Une fois la nuit tombée, un nageur quitte le couvert des roseaux pour s’enfoncer dans les eaux du Nil. Abdullah Elamin, un homme puissant à la forte carrure, a pris l’habitude de nager le long de l’île de Tuti depuis qu’il était petit. Mais cette fois-ci, à 62 ans, il fait face à une situation bien plus grave.
C’est qu’un mandat d’arrêt le désigne expressément, des hommes armés sont même lancés à ses trousses. Devant lui, ce fleuve sombre au violent courant, qui est surtout une ligne de front où snipers et mitrailleuses se font face. Malgré ces dangers, Abdullah Elamin est déterminé à traverser.
“J’avais surtout peur des snipers, de me faire tirer dessus à mi-parcours. Mais je n’avais pas le choix. Si je ne prenais pas la fuite, c’était la prison.”
Une chambre à air de pneu de moto autour de la taille, il s’enfonce donc dans l’obscurité, pour traverser le Nil blanc à la nage, direction Omdourman.
Un îlot au cœur de la guerre
Abdullah Elamin ne s’est pas enfui du jour au lendemain. Avant que la guerre n’éclate au Soudan, son île de Tuti, que Moïse lui-même aurait foulée, était un havre de paix connu pour sa production de fruits et de légumes. L’île, longue de 3 kilomètres et large de 1,5, abritait 20 000 personnes, en plus d’attirer les touristes à la recherche d’un endroit où pique-niquer et les amoureux avides de promenades sur la rive au coucher du soleil.
Mais son emplacement à la confluence du Nil blanc et du Nil bleu, avec Omdourman à l’ouest et Khartoum [la capitale] à l’est, en a également fait une position hautement stratégique. La guerre allait ébranler sa tranquillité.
Le 15 avril 2023, un différend a éclaté entre le général Abdel Fattah Al-Burhan, commandant des forces armées soudanaises (SAF), et le général Mohamed Hamdane Daglo, dit “Hemeti”, à la tête du groupe paramilitaire des Forces de soutien rapide (RSF). Alors que le fragile accord de partage du pouvoir entre les deux hommes s’effondrait, des combats ont commencé à éclater dans les deux villes qui bordent l’île.
“Civils et RSF vivaient côte à côte”
Dès le début du conflit, Abdullah Elamin est parti mettre sa femme et ses cinq enfants à l’abri à Omdourman, puis est revenu afin de protéger sa maison des pillards. Les hommes des RSF sont arrivés peu après pour prendre le contrôle des positions stratégiques de l’île, avant de traverser le pont sur le Nil blanc et d’avancer sur Omdourman.
“Au début, les [combattants des] RSF n’ont pas pénétré dans nos quartiers, ne nous ont pas harcelés. Ils ont occupé certains postes et installations de l’île, les fermiers leur vendaient des légumes. Civils et RSF vivaient côte à côte, sans se mélanger”, raconte le sexagénaire.
L’année dernière, le comportement des RSF s’est brusquement dégradé lorsque les SAF ont lancé une contre-attaque dans Omdourman, qui a délogé les paramilitaires du cœur de la ville pour les repousser par-delà le Nil. “Dès que la pression s’est accentuée à Omdourman, leur attitude a changé, décrit Abdullah Elamin. Ils ont dévalisé des maisons, volé l’or de certaines familles, s’en sont pris à nos voit
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