Pourquoi la France va reverser 120 millions d’euros de sa TVA à Monaco en 2025 ?

Depuis 1963, tous les ans, la France reverse une fraction de sa propre TVA à Monaco. Ces dernières années, cette somme correspond à 100 millions d’euros, en moyenne, pour chaque exercice budgétaire. En 2025, Monaco va recevoir 120 millions. Mais pour quelles raisons ?

Chaque année, la France reverse, en moyenne, plus de cent millions d’euros de sa propre TVA à Monaco. Surprenant de prime abord, à l’heure où Bercy (1) tente, tant bien que mal, de faire des économies pour réduire la dette de l’État [3 228,4 milliards d’euros, soit 112 % du PIB, selon les derniers chiffres de l’Insee, du deuxième trimestre 2024 — NDLR]. Mais il s’agit d’une vieille pratique, entamée entre le France et Monaco depuis la convention fiscale franco-monégasque du 18 mai 1963, qui a permis à Monaco d’appliquer la loi française sur son territoire en matière de TVA, pour encaisser ses propres recettes sous les mêmes règles fiscales. Depuis cette date, ces montants sont reçus au titre de ce que l’administration fiscale appelle le « compte de partage ». Cette décision est née après la « crise » du blocus imposée par le général De Gaulle (1890-1970) et cette fameuse nuit du 12 au 13 octobre 1962, pendant laquelle le chef d’État français a envoyé ses douaniers et gendarmes mobiles pour faire pression sur le prince Rainier III, sur des sujets à dominante fiscale. Malgré une série de conventions et de concessions liant les deux pays, des désaccords persistaient encore sur l’impôt des résidents français et des entreprises travaillant avec la France.

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À l’issue des négociations, Monaco a adopté une nouvelle Constitution en décembre 1962, et une nouvelle convention fiscale franco-monégasque, signée le 18 mai 1963 à Paris. Cette nouvelle convention a mis en place un impôt sur les bénéfices pour certaines entreprises installées en principauté, et elle a défini surtout le régime fiscal à appliquer aux Français, résidents de Monaco, les obligeant à payer l’impôt français, s’ils sont nés après la signature de cette convention fiscale. En contrepartie, les deux gouvernements s’accordent pour répartir mutuellement les produits de leurs TVA respectives. Il s’agit du système de compte de partage, mis en place pour rétablir ce qu’auraient été les recettes de TVA des deux États, s’ils avaient formé deux territoires bien distincts en terme de taxe.

Le « compte de partage » est né après la « crise » du blocus imposée par le général De Gaulle (1890-1970) et cette fameuse nuit du 12 au 13 octobre 1962 (notre photo), pendant laquelle le chef d’État français a envoyé ses douaniers et gendarmes mobiles pour faire pression sur le prince Rainier III, sur des sujets à dominante fiscale. © Photo G. Lukomski / Archives Palais princier de Monaco

Deux territoires, une seule TVA

Depuis la convention franco-monégasque de 1963, la TVA est la même pour la France et Monaco. Bien que la principauté soit reconnue comme souveraine par la France, cette convention considère que les deux États forment un territoire unique, au regard de la TVA. L’objectif officiel est de faciliter les choses : les sommes reversées chaque année par la France correspondent à ce que Bercy estime comme un manque à gagner de Monaco. Elle est la somme estimée de ce que le trésor monégasque percevrait si les Français consommaient à Monaco en franchise de taxe. Au regard de cette convention, la France perçoit la TVA liée aux achats réalisés à Monaco, et cette somme doit être reversée en conséquence. Pour Pierre Silhol, directeur des services fiscaux ce compte de partage n’est qu’un mécanisme permettant de ne pas considérer deux territoires fiscaux : « C’est un dispositif important dans les échanges transfrontaliers entre la France et Monaco : il fait en sorte que la TVA devant être perçue à Monaco, et ayant été perçue en France, revienne à Monaco. C’est en lien direct avec la consommation ». Également interrogé à ce sujet par Monaco Hebdo, le conseiller-ministre pour l’économie et les finances, Pierre-André Chiappori, abonde en ce sens : « Le reversement annuel de la TVA au travers du mécanisme de compte de partage ne constitue nullement un « geste ». Il s’agit plus prosaïquement d’un dispositif technique efficace pour assurer le prélèvement de cette taxe sur les transactions ayant lieu en principauté, décrit-il. Le mécanisme de base découle de la convention douanière franco-monégasque de 1963. Une collecte directe et indépendante par Monaco de la TVA afférente aux transactions ayant lieu en principauté, à l’exception des transactions immobilières, poserait des problèmes pratiques difficilement surmontables, du fait de la situation géographique des deux pays. »

« Clé de répartition »

En pratique, la TVA collectée sur les biens et services qui y sont consommés est intégrée dans le système français, les recettes collectées en France et en principauté étant ainsi centralisées : « Dans un second temps, le compte de partage permet de garantir une juste redistribution des recettes correspondantes entre les deux pays, en fonction d’une clé de répartition. Cette clé est basée sur une estimation des consommations finales à Monaco par rapport à la France, reflétant la réalité économique et le poids du marché monégasque, déterminée sur la base d’évaluations régulières des flux économiques entre les deux pays, notamment pour déterminer la consommation réelle de biens et services en principauté. Ce dispositif permet de simplifier les échanges commerciaux et fiscaux entre Monaco et ses partenaires étrangers. » Toujours selon Pierre-André Chiappori, le compte de partage en matière de TVA est « un instrument clé pour la coopération fiscale entre les deux pays. Il garantit une redistribution équitable des recettes fiscales, contribuant à la stabilité économique et financière de la principauté dans le cadre de ses relations privilégiées avec la France ». Il ajoute également que la TVA constitue « une source importante de revenus fiscaux pour le budget de l’État monégasque ». Selon les dernières données de l’institut monégasque de la statistique et des études économiques (IMSEE), la TVA représente en effet 52,4 % du budget de l’État. Et les revenus issus de ce compte de partage représentent presque une goutte d’eau, sur les 2,2 milliards d’euros du budget monégasque.

120 millions reversés en 2025

Monaco tire des recettes grâce à deux types de TVA : une TVA interne, sa principale source de recettes, issue des opérations commerciales et industrielles opérées en principauté, et une TVA externe, issue des sommes reçues au titre du compte de partage. Il y a dix ans, cette somme reversée par la France représentait 18 % des recettes de la TVA globale perçues par Monaco. Peu à peu, ce pourcentage a diminué, au point de ne représenter que 7 % de la TVA globale en 2023. Chaque année, d’un commun accord avec Bercy, ces montants évoluent selon l’estimation des flux économiques entre la France et la principauté : 122 millions en 2019, 128 millions en 2020, 98 millions en 2021, 100 millions en 2022, 83 millions en 2023. Cette année, les sommes à recevoir au titre du compte de partage, compte tenu des résultats de 2024, devraient augmenter de 37 millions d’euros, soit +44,6 %, pour atteindre les 120 millions d’euros, selon le département de l’économie et des finances. À noter qu’il s’agit d’une inscription de principe, au regard des chiffres réels du compte de partage 2023.

1) Contactée par Monaco Hebdo, la direction générale des finances publique française n’a pas donné suite à nos sollicitations. 

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