Si la création du spectacle musical Évangéline est bien accueillie par la collectivité acadienne, des artistes se désolent de voir seulement deux interprètes de l’Acadie figurant à la distribution de cette production qui pourtant raconte leur histoire. Selon ceux-ci, cette création d’envergure aurait pu mettre en lumière davantage le talent acadien.
«Où sont les Acadien·ne·s dans cette production? Si Maude Cyr-Deschênes et Raphaël Butler représentent une présence acadienne bienvenue, pourquoi d’autres artistes acadiens·ennes n’ont-ils pas été intégrés?», a soulevé l’artiste de la danse Roxanne Dupuis.
Celle-ci dit avoir reçu les détails des auditions à Montréal, mais comme artiste basée à Moncton, elle n’a pas pu s’y rendre. «Pourquoi aucune audition n’a-t-elle été organisée en Acadie pour inclure les artistes d’ici ? […] De plus, j’ai suggéré à l’équipe de production plusieurs noms d’artistes acadiens·ennes, danseurs·euses, comédien·ne·s, chanteurs·euses, sans succès. Pour un spectacle ancré dans notre histoire, il est décevant qu’aucun·e danseur·euse acadien·ne ne figure au casting», a-t-elle affirmé dans une déclaration envoyée à l’Acadie Nouvelle.
Lilianne Cormier, finissante en art dramatique, trouve dommage que le processus d’audition soit demeuré un peu dans la confidentialité et que les créateurs de ce grand spectacle n’aient pas puisé davantage dans le bassin d’artistes de l’Acadie.
«On a tellement d’Acadiens qui, justement, déménagent à Montréal pour avoir plus d’opportunités, puis là, voilà une opportunité en or de non seulement avoir des jobs dans le milieu québécois, mais avoir un job qui parle de notre histoire. C’est très rare que ça vienne. Puis on n’a pas eu d’annonce qui fait en sorte que ça recherche des artistes acadiens.»
«Puis c’est pas juste une affaire de «je suis déçue de ne pas avoir eu le rôle». Non, on aurait voulu avoir la chance de peut-être avoir quelque chose», a poursuivi la jeune comédienne.
Celle-ci souligne que le milieu acadien n’a pas les mêmes ressources qu’au Québec pour réaliser des productions de l’envergure d’Évangéline. Elle aurait souhaité un ratio Acadien-Québécois un peu plus équitable.
«Évangéline et Gabriel c’est une histoire qui prend place pendant le moment le plus déchirant de notre histoire culturelle pis il sont trois Acadiens (incluant le consultant historique André-Carl Vachon) sur l’équipe.»
La distribution de ce spectacle produit par Gestev comprend 22 interprètes (acteurs, chanteurs, danseurs) dont six rôles principaux.
Une forme d’appropriation culturelle
Le réalisateur Julien Cadieux qui entend faire parvenir une lettre aux producteurs du spectacle s’attriste de voir qu’aucun danseur de l’Acadie n’a été embauché dans ce spectacle, et ce, malgré la participation de talents exceptionnels aux auditions. “Se voir représenté, s’entendre raconter est un outil puissant dans notre combat pour la survivance de la culture acadienne”, rappelle le cinéaste.
«L’appropriation culturelle et la souveraineté narrative des récits sont des enjeux majeurs, tant d’un point de vue historique que créatif. Ce mythe, écrit par un Américain, doit être réapproprié par ceux qui en sont directement concernés. Ce n’est pas aux autres de raconter qui nous sommes. Ce projet représentait une occasion unique de mettre en avant des artistes acadiens et d’organiser des auditions en Acadie, mais cette opportunité n’a malheureusement pas été saisie. Nous sommes à une époque où les productions traitant de minorités culturelles doivent être réalisées avec respect et sensibilité», écrit Julien Cadieux dans sa lettre dont l’Acadie Nouvelle a obtenu une copie.
Celui-ci salue l’effort historique avec la participation d’André-Carl Vachon et du consultant Quentin Condo pour la culture mi’kmaq. Cependant, il estime que pour une production d’une telle ampleur, il aurait été important d’y inclure des créateurs acadiens «qui sont aussi le visage de cette histoire.»
«Si Maude et Raphaël sont d’excellents chanteurs, l’absence totale de danseurs acadiens sur scène est frappante. J’aurais dû mal à imaginer une troupe de danseurs français venir à Montréal pour monter Un homme et son péché ou Maria Chapdelaine. Ce serait un non-sens. Pourtant, c’est précisément ce que le public acadien s’apprête à voir avec Évangéline», a ajouté Julien Cadieux qui espère que son message pourra ouvrir un dialogue constructif.
Les concepteurs répondent
Le metteur en scène et directeur de la création Jean-Jacques Pillet et Anne Vivien, responsable de la distribution et directrice artistique, assurent que la démarche créative a été faite avec rigueur, sincérité et ouverture.
«L’Acadie elle est au cœur de cette histoire évidemment […] et puis croyez-moi qu’il y en a eu des jeux de coulisses, puis il y en a eu des consultations, des appels et on en a passé du temps et il y a eu des agendas qui ne se rencontraient pas et des recommandations et des visionnements et des gens qu’on a vus», a affirmé en entrevue Anne Vivien.
Jean-Jacques Pillet soutient qu’ils ont appelé plusieurs personnes en Acadie, des festivals, des organisateurs d’événements, des compagnies théâtrales et des agences d’artistes. Ils ont d’ailleurs reçu plusieurs auditions en auto-enregistrement comme celle de Raphaël Butler.
Comme le projet est en création, les producteurs ont maintenu le processus d’auditions plus ciblées au lieu d’effectuer des annonces plus larges évitant ainsi de divulguer le projet en cours. Le metteur en scène précise que bien des projets artistiques fonctionnent de cette façon. Ils ont fait appel à quelques personnalités qu’ils considèrent comme des ambassadeurs acadiens pour les conseiller dans le processus. Zachary Richard leur a rendu visite pendant les auditions. Anne Vivien confie qu’elle aurait souhaité qu’il fasse partie du projet, mais les horaires ne concordaient pas.
«L’objectif a toujours été d’avoir des Acadiens et nous en avons dans les rôles principaux. C’était important pour nous qu’Évangéline le soit. Beausoleil pour nous est aussi un des personnages extrêmement importants», a expliqué le metteur en scène.
Ils tenaient à avoir des artistes expérimentés, solides vocalement, conjuguant des talents de chanteur et d’acteur et même de danseur parfois. La distribution s’est composée comme un casse-tête autour du personnage d’Évangéline.
Le metteur en scène aussi chorégraphe mentionne qu’ils ont reçu une diversité de danseurs en audition. La sélection s’est faite en fonction du langage chorégraphique qu’il recherchait sur scène et non de la provenance de l’artiste, a-t-il précisé.
Jean-Jacques Pillet et Anne Vivien accueillent les commentaires de la communauté acadienne avec ouverture et en étant à l’écoute. Même si la distribution est maintenant complétée, il n’écarte pas l’idée éventuellement d’agrandir l’équipe pour intégrer d’autres interprètes afin d’ajouter de l’ampleur au spectacle. Pour l’enregistrement de la trame musicale en mai, il est possible que des musiciens acadiens soient recrutés.
Au printemps, l’équipe artistique fera une visite en Acadie afin de rencontrer des artisans du milieu culturel dans le but de poursuivre le développement de la production.
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