« Au ras des hommes », un polar au service d’un Gabon sans fard

Depuis plus de vingt ans, Janis Otsiemi s’est imposé comme l’un des écrivains majeurs du polar francophone. Avec une plume acérée et un regard sans concession, il brosse un portrait brut du Gabon contemporain, entre corruption endémique, violence ordinaire et espoirs contrariés.

Jocksy Andrew Ondo-Louemba 

 

 

Né en 1976 à Franceville, Janis Otsiemi grandit dans le quartier populaire d’Akébé, à Libreville. Dès son plus jeune âge, il développe une passion pour la littérature et se nourrit des œuvres de Lamartine et Balzac. Il publie son premier roman, Tous les chemins mènent à l’autre, en 2000. Le livre est salué par la critique et lui vaut le Prix du Premier Roman Francophone, lançant ainsi sa carrière.

Très vite, il trouve sa voie dans le polar, un genre qui lui permet de décortiquer les réalités sociales du Gabon. Son style direct, imprégné de l’argot de la rue, séduit un large lectorat avide de récits ancrés dans le réel.

Le polar, miroir des réalités 

Avec des romans comme Peau de balle (2007) et La vie est un sale boulot (2009), Otsiemi entraîne ses lecteurs dans une Libreville gangrenée par la corruption et la criminalité. Ce dernier roman lui vaut d’ailleurs le Prix du Roman Gabonais en 2010. Il met en scène des policiers dépassés par un système où la frontière entre légalité et débrouillardise est souvent floue.

Janis Otsiemi est un écrivain qui, par sa plume, a créé un univers où le crime, la corruption, la politique, l’illégalité et l’image des enceintes judiciaires gabonaises occupent une place centrale dans la diégèse de ses œuvres. Ses romans, marqués par un engagement fort, se distinguent par un langage qui lui est propre. Peut-on alors parler d’un « langage otsiemien » ? Ses tournures et expressions spécifiques plongent le lecteur dans un polar singulier, bien différent de celui d’un Georges Simenon en Belgique, d’un Michael Connelly en Amérique ou encore de la reine du polar britannique, Agatha Christie.

En 2023, il publie Au ras des hommes, un roman salué pour son écriture tranchante et son intrigue prenante. Il y dépeint des personnages en clair-obscur, oscillant entre responsabilités et compromissions, dans un pays où la survie dicte souvent la morale.

En 2024, Janis Otsiemi fait son grand retour sur les planches littéraires avec un polar inédit : Au ras des hommes. Dans ce nouvel opus, il aborde le fléau qui s’étend dans nos sociétés malades : la fusillade de masse. À Libreville, les officiers de police Koumba et Owoula reprennent du service pour traquer un tueur fou, mais ils ne sont pas au bout de leurs peines… Janis Otsiemi fait durer le suspense jusqu’à la dernière page.

Ses œuvres, parmi lesquelles Le Chasseur de lucioles, La vie est un sale boulot, La bouche qui parle ne mange pas, Le Festin de l’aube, Ne perds rien pour attendre et bien d’autres, pourraient faire l’objet de nombreuses études et même d’adaptations cinématographiques, contribuant ainsi à la valorisation d’une part du vécu gabonais.

Un regard lucide sur le pouvoir

Otsiemi ne se limite pas à la fiction. En 2011, il publie Les hommes et les femmes d’Ali Bongo Ondimba, un ouvrage qui dresse le portrait des figures politiques influentes du régime. À travers cet essai, il offre une plongée dans les réseaux du pouvoir gabonais et en décrypte les dynamiques.

Brice Oligui Nguema lors du défilé de la fête nationale du Gabon, le 17 août 2024 à Libreville.

En 2024, il récidive avec Chronique du règne du roi Brice 1er, où il analyse les dix premiers mois du général Brice Clotaire Oligui Nguema à la tête du Gabon, après le coup d’État du 30 août 2023. Plus qu’un simple compte-rendu, cet ouvrage est un regard critique et informé sur les enjeux du nouveau régime, mêlant enquête politique et récit documenté.

À travers son œuvre, Janis Otsiemi s’est imposé comme un observateur incontournable des réalités gabonaises. Influencé par les polars français et américains, il allie tension narrative et analyse sociale, donnant à ses récits une résonance particulière.

En dévoilant sans fard les travers de son pays, il rappelle que la littérature est aussi un outil pour éclairer et questionner. Une démarche salutaire dans un Gabon qui se trouve sans doute à un tournant de son Histoire.

Bien que le roman policier ne soit pas consommé avec autant d’enthousiasme que d’autres genres au Gabon, Janis Otsiemi s’impose comme une figure atypique du polar contemporain.

Si Janis Otsiemi a ouvert la voie à ce genre encore peu exploité au Gabon, pourquoi d’autres écrivains ne s’y engagent-ils pas davantage ? Est-ce parce que la littérature gabonaise se limite trop souvent à une production figée, sans chercher à opérer une véritable révolution esthétique à travers l’exploration de genres diversifiés ?

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