Au Mali, l’enseignement de l’Institut national des aveugles repose sur le tutorat : des élèves valides aident les malvoyants. Un système solidaire qui facilite le travail des enseignants, formés au handicap visuel. Mais son financement est en péril..
À l’heure où la sonnerie marque le début des classes, des duos complices se forment dans la cour de l’Institut national des aveugles du Mali (INAM), à Bamako : des élèves et des professeurs non-voyants ou malvoyants sont escortés par des étudiants « valides ».
Une école inclusive basée sur le tutorat
Dans cette école malienne ouverte en 1973, l’enseignement repose sur un système de tutorat où des élèves « valides » aident ceux qui vivent avec un handicap visuel. L’unique école pour malvoyants et non-voyants de ce pays pauvre d’Afrique de l’Ouest compte parmi ses anciens élèves les célèbres chanteurs et musiciens Amadou et Mariam qui se produisent derrière leurs lunettes noires dans le monde entier.
« Un grand appui »
« Le tutorat, c’est le fait de mettre les enfants côte à côte, un voyant et un non-voyant. Cela facilite le travail de l’enseignant. Lorsque des activités sont entamées et que des conseils sont donnés, ils font le travail ensemble », explique à l’AFP Chaka Diabaté, directeur et coordinateur de l’INAM. Sur les bancs de l’école, les étudiants sont installés par binômes : les uns munis d’un stylo et de papier, les autres d’un poinçon pour écrire en braille. « Nos amis à côté nous sont d’une grande utilité et d’un grand appui », témoigne Drissa Diabaté, un élève malvoyant âgé d’une vingtaine d’années. « Ils nous aident à ramasser nos affaires qui tombent. En classe, ils nous dictent ce qui est au tableau et nous épellent les mots », poursuit le jeune Malien.
La « fierté » d’être indépendante
« Adama, au tableau », lance Fatoumata Dah Diarra, une professeure de lettres et d’histoire-géographie, elle-même non-voyante et ancienne élève de l’Institut. « Quand on a un handicap, surtout un handicap visuel, il y a d’abord la discrimination, la stigmatisation », explique Mme Diarra qui a pu poursuivre sa scolarité dans cet établissement après avoir perdu la vue. « Ma grande fierté, d’abord, est que je suis indépendante », se félicite l’enseignante.
Les enseignants formés au braille et au handicap visuel
Sur les murs de la cour, une fresque rappelle les correspondances entre l’alphabet latin et le braille. Tous les enseignants de l’école suivent une formation à l’écriture en braille et à la prise en charge des enfants handicapés visuels. Devant une trentaine d’adolescents, le professeur de mathématiques Mamadou Traoré énumère à voix haute les formules de calculs qu’il inscrit au tableau noir. « Il faut écrire, en même temps que tu dictes, c’est une double tâche pour nous », rappelle le professeur. Pendant la leçon, les doigts de certains étudiants filent sur les pages de livres en braille.
Le coût du matériel spécialisé
Grâce à un petit stylet et un cadre placé sur une feuille épaisse, les étudiants malvoyants ou non-voyants poinçonnent les caractères en braille à toute allure. Ce matériel est coûteux pour l’école qui doit le faire venir de l’étranger. « Une des premières difficultés, c’est l’acquisition de matériel didactique spécialisé : les tablettes, les poinçons, les feuilles braille pour les calculs, etc. Lorsqu’il y a des tracés, le compas pour aveugles, etc. Ce matériel n’est pas produit ici, il vient de l’extérieur, c’est un peu cher », rappelle le directeur de l’établissement, M. Diabaté.
Un financement en péril
L’agence américaine pour le développement USAID aidait au financement d’ONG partenaires de l’école. Peu après sa prise de fonction en janvier, le président américain Donald Trump a ordonné le gel de cette aide au développement en suspendant 92 % des financements de programmes à l’étranger. Si les conséquences pour l’école ne sont pas encore claires, le directeur s’inquiète : « La fermeture de l’USAID va sûrement impacter nos partenaires, et nous également, forcément ». Les aides étrangères sont cruciales pour l’école dans ce pays pauvre en proie à une crise économique profonde.
Le Mali, pays sahélien dirigé par une junte après un double coup d’Etat en 2020 et 2021, vit depuis 2012 une profonde crise sécuritaire nourrie notamment par les violences de groupes jihadistes affiliés à Al-Qaïda et à l’EI ainsi que de groupes criminels communautaires.
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