Jeremy Dutcher annonce avoir retiré ses huit nominations pour les Prix de la musique de la côte est (ECMA), en solidarité avec les autres musiciens qui boycottent l’événement.
Le ténor wolastoqiyik a déclaré à La Presse Canadienne qu’il ne souhaitait plus participer à la cérémonie de remise des prix de cette année, alors que les questions se multiplient sur l’organisation après le congédiement de sa présidente et directrice générale, Blanche Israël, en janvier. «Je suis l’exemple des personnes sur le terrain au sein de la communauté musicale de la côte est, a-t-il déclaré mercredi en entrevue. Il est important pour nous, artistes, de nous exprimer ensemble et de commencer à poser des questions à une organisation qui prétend nous soutenir et nous représenter.» Dutcher, l’un des principaux finalistes aux côtés du rappeur Classified d’Enfield, en Nouvelle-Écosse, a cité plusieurs autres musiciens qui, au cours des deux dernières semaines, ont demandé aux ECMA de retirer leurs nominations. Parmi eux figurent les rappeurs Wolf Castle de la Première Nation de Pabineau et Stephen Hero de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, ainsi que l’auteur-compositeur-interprète Mo Kenney de Dartmouth, en Nouvelle-Écosse, dont la chanson «Evening Dream» était en lice pour le prix de la meilleure sortie rock/alternative de l’année.
Evan Newman, directeur de la maison de disques Outside Music à Halifax, s’est retiré de la liste des nominés pour le prix de l’agent artistique de l’année. Les représentants de l’organisation n’ont pas commenté. Le site internet des ECMA a retiré Dutcher et plusieurs autres nominés de leur catégorie respective. Les ECMA sont en proie à des turbulences depuis des mois quant à leur avenir et à ce que certains musiciens qualifient de lutte de pouvoir qui s’est déroulée principalement à huis clos. Cet organisme à but non lucratif a été créé il y a plus de 30 ans pour soutenir les artistes locaux et organiser la cérémonie de remise des prix, mais les critiques ont suggéré qu’il était en décalage avec son époque. Certains affirment que les organisateurs misent trop sur la musique folk et rock, minimisant ainsi la communauté florissante d’autres genres musicaux dans la région. Cependant, les ECMA décernent des dizaines de prix musicaux couvrant le rap, la danse, le blues, le country, ainsi que les prix de l’artiste francophone, autochtone et afro-canadien de l’année.
Les ECMA semblaient prêts à répondre aux préoccupations de certains membres concernant l’inclusion lorsque Mme Israël a été recrutée au début de 2024. Dans son annonce d’embauche, la présidente a salué sa «diversité d’expérience et sa profonde compréhension du paysage culturel du Canada atlantique», affirmant qu’elle ouvrirait la voie à une «croissance et une innovation renouvelées» au sein de l’organisation. Mme Israël avait de l’expérience en tant que stratège culturelle et près de deux décennies comme violoncelliste à Montréal, notamment comme collaboratrice sur les premières œuvres de Dutcher. Son mandat était d’améliorer la diversité, l’équité et l’inclusion au sein des ECMA.
Sous sa direction, l’organisation a commencé à introduire des changements structurels, notamment une réforme du processus de candidature aux prix visant à mieux représenter un éventail de genres musicaux de l’Atlantique. Cependant, une pétition déposée l’automne dernier par la directrice fondatrice des ECMA, Sheri Jones, alléguait que les membres et autres dirigeants n’avaient pas été suffisamment consultés au cours du processus. Mme Jones, gérante d’artistes dont Joel Plaskett et Kim Stockwood font partie, a appelé à plus de transparence et à une meilleure communication. Sa pétition a recueilli 648 signatures et a suscité la réaction du conseil d’administration. Mme Jones n’a pas répondu aux demandes de commentaires.
Un licenciement qui sème le trouble
Mme Israël a finalement été licenciée après ce que le conseil d’administration a décrit comme «un examen approfondi de notre direction et de nos opérations». Elle a été remplacée par l’ancien PDG Andy McLean à titre intérimaire plus tôt cette année. Mais son départ a semé le trouble au sein des ECMA, selon plus de trois personnes au courant des retombées. De nombreuses personnes se sont interrogées sur les raisons de ce départ, tandis que la direction des ECMA a qualifié cette affaire de privée. Un prestataire en marketing numérique a démissionné en signe de protestation. Deux membres du conseil d’administration ont depuis quitté leurs fonctions. L’une d’entre elles, Eva George, a déclaré que sa décision de démissionner avait été en partie influencée par la perte du poste de PDG de Mme Israël. «La présence de Blanche a été perçue comme un pas en avant — une opportunité pour les ECMA d’adopter une transformation en phase avec les valeurs qui me sont chères», a-t-elle déclaré dans une publication Facebook en janvier.
«Cependant, les récents événements au sein de notre écosystème musical ont eu un impact profond sur moi, montrant clairement que mes valeurs personnelles ne correspondaient plus à la direction actuelle des ECMA.» Le conflit s’est davantage manifesté publiquement après l’annonce des nominés des ECMA en février. Plusieurs musiciens ont immédiatement retiré leur candidature, dont Kenney, qui a appelé la direction à respecter ses engagements de transparence concernant le départ de Mme Israël et d’autres sujets, comme les finances de l’organisation. «Même si tous ces artistes ont retiré leur nomination et décidé de ne pas assister à la cérémonie de remise des prix, ils n’ont toujours pas publié de déclarations ni fourni d’informations supplémentaires, a déclaré Kenney. J’espère qu’ils nous apporteront des éclaircissements (…) les membres aimeraient savoir, et je pense que nous l’avons clairement exprimé.»
D’autres se sont retirés de la vitrine annuelle des ECMA, qui réunissent les talents de la côte est, en signe de protestation, notamment le duo de Halifax Moira & Claire et le trio rock June Body. «Il était hors de question que nous participions à une organisation qui ne valorisait pas les changements que Mme Blanche tentait d’apporter, a déclaré Connor James, membre de June Body. Les ECMA sont censés représenter ses membres (…) et nous allons accorder plus d’importance à notre communauté qu’à une organisation.» «S’ils ne montrent absolument aucun signe ni aucune volonté de s’orienter vers l’avenir que nous souhaitons, alors il n’y a aucune raison pour que moi ou mes pairs participions.» Stephen Hero, né Matthew Elliot, de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, a déclaré avoir retiré sa nomination en accord avec son producteur Uncle Fester et Lance Sampson, plus connu sous le nom d’Aquakultre. Leur chanson «Can’t Stop (Workin’)» était en nomination pour la meilleure sortie rap/hip-hop de l’année.
Il a déclaré que c’était l’aboutissement d’une frustration de longue date envers la direction des ECMA et d’un manque de respect pour le rap. Il rappelle qu’en 1997, le violoniste Ashley MacIsaac avait remporté le prix de la meilleure danse ou hip-hop, ce que certains membres de la communauté hip-hop ont pris comme une insulte. «Il semblait qu’un réel changement était en vue et que c’était nécessaire, et nous en étions très enthousiastes, a-t-il déclaré. J’espère que certains de ces problèmes seront résolus.» Dutcher a exhorté les dirigeants des ECMA à trouver une voie à suivre qui tienne compte des priorités de tous ses membres et qui privilégie le soutien financier aux musiciens indépendants plutôt que les distinctions. «Nous avons besoin de plus qu’une cérémonie de remise de prix sur la côte est, a-t-il déclaré. J’espère que cela servira de message à toutes les autres organisations artistiques. Lorsque nous entreprendrons des consultations avec les communautés d’artistes, ces derniers commenceront peut-être à se préoccuper de ce qui se passe (…) et à s’investir.»
Les ECMA auront lieu le 8 mai dans le cadre d’une conférence de cinq jours à Saint-Jean.
Légende et crédit photo: Jeremy Dutcher se produit lors de la cérémonie des Prix de musique Polaris au Massey Hall de Toronto, le mardi 17 septembre 2024. LA PRESSE CANADIENNE/Paige Taylor White
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