Au cours du dernier mois, une maladie inconnue a infecté plus de 1 300 personnes, et a causé plus de cinquante décès dans la partie nord-ouest de la République Démocratique du Congo (RDC).
La cause exacte de l’épidémie est toujours inconnue, bien que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) émette l’hypothèse qu’une combinaison d’empoisonnement chimique, de méningites, de malaria et d’autres infections puisse en être à l’origine. La situation est inquiétante car, selon l’OMS, le nombre de personnes contaminées a presque doublé au cours de la dernière semaine de février. « Si ce nombre continue de grimper à une telle vitesse et avec autant d’intensité, le risque est énorme », confie Lauren Sauer, experte en réponse épidémique au National Emerging Special Pathogens Training and Education Center de Baltimore. Que les tests n’aient pas encore identifié un schéma récurrent capable d’expliquer le nombre de malades est également une source d’inquiétude pour l’experte.
Les jours et les semaines qui suivront nous en apprendrons plus. En attendant, voici ce que les experts pensent de la situation.
« Qu’est-ce qui cause cette maladie ? ». C’est la question que se posent les experts et le public en ce moment.
Selon l’OMS, les symptômes de la maladie peuvent inclure de la fièvre, des maux de tête, des frissons, une rigidité de la nuque, des courbatures, le nez qui coule ou saigne, de la toux, des vomissements et de la diarrhée. C’est une longue liste, qui peut être attribuée à beaucoup d’autres infections, comme la malaria, la méningite et des virus comme Ebola. Les personnes tombées malades par des moyens non-infectieux, comme des toxines, peuvent également présenter ces symptômes. Aucun test n’a, à ce jour, été concluant.
La réponse à la question « qu’est-ce qui cause la maladie ? » permet de déterminer la population à risque, quel traitement leur administrer et la démarche à adopter pour éviter que la maladie ne se propage au-delà du premier foyer épidémique, raconte Neil Vora, médecin et conseiller senior pour Conservation International, une ONG qui tente de préserver la biodiversité à travers le monde.
Lors d’une conférence tenue le 28 février, Michael Ryan, Directeur exécutif chargé du Programme OMS de gestion des situations d’urgence sanitaire, a déclaré que, même si les autorités sont toujours en train d’étudier la piste infectieuse, ils avaient une « forte suspicion » que certains cas pourraient mener à une source d’eau contaminée. Si une épidémie est, par exemple, causée par une toxine, les autorités se concentreront sur l’identification de sa source, afin de réduire l’exposition de la population et de s’assurer que la situation ne se reproduise pas. Le risque pour les personnes se trouvant en-dehors du périmètre de l’épidémie dépendrait de la source. Mais lorsque des cas sont liés à une source d’eau locale, comme c’est le cas pour beaucoup d’épidémies, la contenir est relativement simple.
Il est également possible que l’épidémie soit causée par la malaria ou par une forme bactérienne de la méningite, une infection des tissus qui entourent le cerveau et la moelle épinière.
Certains types de méningites bactériennes font passer des symptômes au décès à vitesse grand V, et se transmettent par la toux et la salive. Les infections peuvent être limitées en évitant ces contacts, ainsi qu’en administrant aux personnes contaminées une dose protectrice d’antibiotiques. La vaccination peut également stopper la diffusion de la maladie.
La malaria est également suspectée. Le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies indique qu’entre 55 et 78 % des échantillons provenant de patients concernés par l’épidémie étaient positifs à la malaria. Mais ces seuls résultats ne sont pas la preuve d’une relation de cause à effet car l’infection, qui se transmet par les piqûres de moustique, est trop commune dans la région. Cela signifie que les personnes peuvent être testées positives à la malaria, mais être très malades pour une tout autre raison.
Si l’épidémie s’avérait être causée par la malaria, transmise par les moustiques du genre Anopheles, la marche à suivre est bien connue. Traiter les locaux avec des médicaments qui combattent la malaria et limiter les piqûres de moustiques en installant des moustiquaires autour des lits et d’autres précautions anti-moustiques. Par exemple, il y a quelques mois, une autre épidémie, survenue dans une région différente de la RDC, a fait 900 malades et 48 morts. Il s’agissait, pour la plupart, de jeunes enfants. Celle-ci a finalement été reliée à une vague de malaria, résultat d’une extrême malnutrition et d’une vague de virus véhiculant des maladies respiratoires. Les autorités de santé ont freiné la propagation en livrant des stocks supplémentaires de médicaments et d’autres fournitures médicales à la zone concernée, et en y envoyant des experts en santé publique afin de soutenir l’effort de détection de nouveaux cas.
Si le mal qui frappe actuellement la RDC se révélait être la malaria, le risque que la situation évolue en une plus large épidémie serait moins important car les personnes vivant en-dehors des zones de prolifération des moustiques auront moins de chance d’être contaminées.
Si la cause de l’épidémie était une fièvre hémorragique virale comme Ebola, qui se transmet de personne à personne par les fluides corporels la contrôler demandera plus de ressources. Comme de l’équipement permettant aux soignants de fournir des traitements de soins intensifs aux patients, tout en se protégeant eux-mêmes. La réponse des autorités de santé devra également inclure des ressources qui mèneront des recherches pour retracer l’historique de contagion. Par ailleurs, si c’était Ebola, les personnes proches d’un patient malade pourraient également se voir vaccinées. Comme ces virus se transmettent par le contact entre personnes, les risques que l’infection se propage en-dehors de sa région de départ seraient plus grands.
Le scénario de la fièvre hémorragique serait plus inquiétant. Entre 2014 et 2016, Ebola a fait plus de 11 000 morts à travers la Guinée, le Libéria et Sierra Leone – c’était la plus grosse épidémie de la maladie à ce jour. Une autre, en RDC, a fait environ 2 300 morts entre 2018 et 2020. Plusieurs autres crises de virus cousins explosent sporadiquement à travers le contient, dont deux actives à ce jour en Tanzanie et en Ouganda, et cette dernière a récemment pris la vie d’un petit garçon âgé de quatre ans. Les outils à notre disposition pour combattre ces maladies ont cependant évolué. De nouveaux vaccins, dont l’un pourrait bientôt être testé en Ouganda, ont drastiquement réduit les risques de mourir des suites d’une infection à Ebola.
Collecter des informations sur les habitudes alimentaires des personnes, sur ce qu’elles boivent et ont fait dans les jours qui ont précédé leur contamination, est une bonne manière de comprendre les causes d’une épidémie. C’est un effort qui est en cours en RDC. Les premières personnes concernées ont vraisemblablement consommé de la viande de chauve-souris sauvage, ce qui a soulevé des questions quant au fait qu’un virus de fièvre hémorragique, propre à ces créatures, soit à l’origine de la crise.
De plus amples informations proviennent des tests d’échantillons collectés sur les patients, ce qu’ils ont mangé, bu et ce qui se trouve dans leur environnement. Car ces crises rappellent que la menace que posent les humains à notre écosystème finit toujours par leur retomber dessus. La déforestation et les conflits créent plus d’opportunités d’interactions entre les humains et des animaux, malades et en détresse, augmentant le risque que ces derniers transmettent leurs maladies. « Nous vivons dans un monde où tout est connecté », souligne Neil Vora. « La santé des humains dépend de celle des animaux et, par extension, de la nature. »
Il y a beaucoup d’autres causes possibles à cette crise, notamment la possibilité que de multiples problèmes de santé aient été exacerbés par des bouleversements sociaux et par l’isolement géographique. Selon Michael Ryan, cela complique considérablement les choses. La communauté internationale est souvent « très inquiétée par ces événements » jusqu’à ce que les coupables identifiés s’avèrent être déjà connus, a-t-il rappelé lors de la conférence de la semaine passée. « Et une fois que nous avons établi qu’il ne s’agit pas d’un nouveau virus mortel à échelle planétaire, nous perdons tout intérêt. »
Peu importe la cause, la situation sera difficile à résoudre.
L’épidémie survient dans une zone isolée du pays, actuellement en proie à un conflit armé. Cela crée des obstacles pour que les acteurs sociaux locaux et internationaux puissent aider à la résolution de la crise. Cela rend également la tâche ardue au ministère de la Santé de la RDC, pour obtenir et partager des informations en temps réel avec ses partenaires mondiaux. Le pays fait face à plusieurs crises en simultané, avec une épidémie de variole du singe et le déplacement interne des populations dû à une escalade du conflit armé.
L’épidémie coïncide aussi aux premiers jours de l’administration Trump aux États-Unis, ce qui pose de nouveaux problèmes. Dans tout nouveau mandat, il faut du temps pour placer le personnel au bon endroit, afin que les informations nécessaires puissent être partagées et aider au bon fonctionnement des opérations, confie Lauren Sauer.
Les récentes réductions de l’engagement américain dans le domaine de la santé mondiale ajoutent à ce défi. En temps normal, les équipes de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) et des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) auraient été en contact avec le ministère de la Santé de la RDC ainsi qu’avec ses autres partenaires, et auraient aidé à fournir les aides nécessaires tout comme d’autres formes d’assistance, en fonction des besoins du pays. D’autres médecins et scientifiques auraient également reçu des nouvelles régulières de la part de l’OMS et des infrastructures de santé de la RDC.
Beaucoup d’équipes d’USAID ont cependant été relevées de leurs fonctions en RDC, un des moyens du gouvernement américain de démanteler l’agence. Et, en janvier, l’administration Trump a diffusé un ordre exécutif, demandant aux CDC de cesser toute collaboration avec l’OMS. Cela signifie que les États-Unis sont aveugles et sourds à cette menace, et pourraient ne pas offrir une aide significative.
Ces changements empêchent la RDC de contenir l’épidémie, et pourraient augmenter le risque de propagation dans les autres pays, si la maladie s’avérait être contagieuse. La capacité des États-Unis à réagir à une épidémie qui se transmet par-delà les frontières d’un État est directement liée à la fiabilité des informations que le pays reçoit de l’étranger. « Nous prenons des décisions sur la base des ressources, du personnel et selon les informations qui nous parviennent », explique Lauren Sauer. Des données fiables, en temps réel, sont cruciales pour s’assurer que les aéroports disposent de suffisamment de ressources afin de filtrer les passagers qui arrivent des pays concernés. Également pour s’assurer que les centres médicaux spécialisés régionaux ont suffisamment de personnel soignant pour traiter toute personne contaminée.
Cette épidémie doit nous rappeler que les microbes et virus ne font que peu de cas des changements dans les politiques locales ou internationales. Se préparer à leur propagation éventuelle est un travail de fond, explique Lauren Sauer. « Les pathogènes sont intelligents, et ils savent s’organiser en épidémies, continue-t-elle, il nous faut rester vigilants. »
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