Conflit à l’est de la RD Congo : les hommes risquent la noyade en fuyant la conscription par les rebelles
- Author, Nomsa Maseko
- Role, BBC News, Rugombo
Jordan Bita a préféré risquer sa vie en traversant à la nage une rivière rugissante, plutôt que de rester chez lui et d’être enrôlé par les rebelles dans l’est de la République démocratique du Congo.
Le jeune homme de 25 ans s’est accroché à un sac poubelle noir avec quelques effets personnels, alors qu’il utilisait les forts courants pour se frayer un chemin à travers la rivière Rusizi, qui forme la frontière entre la République démocratique du Congo et le Burundi.
Il s’agissait de la dernière étape d’un voyage désespéré pour se mettre à l’abri au Burundi, alors que le conflit dans l’est de la République démocratique du Congo s’intensifie, les rebelles du M23 s’étant emparés des villes de Goma et de Bukavu au cours des cinq dernières semaines.
« J’ai réussi à fuir en toute sécurité… parce que je traversais la forêt et me déplaçais le long des buissons au lieu de suivre la route principale », a-t-il déclaré à la BBC après avoir escaladé la berge du côté burundais et essuyé l’eau de son visage.
« C’est parce que les combattants du M23 sont partout et qu’ils nous forcent à les rejoindre pour combattre le gouvernement », a ajouté Jordan Bita.
Les troupes burundaises surveillent les berges de la province de Cibitoke, dans le nord-ouest, que traversent les familles congolaises.
Elles font partie des quelque 70 000 personnes qui ont cherché refuge ici au cours du mois dernier, alors que les rebelles du M23 – soutenus par le Rwanda, voisin du Burundi au nord – continuent d’avancer vers le sud de la République démocratique du Congo.
Fin janvier, ils ont pris la ville de Goma, dans la province du Nord-Kivu, et mi-février, Bukavu, la capitale du Sud-Kivu, est tombée.

Les bagages de M. Bita ont été minutieusement contrôlés sur ordre des troupes burundaises – aucune arme n’est autorisée à entrer.
Il a ensuite ramassé son sac et l’a porté sur sa tête, grimpant une colline escarpée jusqu’au camp de réfugiés le plus proche, situé à environ 12 km dans la ville de Rugombo.
Il apporte avec lui de la nourriture dont il a désespérément besoin – de la farine de maïs, des cacahuètes et des haricots – pour sa famille qui se trouve déjà dans un camp de fortune installé dans le stade de football de la ville.
Un autre homme, Amani Sebakungu, semblait épuisé et essayait de reprendre son souffle en sortant de la Rusizi : « Dans la rivière, il faut prendre courage et se dire que si je meurs ou survis, c’est comme ça. Dieu a voulu que je traverse sans encombre. »
Alors que l’équipe de la BBC interviewait M. Sebakungu, l’armée burundaise nous a ordonné de quitter la zone, car des rebelles du M23 avaient été repérés en train de marcher vers la rivière de l’autre côté.
Plus tard, en regardant depuis une colline voisine, nous avons pu voir les rebelles en treillis militaire marcher en file indienne et empêcher les personnes du côté congolais de traverser.
Les dangers auxquels sont confrontés les fuyards sont réels.

Au cours des deux dernières semaines, au moins 20 personnes se sont noyées alors qu’elles tentaient de franchir à la nage les 300 mètres de la rivière, dont la profondeur atteint parfois 10 mètres. On pense que de nombreuses autres noyades n’ont pas été signalées.
Clarice Kacindi a perdu son enfant de trois ans en traversant la Rusizi il y a dix jours.
« L’un de mes enfants était allongé sur le radeau devant moi, tandis que j’en tenais trois autres à côté de moi. Il y avait beaucoup d’autres personnes dans le radeau et lorsque nous avons atteint le milieu de la rivière, le radeau s’est brisé en deux et mon enfant a été emporté par les eaux », a-t-elle déclaré à la BBC au stade de football de Rugombo.
« Le M23 nous rend la vie très difficile. Il doit arrêter cette guerre. Même si je voulais rentrer chez moi, je serais obligée de repartir à zéro. Tout ce que nous avions laissé derrière nous a été volé », a dit Clarice Kacindi.
Des centaines de tentes blanches ont été installées dans le stade pour abriter les demandeurs d’asile en attendant que leurs papiers soient traités.
Jusqu’à 25 personnes partagent une tente, et beaucoup d’autres dorment à la belle étoile. La nourriture est rationnée à un seul repas par jour.
Plus au sud, le principal poste-frontière entre la République démocratique du Congo et le Burundi, à Gatumba, est également très fréquenté.
Le trajet entre la ville congolaise voisine d’Uvira et la principale ville du Burundi, Bujumbura, dure généralement une heure et la route est animée par les commerçants. On rencontre des automobilistes, ici.
Aujourd’hui, le trafic est à sens unique, les réfugiés affluant vers le Burundi, des femmes et des enfants pour la plupart.
Les responsables burundais de la sécurité, qui ont parlé sous le couvert de l’anonymat, ont déclaré à la BBC que les hommes n’étaient pas autorisés à franchir la frontière et qu’ils étaient pris en charge par les forces de l’ordre.
Le Burundi a déployé plus de 10 000 soldats en République démocratique du Congo pour aider l’armée congolaise à combattre le M23.
Un grand nombre de leurs soldats sont maintenant basés à Uvira, qui compte plus de 300 000 habitants.
Cette ville, située à l’extrémité nord du lac Tanganyika, est actuellement en état d’alerte, car les rebelles du M23 marchent vers le sud depuis Bukavu et se trouveraient à 70 km de là.
Le Burundi est un allié naturel de la République démocratique du Congo depuis des années, en raison de son inimitié avec le Rwanda.
Les relations entre le Rwanda et le Burundi sont depuis longtemps hostiles, les deux pays s’accusant mutuellement d’essayer de renverser leurs gouvernements respectifs.
Les deux pays partagent une langue et une composition ethnique similaires – les Tutsis et les Hutus s’affrontant souvent pour le pouvoir – et ont tous deux subi de terribles massacres à caractère ethnique.
Mais contrairement au Rwanda, qui est dirigé par un président tutsi, la majorité des Hutus dirige le Burundi.
Le gouvernement burundais craint que si le M23 consolide sa présence dans le Sud-Kivu en prenant Uvira, il ne renforce un groupe rebelle burundais appelé Red Tabara.
Basé au Sud-Kivu, ce groupe est principalement composé de Tutsis et a déjà mené des attaques contre le Burundi.

« C’est terrible pour le Burundi. C’est la première fois en plus de vingt ans que le pays accueille un si grand nombre de réfugiés. Nous devons aider ce pays à accueillir les réfugiés afin d’améliorer les conditions de ceux qui sont encore en route vers le Burundi, de sorte qu’il n’y ait pas d’affrontements entre les réfugiés et les communautés d’accueil », a dit à la BBC Brigitte Mukanga-Eno, fonctionnaire de l’agence des Nations unies pour les réfugiés.
Magega Mwarui, 87 ans, peut témoigner des années de troubles dans la région, souvent déclenchés par des rivalités ethniques.
« J’ai fui tant de fois vers le Burundi. Nous traversons cette rivière en emportant le peu de biens qui nous restent », a raconté à la BBC cette Congolaise, qui a perdu la vue, à Rugombo.
« Depuis que je suis jeune, avant que je ne devienne aveugle, j’ai failli me noyer en fuyant le conflit », a-t-elle ajouté.
Charlotte Odile, qui vit actuellement dans un camp situé juste à l’extérieur de Rugombo et réservé aux personnes officiellement enregistrées comme réfugiés, nous a dit qu’elle était venue au Burundi avec ses quatre enfants, après que son mari a été abattu par les rebelles du M23 dans le Sud-Kivu.
« J’espère trouver la paix et un foyer pour mes enfants », a-t-elle déclaré.
Robert Kiptoo, de la BBC, a contribué à ce reportage.
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