Hamid Kpétré, ce Béninois qui redéfinit le GPS africain

Cotonou (© 2025 Afriquinfos)- Au Bénin, il n’y a pas que Fabroni Bill Yoclounon, Bonaventure Dossou ou encore Ricardo Ahouanvlamè, chevilles ouvrières de l’intégration de la langue locale Fon dans la base de ‘Google Translate’. Il y a désormais Abdul Hamid Kpétré aussi. Tout comme ces jeunes talents cités plus haut et qui s’illustrent par des innovations technologiques adaptées aux réalités locales, l’agronome de formation et passionné d’informatique, Hamid Kpétré fait parler de lui dans son pays. Et pour cause, il a conçu un GPS local pensé pour faciliter la navigation en tenant compte des repères culturels, linguistiques et géographiques du pays. A travers cet entretien exclusif, il partage l’histoire de cette innovation, ses particularités, ses défis et ses perspectives.

Parlez-nous de votre parcours et de ce qui vous a conduit à développer un GPS spécifiquement adapté au Bénin !

Hamid Kpétré : Je m’appelle Hamid Kpétré. Je suis développeur-designer et passionné de tout ce qui est local, les cultures locales, les tenues locales, les produits locaux, la promotion de tout ce qui est propre à nous, africain et béninois en particulier.

Je suis détenteur d’une Licence professionnelle en agronomie. J’ai soutenu ma Licence en 2017. Juste après, j’ai basculé en informatique par passion. J’ai appris en autodidacte, avec des cours en ligne et mes propres expériences pour arriver là où je suis. Ce qui m’a conduit à développer ce «GPS local», c’est que j’ai eu l’idée de répondre à un besoin. Et surtout, j’ai été influencé par plusieurs posts que j’ai vus sur les réseaux sociaux qui se moquaient de la façon dont nous indiquons la route chez nous, en comparaison à la façon dont, par exemple en France, on indique la route.

Il y avait un post qui disait: «En France, pour indiquer une route, on dit ‘’rue 77, mairie machin’’, mais au Bénin, on va commencer par dire ‘’tourne à droite, à côté de la vendeuse de bouillie, pour rentrer dans la deuxième VON (Voie Orientée Nord-Sud) à gauche, tourne dans la VON ainsi de suite’’. La personne a posté cela dans l’intention de faire rire ses abonnés, mais je me suis dit que comme c’est de cette façon qu’on a l’habitude d’indiquer la route chez nous. L’idée m’est venue alors d’adapter la technologie pour correspondre à cette réalité-là plutôt que de laisser la technologie nous faire passer pour des gens qui ne comprennent ou ne maîtrisent rien.

Cela couplé au fait que beaucoup de gens ne s’en sortent pas avec les applications GPS classiques m’ont donné l’idée de concevoir ce genre de GPS !

Quelles sont les principales fonctionnalités de votre application qui la différencient des autres systèmes de navigation disponibles ?

La fonctionnalité principale de ce GPS local qui le différencie des autres GPS classiques c’est le fait de pouvoir donner des indications, des itinéraires en se basant sur les habitudes locales, le langage familier ou habituel de chez nous. C’est-à-dire qu’au lieu de dire des termes compliqués comme «Prenez la direction de l’ouest, continuez sur 500 mètres, sur le boulevard machin, ensuite tournez à gauche sur la rue 2900 quelque chose», des termes auxquels nous ne sommes pas habitués ici, on utilise des termes pratiques. Comme: «Prenez la direction du marché Mènontin, après le marché, tournez dans la première VON à gauche, puis c’est la deuxième maison sur votre droite». Cette indication est vraiment plus précise, plus adaptée à notre contexte local, à nos habitudes locales.

Comment avez-vous incorporé les spécificités culturelles et linguistiques béninoises dans les indications fournies par ce GPS ?

Je suis Béninois et je comprends aisément la manière dont se donnent les indications de géolocalisation dans mon pays natal. Je maîtrise bien ces réalités culturelles et linguistiques.

C’est cela que j’ai communiqué à l’application via les algorithmes que j’ai mis en place. En effet, j’ai créé des algorithmes qui permettent de déterminer des points de repère dans la zone. Quand on veut aller à une destination par exemple et qu’on la pointe sur la carte, on a pu générer l’indication locale. L’application analyse donc la zone et détermine les repères à partir desquels elle va donner l’indication.

Elle pourrait par exemple dire: «Première VON à droite après le marché Ganhi. Ici maintenant, c’est le marché Ganhi qui est le repère». C’est donc cette méthode de repérage de proximité avec le système de comptage des VONs (les ruelles) qui permet d’avoir des indications dans un contexte linguistique proche de nous.

Quels ont été les principaux défis techniques et logistiques rencontrés lors du développement de ce projet, et comment les avez-vous surmontés ?

Etant donné que je suis déjà développeur depuis presque dix ans maintenant, j’ai mes propres ressources, mes propres infrastructures. C’est donc sur elles que je me suis basé pour développer l’application et lancer une première version de test.

Après le lancement, quand des concitoyens ont commencé par utiliser, adopter l’outil, à le tester, cela a augmenté le débit d’utilisation, le trafic sur l’application. Alors, j’ai forcément eu besoin d’augmenter les capacités de mes infrastructures, de mes serveurs pour pouvoir contenir ces pics d’utilisation.

A part ces défis, en termes d’opportunités, j’ai pu construire l’application en un temps record grâce à l’utilisation de l’IA (Intelligence Artificielle). Cela m’a juste pris six jours pour quitter de l’idée au premier produit fonctionnel que j’ai lancé pour les tests.

C’est donc grâce à l’utilisation de l’Intelligence Artificielle que j’ai pu faire quelque chose qui aurait pu me prendre six mois, mais que j’ai fini en six jours ! J’ai pris l’IA comme mon assistant en lui confiant de petites tâches, des tâches répétitives dans le processus de développement et moi je me suis focalisé sur la conception, l’élaboration de l’algorithme, la manière dont il est censé fonctionner.

C’est un peu comme un architecte qui a conçu les plans de la maison et qui a besoin d’une main d’œuvre (maçons, chefs chantier) pour exécuter le travail. A part cela, les défis logistiques ont été atténués grâce aux actions de soutiens et de dons qui ont été initiées par le compatriote Sèdo Tossou (acteur et producteur franco-béninois, réalisateur de la célèbre série télévisée Alokan) qui œuvre dans la valorisation du talent local. Il a initié une cagnotte pour que des volontaires soutiennent l’effort de développement. C’est grâce à tout cela que j’ai pu surmonter les défis logistiques et techniques.

Comment la population béninoise et aussi d’autres Africains ont-ils accueilli votre application depuis son lancement ? Avez-vous recueilli des retours d’expérience des utilisateurs ?

Ces deux publics cibles ont accueilli de façon très enthousiaste l’application dès les premiers instants de tests. Quand j’ai publié la première version, j’ai eu un engouement énorme, vraiment énorme qui a été boosté par plusieurs personnalités dont le frère Sèdo Tossou. Je suis vraiment resté perplexe, très ému de ce soutien spontané et global de toute la population béninoise sur les réseaux sociaux, et même dans des médias locaux. Ces derniers dont la SRTB (Télévision nationale) ont été près de dix à m’avoir appelé, à avoir sollicité des interviews, des passages à l’antenne, la réalisation d’émissions, etc.

Par rapport à l’application elle-même, à la faveur des tests, j’ai créé un groupe WhatsApp dans lequel tous ceux qui ont testé l’application et qui souhaitent faire des retours se sont retrouvés. Ils sont entrés dans le groupe pour pouvoir donner leurs appréciations, relever les petits bugs, les petits dysfonctionnements pour me permettre d’améliorer au fur et à mesure la solution. C’est une bonne expérience, collaboration avec le public cible qui a été en gros accueillant.

Comment assurez-vous la mise à jour régulière des données cartographiques pour garantir la précision des indications ?

Pour la mise à jour des données cartographiques, il y a un premier travail qui a été fait, à savoir, la collecte des données qui existent déjà de façon globale. Quand on parle de géolocalisation, c’est un domaine public désormais. On n’est plus à l’époque de la Première ou Deuxième guerre mondiale, période durant laquelle le GPS était une technologie exclusivement militaire.

De nos jours, c’est une technologie publique, et il y a des bases de données publiques qui contiennent un certain nombre d’informations de géolocalisation. Je suis d’abord parti de là, la prochaine étape, c’est d’ouvrir la contribution au public de sorte à ce que toute personne qui entre dans l’application puisse ajouter un lieu, une boutique, une maison, même des petits commerces de rue, pour permettre à ce qu’il y ait des données d’indication. Afin que l’algorithme qui génère les indications puisse savoir qu’à tel niveau, il y a une vendeuse de bouillie, à tel autre, il y a un marchand de chaussures, ainsi de suite. Je vais lancer prochainement cette phase de contributions pour permettre d’enrichir les données de géolocalisation.

Envisagez-vous d’étendre cette solution à d’autres pays de la région ou d’ajouter de nouvelles fonctionnalités à l’avenir ?

Oui, bien sûr. Et cette solution est déjà étendue. Dès les premiers instants du test, je n’ai pas limité cela au Bénin uniquement, mais dans la communication accompagnant le produit, je me suis beaucoup plus penché sur le Bénin, juste pour pouvoir canaliser les retours afin de ne pas avoir à gérer tous les retours, les bugs du monde entier.

C’est dans un souci d’optimisation des informations que j’ai limité la communication au Bénin. Mais en réalité, le «GPS local» est disponible partout. D’ailleurs, aujourd’hui, si vous allez sur la page de téléchargement, vous verrez les statistiques. C’est utilisé n’importe où sur le globe terrestre, du Bénin au Nigéria, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, en Afrique centrale et en Afrique de l’est aussi, en Europe et même aux Etats-Unis.

La solution est donc utilisée partout ; il reste juste d’ajouter différentes langues, tout au moins l’anglais, sans oublier les langues locales -c’est une perspective très importante- pour pouvoir faciliter l’inclusion de cette solution vers les populations qui ne comprennent pas forcément le français ou l’anglais.

Je vais œuvrer prochainement à mettre en place des paramètres spécifiques à ces différentes zones. Il s’agit par exemple des terminologies qui varient d’un pays à un autre. Je vais ajouter ces spécificités locales pour que les gens puissent paramétrer dans l’application leurs préférences linguistiques, culturelles locales afin que ce melting-pot puisse servir à tout le monde de la même façon.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes Béninois souhaitant se lancer dans l’innovation technologique et développer des solutions locales ?

Il faut chercher à servir, à être utile, à produire quelque chose d’utile à sa communauté ! En effet, l’on est conditionné par sa géographie. La géographie détermine les communautés, leurs habitudes, leur contexte, leur référentiel.

La technologie est bien sûr universelle, mais son utilisation ou son application est propre à chaque communauté. Ça veut dire que lorsqu’on crée un outil technologique, il est forcément adapté à une communauté donnée, à une aire donnée, à une région donnée. Donc, une technologie qui est utilisée dans une région peut ne pas correspondre aux réalités d’une autre.

Utiliser les outils d’ailleurs, c’est bien, mais concevoir des outils qui correspondent à nos habitudes, qui répondent à nos besoins réels et adaptés à nos réalités, c’est encore mieux. En faisant cela, ça permettra de faire de notre communauté une entité qu’on ne traitera pas d’arriérée, mais qui est en avance, tout au moins en marche avec la technologie.

Les Russes, Chinois et autres produisent leurs propres logiciels, leurs propres versions des grosses applications mondiales qu’on connaît. Pourquoi ne pas faire pareil en Afrique et au Bénin? Je voudrais alors recommander aux jeunes de se concentrer, de réfléchir pour apporter des solutions africaines aux problèmes africains. En Afrique, tout reste à faire, et si tout reste à faire, il y a plein de problèmes qui méritent des solutions. Et chaque problème qui a une solution, c’est une opportunité.

Un mot pour conclure cet entretien…

Je voudrais remercier du fond du cœur la population béninoise et d’ailleurs pour cet amour, ce soutien spontané, immense et énorme qu’elle a témoigné à la solution «GPS local». Je lui promets d’améliorer au fur et à mesure les algorithmes pour correspondre [aux besoins locaux], et permettre à ce que cela entre dans l’utilisation quotidienne des Béninois et des Africains en général.

Par rapport à mes besoins, pour l’instant, comme je l’ai soulevé, j’évolue sur mes propres infrastructures, je fonctionne aussi sur les dons qui ont été initiés et qui continuent jusqu’à présent. Toute personne désireuse de contribuer à cette révolution africaine est la bienvenue pour soutenir mon effort de développement.

Interview réalisée par Emmanuel M. LOCONON

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