La Guinée-Bissau, petit pays d’Afrique de l’Ouest indépendant depuis 1974 après une guerre de dix ans contre le régime colonial portugais, traverse une crise politique majeure, marquée par des tensions croissantes entre les institutions et un fort climat d’incertitude. Le mandat du président Umaro Sissoco Embaló a officiellement pris fin le 27 février.
Embaló a non seulement dissous l’Assemblée nationale le 4 décembre 2023, mais il a également annoncé sa candidature à sa propre succession. Embaló, considéré par l’opposition comme un président illégitime, a annoncé que la prochaine élection présidentielle se tiendrait le 30 novembre 2025.
Dans un contexte déjà fragile, la récente menace d’expulsion d’une mission de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), qui tentait d’évaluer la situation politique du pays, en rencontrant différents acteurs sociaux dont l’opposition et la société civile, illustre l’isolement grandissant du pouvoir en place.
Ces événements traduisent un affrontement institutionnel sans précédent, soulevant des interrogations sur l’avenir démocratique de la Guinée-Bissau et les risques de nouvelles tensions.
Je travaille sur la Guinée-Bissau, un pays fascinant, depuis 1985, et elle a fait l’objet de ma thèse de doctorat et de mes recherches, depuis lors. Dans cet article, j’explique la situation politique actuelle.
Affaiblissement des institutions
Près de 50 ans après son indépendance, la Guinée-Bissau est un État incapable de répondre aux attentes de sa population en raison de la fragilité des institutions publiques, d’une élite politique et économique préoccupée avant tout par ses propres intérêts et d’une grande incapacité à fournir des services de base à sa population. Au cours des décennies écoulés, l’ingérence de l’armée, commandée par les anciens combattants, a donné lieu à trois coups d’Etat. Le pays a connu un conflit armé ayant détruit des biens et tué des personnes en 1998-1999. Il existe pourtant dans le pays une société civile d’une grande vitalité et capacité d’innovations. Elle se substitue à l’État dans des activités d’éducation, de protection des groupes vulnérables comme les enfants mendiants appelés talibés, la défense des droits humains, de l´égalité de droits pour les femmes, la défense des zones protégées contre exploitation de ressources de façon non soutenable, etc.
La situation créée par le président sortant semble s’inspirer du comportement politique de l’ancien président sénégalais Macky Sall, qui a lui aussi fait tout une politique pour se maintenir au pouvoir affaiblissant les institutions démocratiques. Elle poursuit la trajectoire de concentration de pouvoirs amorcée par le précédent président, João Mário Vaz entre le 23 de juin de 2014 et le 27 de février de 2020.
Elle s’inscrit également dans un processus d’affaiblissement des institutions constitutionnelles de souveraineté, marqué notamment par la dissolution de l’Assemblée nationale sans programmation d’élections législatives dans les délais fixés par la Constitution.
Par ailleurs, le président nomme et révoque directement les gouvernements, tandis que la Cour suprême ne parvient pas à réunir le quorum nécessaire pour statuer. En d’autres termes, les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire dépendent tous des décisions personnelles du président.
Dans cette situation, seule la Commission permanente de l’Assemblée nationale semble fonctionner conformément à la Constitution, car elle est composée de membres élus lors des dernières élections législatives. Cependant, la dissolution de l’Assemblée nationale par le président empêche la tenue de séances plénières.
Aliu Balde/Xinhua via Getty Images
Autoritarisme croissant
La Cedeao a protégé le président actuel au début de son mandat. Aujourd’hui, elle se trouve confrontée à son autoritarisme croissant qui provoque des frictions, comme on l’a vu lors de la dernière visite d’une mission de médiation de l’organisation régionale qui s’est terminée prématurément.
Les médiateurs ouest-africains dépêchés en Guinée-Bissau pour trouver une solution à cette crise politique disent avoir quitté le pays après des menaces d’expulsion du président Umaru Sissoco Embaló. Ils ont précisé dans un communiqué qu’ils avaient préparé un projet d’accord sur une date des élections. Ce qui n’a pas plu au président Embaló.
Ce dernier estime en effet que son mandat présidentiel, débuté en 2020, devrait se terminer le 4 septembre 2025, contrairement aux positions de l’opposition et de la Cour suprême qui l’ont fixé au 27 février 2025.
En 2019, dans les délais constitutionnels, l’élection présidentielle? remportée par Embaló? a eu lieu, mais la situation d’instabilité politique, économique et sociale s’est perpétuée, avec de graves répercussions sur les droits de l’homme dans le pays.
En 2023, les élections législatives donnent la majorité absolue à une coalition dont le principal parti est le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert (PAIGC). Son leader, Domingos Simões Pereira, prend la présidence de l’Assemblée nationale populaire et le président de la République fait prêter serment à un gouvernement nommé par les vainqueurs.
Perte des soutiens extérieurs
Mais Umaru Sissoko Embaló perd peu à peu ses soutiens extérieurs en raison de la situation politique interne. En décembre 2023, un conflit limité entre deux corps paramilitaires — la Garde nationale et le bataillon présidentiel, sous l’autorité directe du président de la République — sert de prétexte pour dissoudre l’Assemblée nationale. Le chef de l’Etat choisit ensuite un Premier ministre, un député du PAIGC, et nomme lui-même un gouvernement.
Le président actuel a pris toutes les dispositions nécessaires pour se maintenir au pouvoir. Il organisera tôt ou tard une élection présidentielle lorsqu’il jugera que l’opposition est trop faible pour s’unir autour d’un candidat comme Domingos Simões Pereira. Pour ce faire, il n’hésitera pas à accroître la répression des journalistes, des radios et des autres voix dissidentes, tout en prenant ses distances avec une Cedeao qui le presse d’organiser des élections dans les délais constitutionnels.
Il ne faut pas penser cependant qu’Embaló est seul dans ce projet, comme l’atteste la présence de politiciens et d’hommes d’affaires lors de son investiture provisoire dans un hôtel de la capitale en 2020 et comme nous continuons à le voir dans les va-et-vient des conseillers et des communiqués et prises de position pour et contre des acteurs politiques et civils.
Mais, selon moi, son soutien à l’intérieur du pays a diminué, même s’il pourrait continuer à consolider un modèle autoritaire tant que les militaires restent dans les casernes, et en l’absence d’élections.
La voie que suit le pays peut évoluer vers une démocratie libérale, sous réserve de l’organisation d’élections présidentielle et législatives permettant de rétablir le fonctionnement des institutions de souveraineté. À l’inverse, le pays peut sombrer dans un régime dictatorial, caractérisé par un présidentialisme autoritaire, la répression de l’opposition et un champ libre pour des actions illégales telles que l’intervention de groupes armés et le trafic de drogue.
La Guinée-Bissau est située dans une Afrique de l’Ouest particulièrement vulnérable avec des pays confrontés à des conflits armés d’origine islamiste. Les deux trajectoires d’évolution possibles (la démocratie ou l’autoritarisme) ne peuvent être ignorées par la communauté internationale, tant en Afrique que dans le reste du monde. Il est essentiel de maintenir la pression sur le président afin qu’il mette en œuvre une transition démocratique, gage de stabilité pour le pays.
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