La France de Kafka jusque sur les murs d’hôtel

J’ai eu envie de partager avec les auditeurs d’Europe 1 une lecture qui m’a fait hésiter entre hilarité et découragement total. J’en suis venue à bout en me disant qu’on n’avait pas le derrière sorti des ronces, si vous me permettez l’image. Il s’agit d’un arrêté du ministère de l’Economie et des finances, paru au Journal officiel du 13 février dernier, et qui traite d’un sujet crucial : les panonceaux pour les hébergements touristiques, hôtels, campings et autres meublés qui bénéficient d’un classement avec, par exemple, des étoiles, par les services d’Atout France.

Qu’est-ce qu’on apprend dans cet arrêté ?

Tout. Absolument tout ce qu’il faut savoir sur les nouveaux modèles de panonceaux à apposer sur les hébergements classés – parce que oui, il y a un nouveau modèle de panonceaux et qu’il faut s’y conformer sous peine d’amende. Figurez-vous que l’administration ne laisse rien, je dis bien rien, au hasard, pour être bien sûr que personne ne va se permettre la moindre fantaisie dans le panonceau. Il y a pas moins de 42 pages de directives sur ces foutus panneaux touristiques.

Quarante-deux pages ?

Oui. Des fonctionnaires ont listé une à une toutes les caractéristiques, avec des petits schémas à l’appui, de face, de coupe, je suis certaine qu’on fait à peine aussi sophistiqué pour les plans d’un Airbus. Les dimensions des panneaux : 308 mm par 420 mm, épaisseur 8 mm. Avec un angle coupé en haut à droite, sur 53 mm de haut et 74 mm de large. Pour le modèle de base en aluminium laqué blanc, un film aspect métal brossé doit être apposé, contrecollé d’un film en impression numérique, avec évidemment les codes couleurs précis. Il faut respecter le pantone du rouge, du vert, du orange. Ça n’est évidemment pas tout : l’administration s’est aussi fendue du schéma des différents systèmes de fixation des panneaux dans le mur, avec plan de coupe de la cornière horizontale permettant le verrouillage mécanique dans les percements existants (c’est comme cela qu’on dit qu’on visse le panonceau en langage administratif). Même chez Ikea, on ne fait pas aussi détaillé.

La cerise sur le pompon : l’arrêté liste toutes les variantes possibles pour chaque panonceau, avec ce niveau de précision inouï. Est-ce que vous préférez la plaque sur picots ? La plaque sécurisée antigraffitis ou le modèle écoresponsable fabriqué en cosse de riz ? Pour chacun, il y a une norme. Résultat : 42 pages que devront se fader les 13 000 hôteliers concernés.

Qu’est-ce qu’on tire de tout ça ?

Il est fou, dans un pays aussi endetté que le nôtre, incapable d’envisager la moindre économie, qu’on paie des fonctionnaires pour produire ce délire d’homologations inutiles et tarabiscotées. Est-ce qu’ils ne seraient pas plus utiles ailleurs, à un moment où les interactions des citoyens avec l’Etat sont devenues si compliquées ? Est-ce qu’on ne pourrait pas confier ce genre de tâches débilitantes à une IA ? Je ne peux pas croire qu’un ou plusieurs êtres humains sortent satisfaits d’avoir bouclé 42 pages de cotations exhaustives de panneaux pour façades de campings. Et pas plus qu’un autre être humain soit enchanté de sortir son mètre pour vérifier la taille des panonceaux installés.

Il est temps que nous revenions à la raison, vite, que nous arrêtions ces luxes bureaucratiques somptuaires. Hélas, il va peut-être falloir que notre pays se concentre sur des choses vraiment importantes : sa défense, face à la menace russe, pour qu’on en finisse avec des âneries qui n’auraient jamais dû voir le jour.

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