Au Soudan, il y a « un énorme risque de partition du pays », affirme l’Union africaine, après la décision des Forces de soutien rapide (FSR) du général Hemedti de former prochainement un gouvernement parallèle. Presque deux ans après le début de la guerre civile dans ce pays, y a-t-il vraiment un risque de sécession ? Et peut-il y avoir un impact sur la stabilité politique du Tchad ? Décryptage avec Roland Marchal, chercheur à Sciences Po Paris. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Sur le terrain politique, le camp du général Hemedti a signé avec ses alliés une charte constitutionnelle en vue de former un gouvernement parallèle. C’était le mois dernier à Nairobi et aussitôt le secrétaire général de l’ONU a dénoncé un risque de fragmentation du Soudan. Est-ce que les craintes d’Antonio Guterres sont justifiées ?
Oui, il y a ce risque. Et il y a au moins deux scénarios. Le premier vise à dire : les forces d’Hemedti, qui contrôlent une partie du territoire, ont fait des alliances pour agrandir cette zone et puis déclarer une sécession de fait, elle n’est pas de droit aujourd’hui, pour effectivement de ce point de vue-là fragmenter le Soudan actuel. Mais on peut aussi penser que c’est une démarche politique qui vise d’abord à relancer des négociations qui sont dans les limbes.
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Donc la partition n’est pas certaine ?
Non. C’est l’une des dimensions paradoxales de cette guerre. En fait, très peu de dirigeants politiques à l’heure actuelle veulent une partition. Hemedti veut le pouvoir à Khartoum. Et si ça ne change pas à Khartoum, l’idée d’avoir une zone qui serait contrôlée militairement, ça serait une réalité militaire qui peut durer quelques années. On peut penser à la Côte d’Ivoire. Mais cette réalité n’aurait à terme pas de capacité de s’inscrire légalement et internationalement et d’être acceptée par tous les acteurs.
Alors d’un côté, le dirigeant zaghawa, Minni Arcou Minnawi, soutient le camp du général al-Burhan. Mais de l’autre, le président tchadien, Mahamat Idriss Déby, qui est lui aussi d’origine zaghawa, est soupçonné par beaucoup d’être proche du camp du général Hemedti. Est-ce que cela ne risque pas de créer des divisions au sein de la communauté zaghawa ?
D’abord, on peut dire que le président tchadien prétend à une neutralité et nie toute action de soutien au général Hemedti, autre qu’humanitaire. On peut se contenter de cette déclaration. On peut la remettre en cause. Il y a beaucoup de données qui permettent de remettre ça en cause. Mais surtout, ce qu’on voit, c’est que la politique du président tchadien a été une tentative de renationaliser les zaghawas. C’est-à-dire que les zaghawas constitue un groupe ethnique qui est sur la frontière. Et la politique du président tchadien a été d’essayer de montrer aux zaghawas tchadiens qu’il était peut-être de leur intérêt bien compris de se comporter en Tchadien beaucoup plus qu’en élément du groupe zaghawa. Est-ce que ça va marcher ? Il faut voir. Ce qu’on peut pronostiquer sans risque de se tromper, c’est le fait que mécaniquement le Tchad, comme la RCA d’ailleurs, va voir arriver dans les mois qui viennent des combattants armés qui seront de différents groupes arabes, ouaddaïens, zaghawas et autres. Et que ces gens-là vont arriver avec des armes, avec une énorme frustration sur ce qui s’est passé. Et la question qui sera posée, c’est ce que vont faire ces gens en arme ? Est-ce qu’ils vont faire un peu d’insécurité puis finalement retourner à une vie civile plus ou moins précaire ? Est-ce qu’ils vont se restructurer en groupe politico-militaire et régler des comptes ? Ce sont des questions qui sont posées aujourd’hui et qui évidemment devraient interpeller la région et également la communauté internationale.
Le général al-Burhan accuse les Émirats et le Tchad de soutenir les forces de soutien rapide. Est-ce que le chef de l’armée soudanaise peut être tenté de vouloir déstabiliser le régime tchadien ?
C’est un des paris qui est fait par certains opposants tchadiens qui sont allés à Port-Soudan, puisque c’est là où résidait le gouvernement et le général al-Burhan pendant de très longs mois. En espérant se remettre dans la situation des années 2000 où c’est le gouvernement soudanais qui largement finançait l’opposition politico-militaire, comme on dit au Tchad, pour, attaquer le régime au Tchad.
Et quelle est la parade pour le président Mahamat Idriss Déby ?
La première, c’est évidemment d’envoyer des troupes sur la zone frontalière afin de réduire le risque sécuritaire. C’est une option qui ne fonctionne pas forcément très bien, mais qui fonctionne un peu. Ça dépend des endroits de la frontière. Et puis l’autre option, c’est une option politique. C’est-à-dire que le Tchad retrouve une position qui avait été affirmée avec force au tout début du conflit, en avril 2023, de neutralité active. Pas au sens d’aider un camp contre l’autre, mais d’aider à une solution politique qui permettrait aux protagonistes du conflit au Soudan d’obtenir un cessez-le-feu. Ce qui est quand même une des exigences quand on voit la catastrophe humanitaire que représente ce conflit. Et puis d’aller vers des négociations plus politiques. Je crois qu’on en est très loin.
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