Le 19 février, des paysans ont retrouvé l’opposant Abdoul Sacko bâillonné dans un champ, à une centaine de kilomètres de la capitale. « Il avait été torturé et laissé pour mort, ses poignets avaient été attachés par des fils de fer, ses mains ne répondaient plus », raconte Ibrahima Balaya Diallo, proche de l’activiste placé depuis en lieu sûr.
Très tôt ce matin-là, Abdoul Sacko, le coordonnateur des Forces vives de Guinée, une coalition de partis d’opposition et d’organisations de la société civile, avait été enlevé à son domicile dans la banlieue de Conakry par des « hommes encagoulés et armés » après avoir été battu devant sa famille. Quelques mois avant lui, deux autres militants, Oumar Sylla et Mamadou Billo Bah, ont été arrêtés par un commando des forces de sécurité. Ils restent introuvables depuis juillet 2024.
« Se taire ou partir »
Leur tort ? Les trois hommes réclamaient un retour des civils au pouvoir en Guinée, où le général Mamadi Doumbouya règne d’une main de fer depuis son coup d’État en 2021. Les autorités de transition, qui nient toute implication, assurent avoir ouvert une enquête, restée sans suite. « C’était des éléments des forces de sécurité, on sait que l’on est dans la ligne de mire du régime », assure Ibrahima Balaya Diallo, qui dit avoir également été suivi.
Opposants arrêtés ou contraints à l’exil, médias suspendus, manifestations réprimées… La junte intensifie la répression. « On ne sait pas s’il faut se taire ou partir », confie Thierno Souleymane Sow, le directeur du bureau d’Amnesty International en Guinée, décrivant un « climat de peur ». Selon l’ONG, au moins 47 manifestants ont été tués entre septembre 2021 et 2024.
À Conakry, quatre stations de radio et trois chaînes de télévision privées jugées trop critiques ont été fermées par les autorités. « On vit avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, on sait que l’on peut disparaître, c’est pire que sous Alpha Condé (l’ancien président renversé, NDLR) », rapporte un journaliste dont le site d’information a été suspendu des semaines, sans explication. Ce dernier s’inquiète du sort de son confrère Habib Marouane Camara, interpellé violemment le 3 décembre. Des gendarmes, lourdement armés, l’ont extrait de force de son véhicule, « assommé avec des coups de matraque » avant de le conduire vers une destination inconnue, selon ses collègues toujours sans nouvelles de lui.
« Lion noir »
Dans la capitale, le portrait de Mamadi Doumbouya est partout. De la simple affiche pour un match de football de quartier à la réclame sur le méga-projet d’exploitation du gisement de fer de Simandou : le « Lion noir », comme l’appellent ses partisans, cultive son image d’homme fort au service du développement de son pays.
Le putschiste, qui s’était engagé à organiser des élections avant le 31 décembre 2024 et à ne pas se présenter au futur scrutin, a pris goût au pouvoir. Le 5 mars, le premier ministre a promis « le retour à l’ordre constitutionnel » en 2025, avec l’organisation « des élections présidentielle et législatives ». « Il déblaie le terrain pour éliminer toute opposition et préparer sa candidature », avance l’activiste Ibrahima Balaya Diallo, qui dénonce « le silence » des autorités françaises. Loin du bras de fer avec les juntes du Sahel, Paris cultive la discrétion sur le cas guinéen. Sans doute s’agit-il de ménager son allié Doumbouya, passé par la Légion française et marié à une ancienne gendarme drômoise, face aux appels du pied de Moscou.
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