Rencontre avec l’artiste Raphaël Barontini : “La France a une vraie méconnaissance de sa relation avec Haïti”

Tout vient d’une pièce signée Aimé Césaire, La tragédie du roi Christophe, parue en 1963. Tout, c’est-à-dire, l’œuvre de Raphaël Barontini. Alors qu’il est encore étudiant aux Beaux-arts de Paris, au crépuscule des années 2000, le jeune homme originaire de Saint-Denis découvre cette fameuse tragédie consacrée à Henri Christophe, ancien esclave qui s’auto-proclame roi d’Haïti en 1811. “Et le voilà qui reproduit tous les codes des cours européennes, explique l’artiste. Notamment en construisant un immense château : le Palais Sans Souci”. Outre son nom sorti d’un conte de fées, le Palais Sans Souci se compose d’une chapelle avec une large coupole et de nombreuses annexes dont une école et même une académie d’art. Un lieu que Raphaël Barontini a cherché à convoquer dans l’espace du Palais de Tokyo qui lui a été offert pour imaginer Quelque part dans la nuit, le peuple danse, sa nouvelle exposition.

“Le Palais de Tokyo est l’un des grands centres d’art de Paris, qui montre beaucoup d’artistes vivants, affirme Barontini lorsqu’on le rencontre entre les murs de son exposition. Beaucoup d’artistes s’y croisent, viennent voir ce qu’il s’y passe”. En déambulant dans les deux espaces qu’il a investi, force est de constater la liberté dont l’artiste a pu jouir, jusqu’à transformer le musée pour emmener son public à Haïti, en pleine époque insurrectionnel. Le décor idéal pour les portraits monumentaux d’un homme qui n’a de cesse de questionner l’Histoire telle qu’elle nous a été racontée.

Vue d’exposition, Raphaël Barontini « Quelque part dans la nuit, le peuple danse », Palais de Tokyo, 21.02.2025 – 11.05.2025.Crédit photo Aurélien Mole

A lire aussi

9 expositions à voir absolument en mars à Paris

D’une grande rétrospective consacrée à la carrière de Wes Anderson à l’exposition solo de la Londonienne Lakwena Maciver à la galerie Marianne Ibrahim, Vogue France propose un tour des expositions à ne surtout pas manquer durant le mois de mars à Paris.

expositions mars paris 2025 - Henri Rousseau (1844-1910), La Guerre, Vers 1894, Huile sur toile, Musée d’Orsay, Paris, 2012

Le carnaval comme espace de renversement des codes sociaux

Originaire de Saint-Denis et diplômé des Beaux-arts de Paris en 2009, Raphaël Barontini a tout au long de son parcours artistique tenté de réinventer l’histoire coloniale française. Une position qui l’a longtemps écarté des institutions les plus prestigieuses du pays, là où les territoires anglo-saxons l’ont accueilli à bras ouverts. “J’ai eu mon diplôme de justesse aux Beaux-arts, se souvient-il. J’avais travaillé, mais on ne me comprenait pas. Il y avait un vrai manque de connaissances et d’intérêt pour ce que je faisais”. Le travail de sa galeriste, la Franco-somalienne Mariane Ibrahim, est à saluer. “Elle a beaucoup contribué à forger la stature que j’ai aujourd’hui, affirme-t-il à propos de sa collaboratrice depuis 2019. C’était fort pour moi d’avoir une galeriste afro-descendante qui a fait une partie de sa carrière aux États-Unis. Ça coïncidait parfaitement”.

Quelque part dans la nuit, le peuple danse, la nouvelle exposition de Raphaël Barontini au Palais de Tokyo, apparaît comme un miroir de ses travaux depuis deux décennies déjà. C’est par exemple, l’utilisation du carnaval antillais, grâce auquel les codes sociaux sont renversés : “Je suis invité au cœur d’une saison intitulée Joies collectives, qui convoque le collectif comme porteur des enjeux sociaux” explique-t-il. Parmi les traditions artistiques liées à ce thème, le carnaval fait figure d’évidence. L’occasion pour l’artiste d’origine guadeloupéenne de mettre à l’honneur ses costumes, dont certains ont été créés pour des performances, entre 2019 et 2020. “L’idée était d’en produire de nouveaux, pour tous les réunir dans un cercle qui appellerait la danse ou le bal” poursuit-il. L’occasion de montrer le carnaval comme un moment où les personnes esclavagisées sont autorisées à parader dans l’espace public – où il leur est normalement interdit d’être présentes.

Mais le travail de Barontini s’étend bien au-delà de la simple évocation de rituels comme le carnaval. À la manière d’un couturier, celui-ci défait, année après année, l’épais tissu de l’héritage colonial français. En cela, l’œuvre qui ouvre l’exposition, Cécile Fatiman, la princesse du royaume du nord, est une impressionnante broderie, mise au point par un atelier de Bombay (“qui travaille habituellement avec des maisons de mode comme Schiaparelli, Dior ou Alexander McQueen” souffle l’artiste). La commande du Français est une première pour l’atelier, qui d’ordinaire travaille sur du vêtement. Dans Cécile Fatiman, la princesse du royaume du nord, ce sont plusieurs médiums qui sont convoqués, de la broderie au fil à la peinture abstraite sur toile. La composition renverse cette fois-ci les codes du portrait équestre, représentation plébiscitée du pouvoir en pleine Renaissance, pour placer la figure d’une femme noire en son cœur. Ici, l’une des héroïnes de la lutte contre l’esclavage en Haïti : Cécile Fatiman. Anoblie à l’époque du Royaume d’Haïti, la monarchie établie en 1811 par Henri Christophe, elle revient à trois reprises dans l’exposition, dont le point de départ est une tirade tirée de la pièce de théâtre La tragédie du roi Christophe d’Aimé Césaire.

Crédit: Lien source

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.