- Author, Armand Mouko Boudombo
- Role, Senior Journalist
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- Reporting from Abidjan
À Grand Morié, un village situé à 100 kilomètres d’Abidjan, on dit qu’au moins une femme dans chaque foyer est impliquée dans la production d’attiéké, un couscous traditionnel à base de racines de manioc moulues.
Mangé quotidiennement par des millions d’Ivoiriens de tous âges – au petit-déjeuner, au déjeuner et au dîner – l’attiéké a été inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Le ministère ivoirien de l’Agriculture estime que la production d’attiéké emploie jusqu’à 300 000 femmes et génère environ 800 milliards de francs CFA par an, soit 1,5 % du PIB du pays.
« L’attiéké est une [alternative à] la pauvreté, pour ces femmes », déclare Sylvie Kouadio, responsable d’une ONG qui coordonne plusieurs associations de producteurs d’attiéké dans la préfecture d’Agboville.
« Grâce à l’attiéké, les femmes ont les moyens de s’occuper de leur famille, et elles peuvent prendre en main leur destin », dit-elle.
Un aliment de base local, avec une attraction mondiale mais une technologie limitée

Alors que les premiers rayons de soleil commencent à apparaître à l’horizon, le cœur de Nadège Aka, 45 ans, bat la chamade et elle transpire abondamment. Elle vient de gravir la dernière pente du sentier de cinq kilomètres qui sépare le village de Grand Morié de son champ de manioc.
Ce matin, elle est venue nettoyer son champ de deux hectares, qu’elle a hérité de son défunt mari. « Ce champ de manioc n’est pas encore mûr ; nous avons mis les boutures en terre il y a dix mois, donc il nous faut encore deux mois pour récolter », dit-elle.
Lorsque sa ferme n’est pas prête pour la récolte, elle se tourne vers d’autres cultivateurs de manioc pour répondre à la demande en intrants, afin de produire une tonne d’attiéké chaque semaine.
« J’achète du manioc dans les champs des villages voisins. Un kilogramme coûte entre 75 et 100 francs CFA, et une charge complète de tricycle coûte 120 000 francs », explique Nadège Aka.
Après l’opération de nettoyage dans son champ, Aka se dirige vers l’unité de transformation semi-industrielle située à l’entrée du village. De l’extérieur, l’infrastructure semble négligée et vieillie. Mais à l’intérieur, on découvre une installation impeccablement propre, avec des machines presque neuves.
L’unité de transformation a été construite par le gouvernement, avec l’aide de la Banque mondiale, pour faciliter les travaux domestiques des femmes des huit villages de la subdivision de Grand Morié.

Elle explique que les femmes qui devraient utiliser l’unité de transformation pour produire de l’attiéké l’ont abandonnée surtout en raison de la distance qui la sépare de leur village – qu’elles trouvent longue. Elles préfèrent une unité artisanale construite au cœur du village par un propriétaire privé.
Elle nous y emmène. L’endroit ressemble à un petit marché. Une centaine de femmes travaillent dans les ateliers. Elles font diverses tâches, qui vont de l’épluchage du manioc à l’emballage, en passant par le broyage et la cuisson.
Ici, la plupart des tâches sont exécutées par des femmes. Le pressage est l’une des tâches confiées aux quelques hommes présents sur place.
Selon Sylvie Kouadio, la transformation de l’attiéké nécessite beaucoup d’efforts physiques. La commercialisation de l’attiéké est l’une des principales difficultés. En plus des maladies causées par l’eau utilisée dans le traitement et de la fumée à laquelle les femmes sont exposées pendant la cuisson.
« Les détaillants viennent souvent d’Abidjan, passent les premières commandes, paient, puis passent les commandes suivantes et disparaissent sans payer », dit-elle.
Au ministère de l’Agriculture, les autorités affirment avoir un plan pour structurer la commercialisation du produit.
« Nous sommes en train de mettre en place des réseaux, nous sommes également en train de mettre en place des plateformes, qu’elles soient numériques ou physiques. Cela va faciliter non seulement la vente du produit, mais aussi le retour sur investissement », assure Abdoulaye Traoré, le directeur des petites et moyennes agro-industries au ministère ivoirien de l’Agriculture.
Une demande et une concurrence en forte hausse

Selon la saison, la Côte d’Ivoire connaît souvent des pénuries d’attiéké.
Selon le ministère de l’Agriculture, l’Ivoirien moyen consomme 100 kilogrammes d’attiéké par an, et la consommation locale n’est pas entièrement satisfaite. Bien qu’un chiffre n’ait pas été fourni pour la consommation locale globale, les responsables affirment que le pays produit 3 millions de tonnes d’attiéké par an.
Pour le moment, il n’existe pas de données indiquant que l’attiéké est importé dans le pays, mais les autorités affirment être conscientes de la concurrence, notamment de celle du Burkina Faso voisin, et de la Chine, qui est désormais décrite comme le plus grand producteur mondial d’attiéké.
Abdoulaye Traoré assure à la BBC que son pays n’est pas « trop inquiet » de cette compétition. « Nous savons que la Chine est capable de tout, mais nous avons une longueur d’avance sur elle », dit-il.
La Côte d’Ivoire, ajoute M. Traoré, a maintenant une nouvelle stratégie pour améliorer la chaîne de valeur de l’attiéké, de la production des matières premières à la transformation, en mettant l’accent sur la qualité. L’attiéké étant de plus en plus visible sur le marché mondial, le pays mise sur son attachement historique et culturel à cette denrée de base. Cet attachement est associé à des efforts de modernisation du produit, dans le but de tenir les concurrents à distance.
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