L’opposition ivoirienne ne veut manifestement pas se laisser surprendre. Nous en sommes encore à sept mois avant la présidentielle du 25 octobre prochain. Mais en son sein, une certaine structuration commence à se mettre en place, dans l’optique de ce scrutin auquel le président sortant, contrairement à ses engagements initiaux, pourrait très probablement se présenter. C’est ainsi que le lundi dernier, le siège du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) de Tidjane Thiam, a accueilli une réunion de 25 partis politiques de l’opposition dont une quinzaine ont tout de suite paraphé un document de création de la Coalition pour l’alternance pacifique en Côte d’Ivoire (CAP-CI). Pour l’heure, on met davantage en avant des revendications relatives à la réforme du système électoral, mais rien n’exclut que les blocs en construction soient le fruit d’une stratégie pour barrer la route au quatrième mandat d’Alassane Ouattara.
Dénominateur commun
Que les leaders de l’opposition ivoirienne s’accordent à demander en particulier qu’il soit permis à tout le monde de participer à la prochaine présidentielle, cela n’est pas nécessairement anodin. C’est là en quelque sorte un dénominateur à commun à toute l’opposition. En effet, d’une part, en raison de leur condamnation par la justice, l’ancien président Laurent Gbagbo et son ancien compagnon d’infortune, à la Haye, Charles Blé Goudé, sont tous deux inéligibles. D’autre part, Tidjane Thiam, l’espoir du PDCI, lui aussi, redoute de se voir rattrapé par sa nationalité française dont il s’est récemment débarrassé de manière fort opportune. Enfin, l’ancien président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, dont le mouvement ‘’Génération des peuples solidaires (GPS)’’ a été dissous, ne peut pas non plus, faire acte de candidature. Un dialogue politique permettant de trouver un dénouement à ces différentes restrictions s’avère donc nécessaire aussi bien pour ces acteurs politiques que pour la quiétude en Côte d’Ivoire. Parce qu’on imagine bien qu’un scrutin duquel des leaders aussi importants seraient tous exclus ne serait pas sans conséquence sur la stabilité du pays. Les autorités devraient donc, au-delà des joutes verbales et autres attaques sournoises à mettre sur le compte de la pré-campagne électorale, prêter une oreille attentive à certaines des revendications portées par l’opposition.
Un choix réaliste
Pour ce qui est des stratégies qui se mettent en place, pour l’heure, les uns et les autres se refusent à indiquer ouvertement les options envisagées. C’est de bonne guerre, parce qu’en politique, il ne faut surtout pas dévoiler ses cartes dès au début. Mais on voit se mettre progressivement en place deux blocs pour faire face à la très probable quatrième candidature d’Alassane Ouattara. Un premier bloc, prolongement de la réunion récente organisée au siège du PDCI, pourrait se bâtir autour de Tidjane Thiam. Il compterait des acteurs d’envergure dont l’ancienne première dame, Simone Ehivet Gbagbo, le leader du Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (COJEP), Charles Blé Goudé, ou encore le président du Front populaire ivoirien (FPI), Pascal Affi N’Guessan. Si ces leaders venaient à s’accorder sur le principe d’appuyer et de donner la chance à Tidjane, ils feraient alors un choix réaliste, en misant sur celui qui a le plus de chance parmi eux.
Quitte à faire cavalier seul
Quant au second bloc, il serait essentiellement composé par le Parti des peuples africains de Côte d’Ivoire (PPA-CI), de l’ancien président, Laurent Gbagbo, qui n’a pas pris part au rassemblement organisé le lundi dernier. Une absence d’autant plus surprenante que Laurent Gbagbo lui-même, en juillet 2024, depuis la ville de Bonoua, avait pourtant lancé un appel à l’unité de l’opposition et que par ailleurs, à l’occasion des élections locales de septembre 2023, son parti et le PDCI s’étaient unis pour réduire l’hégémonie du RHDP, le parti au pouvoir. Mais manifestement, l’ancien président envisageait les choses avec la perspective qu’il bénéficierait de cette unité. Sauf qu’avec la reprise du PDCI par Tidjane Thiam, ce parti aussi croit désormais à ses chances et inspire une certaine adhésion. Or, quitte à faire la course à part, on ne voit pas Laurent Gbagbo se contenter d’apporter son soutien au leader actuel de l’ancien parti unique. A moins qu’il n’y soit contraint par une éventuelle inéligibilité.
Alassane Ouattara, un élément déclencheur de la crise en Afrique de l’ouest
Eh bien, si les différents acteurs politiques de l’opposition vont jusqu’au bout des initiatives qu’ils commencent à mettre sur pied, ils pourraient dans un premier temps contraindre le pouvoir ivoirien à leur prêter une attention. Ils pourraient par conséquent faire aboutir quelques-unes de leurs revendications. Mais cela ira-t-il jusqu’à permettre de barrer la route à Alassane Ouattara ? On ne peut que l’espérer de la part des électeurs ivoiriens. Parce que si le président ivoirien ne comprend pas lui-même la nécessité pour lui d’aller la retraite, ses compatriotes devraient l’y contraindre. Ce faisant, ils rendraient un fier service à cet espace ouest-africain plongé dans une vaste crise politique dont justement Alassane Ouattara incarne un des éléments déclencheurs. Avec son troisième mandat, un de ceux face auxquels la CEDEAO s’était montrée impuissante.
Boubacar Sanso Barry
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