités économiques et les universités restent fermées. « Qui va payer les professeurs ? Qui nous délivrera nos diplômes ? » s’inquiète un étudiant à Bukavu. L’incertitude demeure : l’État central à Kinshasa, ou le M23 ? Et surtout, avec quel financement ? Les banques sont fermées et la liquidité, notamment en dollars, se fait déjà rare. « Les rebelles ont promis de faire baisser le taux du dollar », pense savoir notre étudiant.
Concrètement, pour relancer l’activité économique, le nouveau gouverneur du Nord-Kivu, Bahati Musanga Joseph, a convoqué les responsables bancaires. D’après l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique, les établissements financiers de Goma ont souligné leur dépendance totale à Kinshasa, tandis que le gouverneur aurait suggéré d’entamer des négociations avec les institutions financières de la capitale pour débloquer des fonds, quitte à passer par l’Ouganda. Une démarche incertaine, qui ne semble pas figurer parmi les priorités du gouvernement de Félix Tshisekedi.
Remplacer les autorités
Dans ces deux laboratoires de gouvernance que sont Goma et Bukavu, les rebelles s’attachent aussi à investir les lieux du pouvoir déchu. À Goma, ils ont installé leur centre de commandement dans les locaux du gouvernorat, siège de l’autorité provinciale, marquant ainsi leur emprise sur la ville. Même stratégie à Bukavu, où ils ont pris le contrôle des anciennes bases militaires et policières des FARDC.
En parallèle, une nouvelle administration a été imposée. Le 6 février, des centaines de milliers de Gomatraciens, rassemblés – parfois de force – au Stade de l’Unité, ont assisté à la présentation du gouverneur Bahati Musanga Joseph, issu de l’Alliance Fleuve Congo (AFC), et de ses deux vice-gouverneurs, en présence de Corneille Nangaa, leur chef. Une mise en scène destinée à affirmer une rupture nette avec Kinshasa, dont le gouverneur officiel, désigné par le pouvoir central, n’a pas pu prendre ses fonctions sur place.
« Recycler » les FARDC
Dans l’attente d’un grand meeting similaire à Bukavu, où Corneille Nangaa devrait officialiser de nouveaux dirigeants pour le Sud-Kivu, les nouvelles autorités des « zones libérées » misent sur une vieille recette : recycler les ennemis d’hier en alliés d’aujourd’hui.
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Le 30 janvier, une vingtaine de camions chargés de centaines de soldats FARDC capturés par le M23 ont quitté Goma en direction de Rumangabo, une ancienne base de l’armée congolaise désormais sous contrôle rebelle. Corneille Nangaa, depuis le confort d’un fauteuil de l’hôtel Serena de Goma, justifie cette manœuvre : « Les démobilisés qui veulent garder leur uniforme deviendront membres de l’armée révolutionnaire congolaise. » Mais sans préciser les conditions de leur intégration.
Le même processus semble se répéter à Bukavu. Samedi 22 février, 750 soldats FARDC y ont été présentés comme des « volontaires » par Lawrence Kanyuka, porte-parole du M23, avant d’être envoyés vers le Nord-Kivu. À cela s’ajoutent 1 320 civils et 1 800 anciens policiers, enrôlés à leur tour et transférés vers Goma pour une formation militaire.
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