pour le Rwanda, jusqu’où ne pas aller trop loin

L’armée congolaise ne fait pas le poids face aux rebelles du M23. Mais la pression monte sur le sponsor rwandais. Quels sont les agendas des parties au conflit?

Avec le soutien de plus de 3.000 militaires du Rwanda voisin, les rebelles du M23 se sont emparés de Goma, la grande ville de l’est du Congo, au bord du lac Kivu, avant de contrôler Bukavu et de descendre vers Uvira et la frontière burundaise. Les deux aéroports de l’est sont désormais entre leurs mains. Le président Félix Tshisekedi encaisse les coups et cherche la parade, tandis que la pression internationale monte sur le Rwanda. Comment comprendre les stratégies mises en œuvre? Les réponses à cinq questions.

1. Quels sont les objectifs de l’AFC/M23?

Piloté depuis Kigali, le Mouvement du 23 mars (M23) affirme défendre les Tutsis congolais contre les discriminations, et vouloir contrer toute attaque contre le Rwanda de la part des FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda, liées aux génocidaires de 1994), mais ses détracteurs affirment que c’est le pillage des ressources qui est son moteur. L’Alliance fleuve Congo (AFC), menée par Corneille Nangaa, est le bras politique de la rébellion.

Les objectifs du M23 et de l’AFC ne sont pas forcément alignés. «Le M23 prône un dialogue avec Kinshasa mais sans revendications concrètes, alors que l’AFC nourrit une approche insurrectionnelle: il s’agit de renverser le régime Tshisekedi et de libérer le Congo», analyse un attaché militaire européen. Selon lui, l’AFC/M23 est «une alliance plutôt tactique, qui donne à la première une assise stable pour forcer Kinshasa à commencer des négociations».

Quant au Rwanda, son objectif principal est de créer une zone tampon («buffer zone») qui serait inscrite dans une verticalité menant du Nord-Kivu jusqu’à Kalemie, fief de l’ancien président Joseph Kabila. Celui-ci vient d’accuser la «mauvaise gouvernance» de son successeur Félix Tshisekedi d’être à la source des troubles dans l’est. De quoi renforcer l’argumentaire de l’AFC… «Cette « buffer zone », si elle se maintient, rendrait la position de Tshisekedi de plus en plus instable», note Erik Gobbers, de l’institut anversois Ipis (International Peace Information Service).

Le M23/AFC poursuivra-t-il jusque Lubumbashi, la capitale économique du Congo? «C’est possible, mais ce serait prendre le risque d’allonger encore plus les chaînes logistiques», estime l’attaché militaire. Selon lui, le Rwanda ne projette pas d’annexer le Kivu, ni de changer les frontières. «Les dirigeants rwandais savent que ce serait inacceptable pour les partenaires africains et occidentaux.»

2. Peut-on comparer cette offensive avec la guerre de 1996?

L’actuel conflit présente de fortes similitudes avec ce qu’on a appelé la première guerre du Congo. Le 30 août 1996, l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Zaïre (AFDL), menée par le maquisard Laurent-Désiré Kabila, père de Joseph, se met en branle à l’est du pays avec pour objectif de renverser le président Mobutu. Cette force n’était congolaise qu’en apparence: le commandement était principalement rwandais, avec en tête James Kabarebe, toujours actif aujourd’hui. De nombreux combattants étaient rwandais. En neuf mois, l’AFDL a renversé le régime Mobutu, et pris la tête du pays.

Corneille Nangaa serait-il le nouveau Laurent-Désiré Kabila? «Le contexte est différent, nuance Erik Gobbers. Contrairement à Kabila, Nangaa a fait partie de l’élite politique, il a même été président de la commission électorale congolaise qui a validé l’élection très contestée de Félix Tshisekedi en 2018.» Pour l’attaché militaire, «le Rwanda veut un Congo faible, mais il y a plein d’autres possibilités que Corneille Nangaa à sa tête». Seul point commun aux deux époques: Kigali exerce un contrôle direct sur les opérations. «Nous savons aujourd’hui avec certitude qu’une partie de l’état-major rwandais se déplace sur le terrain pour vérifier la situation», confie le militaire.

L’ancien chef d’état-major rwandais James Kabarebe (photographié ici en 2005) est sanctionné par Washington pour son soutien au M23. © GETTY

3. Quelle est la stratégie de Kinshasa?

Les FARDC (forces armées congolaises), qui seraient 200.000 au total, sont aujourd’hui dans une posture réactive car Kinshasa n’a plus beaucoup d’options pour vaincre la rébellion. Ses échecs politiques, tactiques et stratégiques continus ont enhardi le M23. «Des défaillances profondes», résume l’attaché militaire, qui cite le manque d’entraînement, de carburant, de nourriture, la corruption, les coalitions disparates avec des troupes africaines…

Au début de son mandat, Félix Tshisekedi avait pourtant noué des liens étroits avec le président rwandais Paul Kagame. Son objectif était d’accroître le contrôle sur l’est du Congo en répondant aux préoccupations rwandaises en matière de sécurité. Mais en ne prenant pas en compte les griefs locaux, cette politique était vouée à l’échec. Les relations se sont finalement détériorées, au point que Tshisekedi a fini par comparer Kagame à Hitler. Aujourd’hui, le président congolais persiste à refuser tout dialogue avec le M23. Et ne prône aucune mesure, à l’égard du Rwanda comme de son opposition, pour freiner l’escalade.

«Félix Tshisekedi persiste à refuser tout dialogue avec le M23.»

4. Faut-il craindre une nouvelle guerre régionale?

En août 1998, les tensions entre le président Laurent-Désiré Kabila et ses anciens alliés du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi ont commencé à s’exacerber. Kabila accusait les Rwandais d’être un peu trop intrusifs et de s’en mettre plein les poches en pillant le pays. Kigali estimait, au contraire, que Kabila père développait des liens avec les anciennes forces rwandaises et menaçait donc le Rwanda, tandis que se poursuivaient des massacres de Tutsis banyamulenge. Une opération aéroportée visant à faire main basse sur l’ouest du pays s’est avérée un échec cuisant pour James Kabarebe.

C’est alors que l’ex-Zaïre est devenu le terrain de conflits entre de multiples forces irrégulières, toutes aidées par différents Etats. Ainsi, dans l’est, le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), a reçu le soutien de l’Ouganda et du Rwanda, jusqu’à la scission du RCD sur fond de rivalités entre ses deux parrains qui en sont venus à se battre sur le sol congolais pour préserver leurs acquis économiques. Pendant ce temps, Kinshasa a pu compter sur le soutien militaire de l’Angola et du Zimbabwe.

En 2025, voilà que ce sont les Sud-Africains et les Burundais qui viennent en support de l’armée congolaise. Mais les soldats burundais, non payés, livrés à eux-mêmes, ont battu en retraite. Quant aux Sud-Africains, 700 à 800 hommes sont présents à Lubumbashi, la deuxième ville du pays. «Mais leurs intentions ne sont pas claires. S’agit-il de faire barrage au M23 ou de protéger les intérêts sud-africains à Lubumbashi, où ils sont très actifs dans la sous-traitance de l’industrie minière?», s’interroge un diplomate européen. Quant au Tchad, qui était venu à la rescousse de Kabila en 1998, il vient de décliner la demande congolaise d’envoyer des renforts militaires.

Au nord-est, «l’armée ougandaise vient d’investir Bunia, la capitale de l’Ituri, complète Erik Gobbers. IIs étaient déjà présents au Congo, invités par le gouvernement pour combattre les rebelles islamistes des Forces démocratiques alliées (ADF). Le gouverneur militaire a communiqué à la population que les Ougandais sont arrivés « en amis » pour contrer le M23. Comme le M23 est en train d’avancer vers le nord, cela pourrait augmenter le risque de confrontation». Mais dans un tweet, le président ougandais Yoweri Museveni a déjà calmé le jeu: «Notre présence au Congo n’a rien à voir avec le combat contre le M23.»

5. Quelle sortie de crise possible?

Aujourd’hui, la pression monte sur le Rwanda, depuis que le Conseil de sécurité –et c’est une première– a demandé explicitement au Rwanda, le 21 février, de cesser de soutenir les rebelles du M23 et de retirer immédiatement et «sans conditions préalables» ses troupes de l’est du Congo. Pour la Belgique, c’est l’aboutissement d’un travail en coulisse, au nom de la cohérence entre les différents dossiers internationaux. «Adopter un seizième paquet de sanctions contre la Russie qui a envahi l’Ukraine et s’en tenir à de vagues déclarations à propos du Rwanda qui occupe le Congo n’était plus tenable», commente un expert du dossier, qui souligne aussi les «violations scandaleuses commises par les rebelles à Goma». Mais de sanctions, il n’est pas encore question.

Piqué au vif par l’activisme belge, le Rwanda a choisi de suspendre le programme bilatéral de développement. Il n’a fait qu’anticiper une décision qui avait déjà été prise à Bruxelles… Mais Kigali fait désormais face à un front de plus en plus uni, où se retrouvent même Washington et Londres, les alliés de longue date du régime. Cette fermeté ne se dément pas depuis l’arrivée de Donald Trump. Le Trésor américain a ainsi annoncé des sanctions contre James Kabarebe, devenu ministre d’Etat rwandais chargé de l’intégration régionale, et Lawrence Kanyuka, porte-parole de la rébellion, pour leur rôle central dans le soutien au M23. De quoi déforcer un peu plus la position rwandaise.

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