Alors que le souvenir de la Conférence des forces vives de la nation tenue du 19 au 28 février 1990 à Cotonou semble commencer à s’effriter dans la mémoire collective au Bénin, l’Église catholique a décidé d’arracher à l’usure du temps le souvenir de ces assises historiques pour la démocratie dans ce pays d’Afrique de l’ouest. D’autant plus que Mgr Isidore de Souza (1934-1999) qui les a conduites est considéré par de nombreux Béninois comme le père de la démocratie béninoise.
Ainsi, au Bénin, les 28 février ont été décrétés l’an dernier par l’épiscopat « Journée nationale du relèvement de la nation et des cadres et personnalités politiques ». « L’objectif principal est de nous encourager à honorer constamment la mémoire de la Conférence nationale, souligne Mgr Roger Houngbédji, président de la Conférence épiscopale du Bénin, (CEB). Elle vise aussi à nous convertir continuellement, à œuvrer pour que, sous l’inspiration de Dieu, les vraies valeurs et la dignité humaine soient toujours respectées dans notre société ».
Dans ce cadre, l’Église a organisé une messe solennelle le 27 février, et un colloque le 28 février, présenté par le président de la CEB comme « un rendez-vous scientifique de réflexions et d’engagement en faveur de la construction du Bénin » qui « s’inscrit fondamentalement dans la démarche pastorale de l’Église catholique au Bénin ».
« Nous avons un parti unique multipolaire »
Au cours de ce premier colloque, plusieurs participants de la Conférence de 1990 ont fait le bilan du parcours démocratique au Bénin. « Trente-cinq ans après, mes sentiments sont mitigés » soupire Alain Adihou qui représentait à l’époque la jeunesse catholique. « Je soupçonnais déjà à la sortie de cette conférence une récupération de la victoire du peuple travailleur du Bénin par l’élite politique nationale », fait remarquer cet ancien ministre.
De même, ajoute-t-il, « à la Conférence nationale, nous avons fixé les grands principes et repères qui devaient désormais aider à construire notre vivre-ensemble : le multipartisme, le libéralisme économique, etc. ». Cependant, « il revenait aux gouvernants de préciser les modes opératoires de ces principes et règles ; ce ne fut pas le cas ». En conséquence, déduit-il, « les vieux démons ont resurgi très tôt ».
« Si c’était à faire, je le referais ! », assure pour sa part, Me Robert Dossou, un des instigateurs de ces assises. Pourtant, le juriste pour qui l’État de droit est le principal baromètre de la démocratie semble déçu : « Aujourd’hui, je considère que nous n’avons plus de démocratie ; nous avons un parti unique multipolaire, à plusieurs têtes ; une voix unique et on n’a plus le droit de dire librement ce que l’on pense ».
Quelle efficience pour la parole politique de l’Église aujourd’hui au Bénin ?
Mais il n’y a pas que les attentes démocratiques qui ont été déçues selon les participants à ce Colloque. Le poids de la parole politique de l’Église catholique au Bénin s’est également effrité au fil des années. « À l’époque de la Conférence nationale, l’Église était très crainte. Les évêques inspiraient un grand respect, se souvient, nostalgique, Jacques Tossavi, la soixantaine, fidèle catholique d’Abomey-Calavi. Aujourd’hui, on a l’impression que les évêques ne sont plus écoutés par les gouvernants ».
Pourquoi ? « C’est la crainte de Dieu de la part du général Mathieu Kérékou (président de la République du Bénin en 1990 où se tenait conférence nationale, NDLR) doublée de son humilité et de son respect du peuple qui a justifié le bon accueil et l’écoute des propositions de Mgr Isidore de Souza tout au long de la conférence », analyse l’ancien ministre Alain Adihou. À ses yeux, « l’absence de ces valeurs au niveau des dirigeants d’aujourd’hui explique le peu d’écoute faite à la parole de l’Église ».
En tout état de cause, la question de l’efficience de la parole politique de l’Église catholique au Bénin était déjà l’une des préoccupations des fidèles à l’occasion des consultations pour le synode sur la synodalité. À cet égard, la synthèse nationale du synode sur la synodalité rendue publique le 10 août 2022 indiquait que « les fidèles consultés proposent l’amélioration de la qualité de la parole sociopolitique de l’Église au regard de la non prise en compte des propositions de l’Église par le pouvoir politique ces dernières années ».
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