Le 10 mars 2025, à Ouagadougou, le président ghanéen John Dramani Mahama a achevé une tournée diplomatique qui l’a conduit successivement au Mali, au Niger et au Burkina Faso. Objectif : renouer les liens entre les membres de l’Alliance des États du Sahel (AES) et le reste de l’Afrique de l’Ouest, après la rupture des relations intervenue en début d’année. Les trois pays dirigés par des juntes militaires ont quitté la Cedeao en 2025 pour créer une alliance censée mieux répondre aux défis sécuritaires. Toutefois, cette initiative de médiation portée par le Ghana se déroule dans un contexte bien plus complexe, marqué par des tensions politiques, des enjeux économiques et des stratégies géopolitiques de plus en plus intriquées.
La décision des trois pays de quitter l’organisation régionale a fait suite au coup d’État militaire au Niger en juillet 2023. Ce geste a plongé les relations dans une crise profonde, avec la menace d’une intervention militaire et l’imposition de sanctions économiques sévères. Même si ces sanctions ont été levées depuis, les tensions demeurent, alimentées par le sentiment d’abandon des États du Sahel face à l’intensification des attaques djihadistes. Les dirigeants de l’AES ont critiqué l’incapacité de l’organisation régionale à les soutenir efficacement et leur proximité avec la France, une relation qu’ils jugent désormais contre-productive.
Après avoir été réélu en décembre 2024, John Dramani Mahama signe un retour en force sur la scène politique ghanéenne, après sa défaite en 2016 dans l’un des pays ouest-africains à la tradition démocratique la plus enracinée. Ce retour intervient dans un contexte régional complexe où Mahama, fort de son expérience de médiateur dans les crises en Gambie et en Guinée, endosse à nouveau son rôle de conciliateur. À Bamako, Niamey et Ouagadougou, il a mis en avant la nécessité d’un « terrain d’entente » entre l’AES et les autres nations de l’Afrique de l’Ouest. Mahama a souligné que la reconnaissance de l’AES ne devait pas être perçue comme une simple concession, mais comme une démarche stratégique, visant à rétablir un équilibre et à restaurer la paix dans une région secouée par des tensions géopolitiques.
Des enjeux économiques sous-jacents
Derrière cette mission diplomatique, les enjeux économiques sont aussi cruciaux. Le Ghana, pays côtier, dispose d’un atout stratégique majeur que les États sahéliens, tous enclavés, ne peuvent ignorer : l’accès direct aux ports. « Notre objectif est de fluidifier la libre circulation des biens et des personnes et de faciliter le transit des biens et marchandises du Burkina Faso à partir du corridor du Ghana », a indiqué le président ghanéen, cité par la présidence burkinabée à l’issue de son séjour. Quelques heures auparavant, le chef de l’État du Ghana s’était dit « à la disposition du Mali ». Cette initiative pourrait stimuler les économies de ces pays tout en renforçant les relations bilatérales avec le Ghana. Le développement des infrastructures logistiques et l’intégration des échanges commerciaux devraient ainsi constituer des leviers pour accentuer l’influence d’Accra dans la région.
Cette question de la réintégration va bien au-delà de la simple réconciliation politique. Elle repose sur une redéfinition des échanges économiques et des rapports de force sous-régionaux. Le Ghana est bien conscient que pour maintenir la stabilité, il ne suffit pas d’une approche institutionnelle : il faut une collaboration pragmatique sur le terrain, qui inclut le secteur économique comme moteur de l’intégration.
Vers une riposte sahélienne affranchie des influences extérieures
L’insécurité au Sahel ne cesse de s’aggraver, et le terrorisme demeure la menace dominante. John Dramani Mahama a insisté sur l’urgence d’une riposte coordonnée contre l’« hydre » djihadiste, plaidant pour une mutualisation des moyens en matière de renseignement, de défense et de sécurité. Mais au-delà de la coopération militaire, le président ghanéen porte une vision plus large : celle d’une autonomie stratégique débarrassée des ingérences extérieures.
Les dirigeants de l’AES, lassés par l’inefficacité des mécanismes traditionnels face à la montée des violences, cherchent désormais à se structurer sans dépendre des grandes puissances. S’ils restent membres de l’Union africaine, ils veulent redéfinir leurs relations avec les blocs régionaux et tracer leur propre voie vers une sécurité maîtrisée. Mahama, en médiateur averti, tente d’accompagner cette dynamique tout en évitant un isolement périlleux pour la région.
Dans ce bouleversement géopolitique, le Ghana, pilier historique du bloc ouest-africain, ajuste sa stratégie. Là où Abuja prône la fermeté face aux juntes sahéliennes, Accra joue la carte de la médiation. Une posture calculée qui lui permet non seulement de calmer les tensions, mais aussi de s’imposer comme un acteur central dans la redéfinition des équilibres régionaux.
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Cependant, la réintégration des pays de l’AES au sein des structures régionales reste une mission semée d’embûches. Les trois juntes sahéliennes ont à plusieurs reprises réaffirmé leur volonté de conserver une certaine autonomie face aux pressions extérieures, notamment celles de l’organisation sous-régionale. Les divergences politiques, stratégiques et sécuritaires entre ces États et le reste de la région restent un obstacle majeur à la normalisation des relations.
Mahama peut-il réussir là où d’autres ont échoué ? La question reste entière. Jusqu’ici, les tentatives de médiation se sont heurtées à des divergences profondes, rendant tout rapprochement illusoire. Mais le président ghanéen mise sur un levier clé : l’alliance entre diplomatie économique et enjeux sécuritaires. Un pari audacieux qui pourrait bien redessiner les équilibres entre l’Afrique de l’Ouest et le Sahel.
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