Dans la liste des problèmes à régler au Nouveau-Brunswick, le droit d’acheter ses caisses de bière au Québec sans être intercepté par les policiers n’est pas le plus important. Nous saluons néanmoins l’ouverture de la première ministre Susan Holt, qui rompt avec des décennies d’hypocrisie de la part de Fredericton.
En réaction à la guerre commerciale sans merci qui a été déclenchée par le président américain Donald Trump contre le Canada, les premiers ministres provinciaux ont démontré une volonté d’ouvrir davantage leurs frontières au commerce interprovincial.
Il existe déjà un accord de libre-échange pancanadien. Le Nouveau-Brunswick est toutefois l’une des provinces qui comptent le plus grand nombre d’exceptions. Elles visent généralement à protéger certains secteurs (la construction, notamment) qui peineraient à soutenir la concurrence du Québec et de l’Ontario.
L’enjeu est émotif. Lors de la campagne électorale de 2018, Blaine Higgs avait mené une charge contre l’attribution de contrats gouvernementaux à des entreprises du Québec. «Accorder un contrat à une entreprise du Québec, c’est littéralement enlever la nourriture sur la table des Néo-Brunswickois», avait-il soutenu.
Les choses pourraient évoluer à mesure que la guerre des tarifs trumpistes s’intensifiera. La semaine dernière, Susan Holt a présenté un plan d’action visant à appuyer les entreprises et les travailleurs qui souffriront durant cette crise et qui aura aussi pour objectif de les rendre moins dépendants du marché américain.
La première ministre nous réservait une surprise. Son gouvernement déposera un projet de loi visant à retirer la limite de bières qu’un Néo-Brunswickois peut ramener chez lui en provenance d’une autre province.
Cette restriction existe depuis 1928. Elle visait d’abord à exercer un contrôle sur la quantité d’alcool dans la province, à la suite des années de prohibition. De nos jours, l’objectif est surtout de protéger le monopole d’Alcool NB. La société de la Couronne verse environ 200 millions $ par année dans les coffres du gouvernement. Ce dernier n’a pas les moyens de se priver de cette vache à lait.
La loi utilise un vocabulaire d’une autre époque. Elle décrète une limite d’importation de 12 chopines, ce qui représente la quantité contenue dans environ 18 bières. Les policiers tolèrent généralement l’achat d’une caisse de 24. Si vous transportez plusieurs caisses de bière ou bouteilles de vin, vous courrez le risque qu’elles soient saisies.
Tout le système est basé sur une grande hypocrisie des autorités qui font semblant d’interdire ce qui se fait pourtant au grand jour. Les Acadiens qui achètent leur bière ou leur vin au Québec ne se cachent pas. Nous ne sommes pas à l’époque des rum runners. Des dépanneurs québécois ayant pignon sur rue tout près de la frontière font chaque jour des affaires d’or. Les opérations policières ponctuelles ne découragent personne.
Un citoyen de la Péninsule acadienne, Gérard Comeau, a contesté la constitutionnalité de la loi devant la Cour suprême du Canada, laquelle s’est par contre rangée du côté du gouvernement provincial.
Pendant la pandémie, le gouvernement Higgs a fermé les frontières. Les succursales d’Alcool NB du Madawaska et du Restigouche ont alors connu une hausse marquée de leurs ventes. Une situation inédite qui ne pouvait pas perdurer. Il est grand temps que Fredericton cesse de s’enfouir la tête dans le sable.
La fin de la plupart des restrictions à l’importation pourrait permettre aux Néo-Brunswickois de commander de l’alcool d’autres provinces, par exemple du vin des glaces de Niagara ou du vin de la Colombie-Britannique. C’est actuellement possible, mais à condition d’aller chercher votre commande en personne.
Il est probable que des restrictions continueront de s’appliquer aux entreprises qui vendent de l’alcool (les bars, les restaurants, etc.). Il s’agit d’un compromis raisonnable. Les autorités ne doivent pas traiter de la même façon une personne qui achète des caisses de bière pour sa consommation personnelle et un commerçant détenteur d’un permis de vente d’alcool avec des règles strictes à respecter.
L’objectif n’est pas de mettre fin au monopole d’Alcool NB ni de compromettre sa rentabilité. L’avenir de la société de la Couronne est un autre débat qui se fera en temps et lieu. Nous croyons toutefois que nos policiers ont mieux à faire que de surveiller les Acadiens dont le seul crime est de vouloir économiser quelques dollars sur leurs achats.
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