RD Congo : Kabila, l’ombre d’un retour


Sa parole est rare. Après six ans de silence, Joseph Kabila est sorti de l’ombre. Dans une tribune publiée le 23 février 2025 par The Sunday Times basé en Afrique du Sud, l’ancien président congolais relance les spéculations autour d’un retour sur la scène politique alors que les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda ont pris deux villes stratégiques de l’est de la République démocratique du Congo.

Sénateur à vie depuis son départ du pouvoir en janvier 2019, Kabila avait cédé sous pression populaire après avoir prolongé son mandat bien au-delà de son échéance officielle, en décembre 2016, plongeant la RDC dans une crise profonde. Après son retrait, il s’est consacré au monde académique. En 2021, il a décroché un master en sciences politiques, suivi de la publication d’un essai sur ses 18 ans de présidence : Du désespoir à la stabilité : vers la renaissance de la RDC. Trois ans plus tard, il entame un doctorat en relations internationales à l’université de Johannesbourg, avec une thèse consacrée aux relations entre la Chine et la RDC dans un contexte de rivalités géopolitiques mondiales.

Son retour médiatique n’a rien d’anodin. Selon ses proches, il s’inscrit dans une stratégie plus large : Kabila veut reprendre pied dans le jeu politique congolais et relancer son parti, le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD).

Sur le terrain, les tensions avec Félix Tshisekedi n’ont cessé de s’intensifier. La coalition FCC-CACH, issue de leur accord, a volé en éclats, laissant place à une défiance mutuelle. En 2023, Kabila interdit même à ses partisans de briguer un mandat sous l’administration Tshisekedi, signe d’une rupture assumée. Pourtant, en coulisses, il manœuvre. Le 19 février 2025, il nomme Aubin Minaku vice-président du PPRD et Emmanuel Shadary secrétaire permanent, réorganisant son parti en vue des échéances à venir.

Joseph Kabila ne mâche pas ses mots contre la gouvernance actuelle

Dans sa tribune, Kabila se pose en observateur critique du régime actuel : « L’implosion est imminente. Si le problème congolais n’est pas traité en profondeur, la crise persistera bien au-delà du conflit avec le Rwanda. »

Un message qui, pour certains, ressemble moins à une analyse qu’à un avertissement. Pour Ferdinand Kambere, secrétaire permanent du PPRD, cette prise de parole était inévitable, notamment face à la crise sécuritaire sous le régime de Félix Tshisekedi. « Cette tribune était attendue par l’ensemble de la population. Pendant longtemps, certains ont accusé le Raïs d’être responsable du M23 et de l’AFC, cherchant à masquer leur propre incapacité à gérer le pays. Pourtant, il est évident que le M23 actuel découle directement des accords conclus sous Félix Tshisekedi. Ce même M23, qui avait été défait par Joseph Kabila en 2013, a ressurgi sous ce régime. » Selon lui, Kabila cherche avant tout à rappeler à l’opinion nationale et internationale que la situation actuelle est le résultat de l’échec du pouvoir en place, notamment dans la gestion de l’intégrité territoriale et de la sécurité du pays.

Du côté du camp présidentiel, cette intervention a été reçue avec hostilité. Jean-Michel Kalonji, coordonnateur de la Mosaïque 2A TDC, affiliée à l’UDPS, fustige une déclaration inopportune. « Kabila aurait mieux fait de rester fidèle à son silence légendaire, ce même silence qu’il avait lui-même prôné en affirmant que les paroles ne valent parfois pas mieux que le silence. » Il va plus loin, accusant l’ancien président d’un manque total de compassion alors que le pays traverse une crise humanitaire sans précédent. « Plus de 3 000 morts, des millions de déplacés, des violations des droits humains quotidiennes… et Joseph Kabila ne trouve rien d’autre à faire que de qualifier le combat du M23 de “légitime” ? C’est une trahison de sa propre position de 2012, lorsqu’il dénonçait ce groupe comme terroriste et avait négocié son retrait de Goma. » Pour Kalonji, cette prise de parole est avant tout une tentative de déstabilisation politique. « Certains acteurs, mus par des ambitions personnelles, n’hésitent pas à encourager le chaos et la violence pour reprendre le pouvoir, au lieu de chercher de véritables solutions à la crise. »

Alors que la RDC fait face à une situation explosive, cette sortie médiatique de Joseph Kabila ne fait que raviver les tensions. Retour stratégique ou simple mise au point ? Une chose est sûre : son ombre plane toujours sur l’échiquier politique congolais.

Un retour calculé

Trésor Kibangula, analyste politique à Ebuteli, une institution de recherche congolaise sur la politique, la gouvernance et la violence, considère la sortie médiatique de Joseph Kabila comme une manœuvre stratégique bien calculée, visant à se repositionner sur la scène politique congolaise. « Son texte est conçu comme un acte d’accusation, dénonçant la dérive autoritaire du régime et l’échec de la réponse militaire à la crise sécuritaire à l’Est. Mais ce qui frappe, c’est l’absence totale d’autocritique. Kabila défend un cadre institutionnel – celui issu du dialogue de Sun City – qu’il a lui-même contribué à affaiblir. Il critique les élections truquées de 2023 sans jamais mentionner le deal politique qui a permis l’alternance pacifique au détriment du véritable verdict des urnes. Il dénonce la concentration des pouvoirs entre les mains de Tshisekedi, mais oublie les 18 années durant lesquelles son propre régime reposait sur une forte centralisation du pouvoir. »

Pour Kibangula, cette prise de parole n’est pas uniquement motivée par un désir de dénoncer les dérives du régime, mais aussi par l’intention de se remettre en avant comme une alternative politique face à la crise. « Joseph Kabila ne parle jamais sans raison. Son silence depuis 2019 faisait partie d’une stratégie de discrétion, probablement pour éviter d’être dans la ligne de mire des critiques concernant son bilan. Aujourd’hui, il choisit de s’exprimer au moment où la situation est tendue : une grave crise sécuritaire, un climat politique fragile et une contestation croissante de Félix Tshisekedi. Il se positionne comme une alternative, ou du moins comme un acteur incontournable dans la gestion de la crise. »


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Cependant, selon l’analyste, « Kabila délivre un message qui, bien qu’ayant des fondements légitimes, souffre d’un biais majeur : il ignore ses propres responsabilités dans la fragilisation du cadre démocratique du pays. Cette absence d’autocritique limite la portée de son discours et complique sa réhabilitation auprès d’une partie de l’opinion publique. »

Son intervention constitue autant une critique acerbe du pouvoir actuel qu’un effort pour redorer son image et peser sur l’avenir politique du pays. Ce n’est pas encore une déclaration de retour officiel, car il semble s’adresser avant tout à l’opinion publique sud-africaine à travers un média local. Néanmoins, « cela marque clairement un premier pas vers une nouvelle phase de repositionnement », conclut-il.


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