Relancer l’exploration pétrolière en Guyane Française ? Trois questions pour y voir plus clair


Il y a du pétrole, mais rien d’exploitable n’a encore été trouvé. La Guyane possède des fonds marins où des fosses, créées il y a une centaine de millions d’années par la séparation de l’Afrique et de l’Amérique du Sud, sont remplies de sédiments. Les premières explorations remontent à Elf Aquitaine et Esso qui ont foré deux puits sans succès dans les années 1970. Les recherches ont recommencé de 2001 à 2019 dans le cadre d’un permis de recherche exclusif appelé «Guyane Maritime». Le 9 septembre 2011, le britannique Tullow Oil ainsi que ses partenaires Shell et TotalEnergies ont même cru toucher au but.


À 150 km au large de Cayenne, un forage de plus de 5500 mètres de profondeur a trouvé du pétrole «d’une qualité intéressante». Tullow Oil n’hésitait pas à parler de «découverte pionnière [qui ouvrait] une nouvelle géographie pour le monde du pétrole et du gaz». Selon un rapport d’information de l’Assemblée nationale publié en 2023, «les géologues présumaient à cette époque que les réserves étaient considérables, de l’ordre de celles du Kazakhstan [30 milliards de barils selon l’OPEP ndlr]». Depuis, les autres puits forés n’ont pas permis de confirmer que le réservoir était exploitable, ni d’en trouver d’autres semblables. En 2019, TotalEnergies a finalement jeté l’éponge. Au Sénat, en avril 2024, Patrick Pouyanné, le PDG du groupe français, n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. «Vous n’avez pas entendu beaucoup TotalEnergies râler quand il y a eu la loi Hulot. Il n’y a pas d’hydrocarbures en Guyane. Je suis allé voir le président du Conseil de Guyane, avait assuré le dirigeant. […] On a trouvé des hydrocarbures au Suriname. Je peux venir avec les cartes géologiques et expliquer pourquoi le bassin du Suriname […] ne se prolonge pas à l’est du Suriname et en Guyane.»


Où en est-t-on aujourd’hui ? Selon un rapport publié en 2018 par le groupe pétrolier, voici l’état des recherches dans les trois zones du permis Guyane Maritime. La zone est, au large de Cayenne, est la mieux connue : elle est entièrement couverte par des données sismiques 3D (qui permettent de visualiser les structures souterraines et les couches sédimentaires) et cinq puits y ont été forés. La zone centrale, au large de Kourou, est partiellement couverte par des données sismiques 3D et a été la dernière explorée avec un puits réalisé en 2019. Enfin la zone du plateau de Demerara, à la frontière avec le Suriname, n’est couverte que par des données sismiques 2D. Explorée par Elf et Esso, elle est moins profonde donc plus accessible pour l’exploration.


Pourquoi la reprise de l’exploration est une question sensible en Guyane ?


Parce que l’espoir de changement qu’elle suscite est grand. La question du pétrole a pris une autre dimension dans la population guyanaise depuis la découverte d’un gisement providentiel de 11 milliards de barils au Guyana, à seulement 350 kilomètres de la frontière française. Encore plus près, TotalEnergies a annoncé en 2023 près de 9 milliards de dollars d’investissement au Suriname pour y exploiter des réserves estimées à 700 millions de barils. Enfin, le président brésilien Lula vient de donner le feu vert à l’exploitation du pétrole dans l’État de l’Amapà, lui aussi voisin de la Guyane. «Les guyanais ne comprendront pas qu’ils continuent à être dans la pauvreté, vivants de transferts publics, alors qu’à côté on va avoir des voisins riches, déplore le sénateur (RDPI) Georges Patient qui vient de remettre la question du pétrole sur le tapis face à Manuel Valls et a rencontré dans la foulée le cabinet de Marc Ferracci, ministre de l’Industrie. Les gens ne croient pas qu’il n’y aurait pas de pétrole chez nous alors qu’il y en a partout autour.»


L’or noir est vu comme un levier de croissance inespéré dans un département où plus de 50% de la population vit avec moins de 600 euros par mois. «La Guyane a été mise sous cloche depuis très longtemps, estime Jean-Victor Castor, député (Mouvement de décolonisation et d’émancipation sociale) de la 1re circonscription de Guyane. Je n’ai pas une religion sur le pétrole et le gaz, mais la Guyane a un potentiel inestimable de ressources. Si on ne les utilise pas, elles le seront par d’autres.» L’exemple de l’or, dont «neuf tonnes sont exploitées illégalement en forêt Amazonienne pour une seule extraite dans les règles», revient comme l’exemple de ce que ne veulent plus les élus pour leur territoire. Le député indépendantiste estime aussi que la France fait preuve «d’hypocrisie» en développant son réseau diplomatique au Guyana et au Suriname, où TotalEnergies à des participations dans des projets offshore, tout en interdisant la recherche d’hydrocarbures en Guyane. Au Sénat, Patrick Pouyanné avait estimé, lui, que TotalEnergies avait rempli sa mission au large de Cayenne. «Je pense qu’on a foré beaucoup [de puits] parce que c’était en France. […], a indiqué ce dernier. Donc voilà, je confirme mes propos sur le fait qu’il n’y a pas d’hydrocarbures en France.»


En attendant, les élus guyanais le disent : si du pétrole est un jour exploité en Guyane, il faudra que la manne profite à la population. La formation d’une main-d’œuvre locale et la création d’un fonds souverain piloté par la collectivité territoriale figurent parmi les pistes évoquées.


Que dit la loi Hulot et comment pourrait-elle évoluer ?


Adoptée en 2017, la loi Hulot interdit d’attribuer de nouveaux permis de recherche d’énergies fossiles et limite le renouvellement des concessions existantes à 2040. Impossible donc d’accorder un nouveau permis de recherche pour chercher du pétrole au large de la Guyane après la fin du dernier en 2019. Une proposition de loi pourrait être déposée par un parlementaire pour permettre une exception à la loi pour la Guyane. «J’ai demandé à mes services d’étudier la conventionnalité d’une éventuelle initiative parlementaire», a indiqué Manuel Valls en ce sens.


Selon nos informations, le ministère des Outre-mer regarde actuellement si cette loi serait compatible aux engagements internationaux de la France de sortir des énergies fossiles d’ici à 2050. Il faudrait aussi qu’elle ne viole pas le principe constitutionnel qui donne le droit aux «générations futures» à vivre «dans un environnement équilibré et respectueux de la santé». Pour y parvenir, le ministère étudie quelles normes environnementales sont prévues pour l’exploitation pétrolière au Suriname et au Guyana.


Reste qu’au sein même du gouvernement, la position de Manuel Valls fait débat. Revenir sur la loi Hulot «n’aurait pas de sens [dans le] contexte où les énergies fossiles sont responsables du dérèglement climatique», regrette ainsi Agnès Pannier-Runacher la ministre de la Transition écologique. Lors de la dernière campagne d’exploration en 2018, plusieurs associations environnementales ont aussi pointé les risques de l’activité pour l’écosystème fragile de la Guyane, aussi bien pour ses mangroves que pour le récif corallien de l’Amazone d’une superficie d’au moins 56 000 km².

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