Guerre en République démocratique du Congo : La dynamique des acteurs à l’aune d’une théorie réaliste des relations internationales
A travers les lignes qui suivent, Dr Jean-Baptiste Guiatin, enseignant-chercheur à l’Université Joseph Ki Zerbo de Ouagadougou, propose une autre grille de lecture à même d’aider le lecteur/la lectrice à mieux comprendre la dynamique des acteurs de la crise dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) qui dure depuis longtemps.
C’est peut-être un euphémisme que de dire que la région des Grands Lacs, zone située en Afrique centrale, est une véritable poudrière depuis bien longtemps. En effet, tueries, massacres et génocide se succèdent dans une suite implacable qui ronge la conscience humaine, mais que personne ne semble pouvoir ni vouloir stopper. Actuellement, cette région fait la une de la presse internationale et des réseaux sociaux avec la prise des principales villes au Nord-Kivu et au Sud-Kivu par les rebelles du M23 mouvement Tutsi soutenu par le Rwanda, selon les experts de l’Organisation des Nations Unies (ONU).
La chute des villes comme Goma, Bukavu etc. devrait interpeller le lecteur/la lectrice pour qu’il/elle cherche à appréhender le fond des choses, c’est-à-dire la logique de la conduite des différents acteurs au-delà des discours, entretiens et messages officiels servis ici et là dans la presse et sur les réseaux sociaux. Cela implique donc d’aller au-delà d’une lecture moraliste et événementielle de ce qui se passe actuellement dans la région des Grands Lacs.
C’est là que pourrait résider la portée de notre contribution à travers cet article par la proposition d’une autre grille de lecture à même d’aider le lecteur/la lectrice à mieux comprendre la dynamique des acteurs de cette crise congolaise qui dure depuis longtemps. A cette fin, nous aimerions utiliser une théorie réaliste des relations internationales, telle que mise au point par John J. Mearsheimer dans les années 2000 dans son ouvrage devenu classique intitulé The Tragedy of Great Powers.
Avant de faire un bref exposé des grandes lignes de la théorie réaliste de Mearsheimer, il sied de présenter la cartographie des acteurs dans le conflit congolais. En effet, il faut partir du fait que dans un conflit, une dispute, un différend, il y a essentiellement deux grandes parties opposées l’une à l’autre, et engagées dans un jeu appelé « jeu à somme nulle », c’est-à-dire un jeu dans lequel le gain de l’un est la perte de l’autre, tout comme dans un match de football.
Dans le cas du conflit congolais, à l’heure actuelle, une diversité d’acteurs se disputent à l’est de la RDC, que l’on peut regrouper en deux grandes catégories. D’un côté, vous avez le gouvernement congolais de Kinshasa épaulé par les pays comme l’Afrique du Sud, la Tanzanie, le Malawi, l’Ouganda, et disposant d’une armée de 100.000 hommes en plus de mercenaires étrangers venant de la Belgique, la France et la Roumanie, etc. (Firstpost, 2025). De l’autre côté, on a le M23 mouvement rebelle Tutsi fort de 8.000 hommes, et soutenu par le Rwanda avec un contingent de 5.000 hommes, soit au total 13.000 hommes (FirstPost, 2025). Entre ces deux protagonistes, on a l’ONU à travers la mission de maintien de la paix la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) créée dans les années 2000 et fortement critiquée pour son manque de résultats (IFRI, 2025).
Que veut et fait chacun de ces acteurs au Congo ? Nous allons nous contenter d’analyser ici les visées et les actions des deux acteurs majeurs de cette crise : le gouvernement congolais de Félix Tshisekedi et le Rwanda du président Paul Kagamé. Le premier joue essentiellement la survie de son régime et se bat pour recouvrer l’intégrité de son territoire dont la partie orientale-nord échappe visiblement à son contrôle. En effet, si les rebelles du M23 parvenaient un jour à réaliser leur projet militaire de marcher sur Kinshasa (Firstpost, 2025), c’en serait fini avec le gouvernement du président Félix Tshisekedi.
Quant au Rwanda de Paul Kagamé, sa présence et son activisme militaires au Congo semblent s’expliquer par une seule obsession, celle de prévenir un nouveau génocide Tutsi dans la région des Grands Lacs (France 24, 2024). Misant sur la menace génocidaire et la fibre ethnique, le régime de Paul Kagame se met dans une posture de défenseur de bonne cause, et par là ne laisse l’opinion publique indifférente. Outre la conquête de l’opinion publique africaine et internationale, le président Paul Kagamé, en bon stratège, s’est donné les moyens de sa politique : une armée forte et performante capable de tenir tête à ses rivaux régionaux.
Ainsi, il se sent prêt à faire face à n’importe quelle situation (France 24, 2024). Pendant ce temps, le gouvernement congolais dont l’armée semble être défaite, en pleine débandade dans la partie orientale-nord du pays, se lance dans une offensive diplomatique contre son voisin rwandais (Zone d’actualités.FR, 2025)
Cependant, il faut aller au-delà de l’action rhétorique officielle des uns et des autres pour avoir une image beaucoup plus complète de la situation.
En fait, cette partie de la RDC que se disputent le Rwanda et le gouvernement congolais est connue de tous pour ses immenses richesses en ressources minières, l’exploitation desquelles permet les différents protagonistes de financer leur guerre. En effet, la plupart des minerais stratégiques utilisés dans les industries de pointe de nos jours se trouvent au Congo en abondance.
A l’heure actuelle, le bilan des différentes opérations militaires présente le Rwanda comme le principal gagnant, et c’est là que la théorie réaliste de Mearsheimer pourrait nous aider à comprendre davantage l’état des choses au Congo. John J. Mearsheimer a écrit à peu près ceci : comme le système international est anarchique, c’est-à-dire que comme il n’y a pas d’autorité centrale sur la scène internationale pour veiller à l’ordre et à la sécurité de tous, alors chaque Etat doit s’occuper de sa propre sécurité (2011).
A cette fin, celui-ci doit se donner les moyens militaires nécessaires et se fixer des objectifs. Dans tous les cas, la situation sécuritaire idéale que tout Etat vise est le statut d’hégémon, c’est-à-dire celui d’une puissance incontestée (Mearsheimer, 2011). Ainsi, sa sécurité se trouve garantie puisqu’aucune entité politique n’oserait l’attaquer (Mearsheimer, 2011). Et pour atteindre le statut d’hégémon, il lui faut aller aussi loin que possible en termes de construction d’une armée forte (Mearsheimer, 2011).
A notre humble avis, ce modèle théorique de Mearsheimer s’applique presque parfaitement au Rwanda du président Paul Kagame dans la mesure où obsédé par le spectre d’un nouveau génocide Tutsi dans la région des Grands Lacs, il ne ménage aucun effort économique et militaire pour s’assurer que dans cette région de l’Afrique il soit en tête dans le domaine militaire. Dans l’esprit du président Paul Kagamé, c’est à ce prix que son pays peut vivre en paix et en sécurité. Et pour cela, il se dit prêt à payer le prix. Par conséquent, il semble qu’aucun scénario de paix dans cette région des Grands Lacs ne soit possible sans cet acteur majeur qu’est le président Paul Kagamé.
En conclusion, trois scénarios de paix peuvent être esquissés. D’abord, un accord politique entre Félix Tshishekedi et Paul Kagame sur la question des anciens génocidaires à l’est de la RDC et subsidiairement sur celle du partage des ressources de cette région orientale du Congo. Une telle entente issue d’un dialogue direct entre des deux grands protagonistes calmera les ardeurs des autres acteurs de la crise.
Ensuite, il y a le scenario d’un changement de régime au Rwanda ou en RDC, mais avec une probabilité beaucoup plus forte en RDC. Dans ce cas, des perspectives de nouvelles négociations seront bien possibles entre les deux nouveaux acteurs majeurs. Enfin, il y a le scénario de la victoire militaire du M23 à l’issue d’une marche sur Kinshasa. Dans ce cas, un gouvernement satellite et/ou pro-Rwanda s’installe à Kinshasa, et le fil de dialogue politique est noué entre les deux pays ; une sorte de ligne de téléphone rouge qui aurait existé entre le Kremlin et Washington à un certain moment de la Guerre froide.
Dr. Jean-Baptiste GUIATIN, enseignant-chercheur à l’Université Joseph Ki Zerbo (Burkina Faso)
Fulbright 2016
Membre du Centre de Recherches Internationales et Stratégiques (C.R.I.S)
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