Pour blanchir les fonds qu’ils détournent, des personnalités politiques africaines, en l’espèce deux fils du président Teodoro Obiang Nguema, à la tête de la Guinée équatoriale depuis 46 ans, corrompent des fonctionnaires européens. En toute discrétion, ces forbans passent par une banque suisse.
Ian Hamel, correspondant en Suisse
Cette fois, il s’agit des deux fils du président Teodoro Obiang Nguema, à la tête de la Guinée équatoriale depuis 46 ans : Teodorin Nguema Obiang Mangue, le vice-président, et Gabriel Mbega Obiang Lima, le ministre des Mines et des Hydrocarbures. Les deux frérots lorgnent sur la succession du papa (bientôt 83 ans). L’un aurait rémunéré un fonctionnaire espagnol pour espionner l’autre… Par ailleurs, afin de pouvoir introduire de très importantes sommes d’argent sans le déclarer, les dignitaires équato-guinéens savaient se montrer très généraux avec des employés de l’aéroport de Madrid.
Ces espèces ne sont pas versées de la main à la main. Pour complexifier l’opération, on retrouve GEPetrol, la compagnie pétrolière de Guinée équatoriale, Boway Holdings Limited, une société basée à Hong Kong, et un compte à la Compagnie Bancaire Helvétique (CBH), une ancienne société de courtage devenue banque à Genève en 1991. Comme à son habitude, le site suisse Gotham City, qui raconte l’actualité des affaires par les sources judiciaires, réussit à dénouer les fils de cette tortueuse histoire de pots-de-vin (1). On apprend ainsi qu’un ancien commissaire de police, qui dirigeait le poste frontalier de l’aéroport de Madrid, a tout de même écopé de trois ans de prison dans cette affaire. Un autre aurait perçu 1,9 million d’euros. Par le même circuit, des économies de GEPetrol ont pris le chemin de sociétés basées au Panama, en Uruguay, au Royaume-Uni.
Une banque très sollicitée
Dans cette histoire, la Compagnie bancaire helvétique, petite banque privée familiale spécialisée dans la gestion de patrimoine, n’est accusée de rien. Elle n’a jamais été condamnée pénalement en Suisse. Pourtant, par le plus grand des hasards, son nom revient assez régulièrement dans la presse. Le 5 novembre 2024, la Radio-Télévision suisse racontait « comment une banque suisse blanchit son nom sur Internet ». Grâce à l’utilisation d’une entreprise de e-réputation, la CBH nettoie son passé, « son nom est vierge de tout scandale sur Internet ». « Cette banque privée genevoise est pourtant citée dans de nombreux articles sur des scandales de corruption », écrit la RTS. L’Autorité fédérale des marchés financier, la FINMA l’a épinglée « à plusieurs reprises pour manquement à ses obligations dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d’argent » (2).
En mai 2022, un juge de la Cour suprême des Bahamas avait estimé que la Compagnie bancaire helvétique [qui possède une filiale bahamienne) n’avait pas respecté les normes en vigueur… même selon les standards de la finance offshore. Par ailleurs, en 2015, la presse française écrivait que Jean-Marie Le Pen possédait un compte “caché“ en Suisse, crédité de 2,2 millions, dont 1,7 million sous forme de lingots et pièces d’or. Un compte géré par la Compagnie bancaire privée (3). Le fondateur du Front National avait alors répondu qu’il n’était pas tenu de s’expliquer « sur ce que dit n’importe qui ». Plus tard « Le Point » rectifiait l’information, précisant que le compte de la société Balerton Marketing Limited, immatriculé aux îles Vierges britanniques, n’appartenait pas à Jean-Marie Le Pen… mais à son homme de confiance, Gérard Gérin (4). Bref, la Compagnie bancaire helvétique, malgré sa petite taille, est un établissement fort sollicité.
- « Les pots de vin espagnols du clan Obiang passaient par la CBH », 26 février 2025.
- François Ruchi, en collaboration avec Forbidden Stories, « Comment une banque suisse blanchit son nom sur Internet ».
- « Jean-Marie a détenu un compte caché en Suisse, selon Mediapart », France 24, 28 avril 2015.
- Ian Hamel, « Genève : le compte en banque bien rempli du majordome de Le Pen », 11 novembre 2015.
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