Savoir distinguer les putschistes aux idées claires, capables de porter leur patrie sur la rampe de la démocratie et du développement, des aventuriers qui s’emparent du pouvoir avant de commencer à improviser un avenir, pour eux, plutôt que pour leurs peuples…
Dans la crise existentielle que vit la Cédéao avec sa gestion des putschs et des régimes qui en sont issus, un paramètre supplémentaire vient d’être introduit par John Dramani Mahama, président du Ghana : il appelle à une reconnaissance de l’Alliance des États du Sahel par la Cédéao. A-t-il quelque chance d’être entendu ?
Dans cette communauté où certains chefs d’État ont une fâcheuse tendance à faire prévaloir leur agenda personnel sur les principes et objectifs communs, d’une manière ou d’une autre, il sera entendu. À quelques semaines de son demi-siècle d’existence, la Cédéao pouvait espérer mieux que cette confusion et cette cacophonie ! À la veille de sa tournée sahélienne, le dirigeant ghanéen avait reçu, à Abidjan, la bénédiction de son homologue ivoirien pour une ultime main tendue aux pays frères, visiblement dans l’impasse.
Le président Ouattara s’attendait-il à ce que John Dramani Mahama, interlocuteur nouveau et théoriquement neutre, déploie plutôt une stratégie personnelle, dans le seul intérêt du Ghana ? Probablement pas ! Mais, comment oublier que cet homme a déjà perdu le pouvoir, pour ses contreperformances économiques, et la chute vertigineuse du cedi, la monnaie ghanéenne ! Comme si cette cour maladroite qu’il fait aux pays enclavés découlait d’une envie irrépressible de mieux réussir, cette fois, en économie…
Faut-il croire le président du Ghana capable de sacrifier ainsi les règles et les principes de la Cédéao, dans l’intérêt de son seul pays ?
Aujourd’hui, tous les dirigeants peuvent tout sacrifier à l’économie. Le tort de la Cédéao a été de brandir les menaces et de déclencher les sanctions contre les putschistes de l’hinterland, sans en avoir mesuré les conséquences pour leurs voisins côtiers. Exportateurs de matières premières, les États du Sahel sont surtout importateurs d’une multitude de produits arrivant par l’océan, et pesant lourd dans le chiffre d’affaires des installations portuaires du Golfe de Guinée. Tout comme la petite économie des centaines de localités traversées jusqu’aux frontières du Burkina, du Mali et du Niger, transitaires et transporteurs routiers des pays de transit en profitent. Tous risquaient gros et ont, partout, beaucoup perdu. Au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Bénin, au Nigeria. Seul le Togo a ramassé la mise dans cette crise de la gestion des putschs par la Cédéao qui aura, au moins, montré l’intérêt d’une communauté économique, l’utilité d’une union douanière.
Pour le reste, sacrifier ses principes pour des gains économiques vous expose souvent au discrédit, sans même vous garantir les parts de marché convoitées.
Est-ce à dire qu’il faut craindre des conséquences pour la Cédéao, et pour John Dramani Mahama lui-même ?
En faisant passer les putschistes pour des victimes innocentes, le dirigeant ghanéen a passablement terni l’image déjà dégradée d’une Cédéao qui n’a fait qu’appliquer ses textes. Certes, elle n’a pas toujours montré le même zèle dans d’autres cas similaires. Mais, président d’une des démocraties les plus fiables d’Afrique, John Dramani Mahama ne pouvait s’autoriser cette apologie de fait, comme si la baïonnette pouvait se substituer au bulletin de vote ! Comme si cette épidémie de putschs n’affectait pas la crédibilité de cette communauté économique scrutée par les marchés financiers ! Cela est d’autant plus désastreux que ce qui se joue, ici, c’est aussi la signature des États. Y compris celle du Ghana, qui n’a pourtant plus connu de coup d’État depuis quarante-quatre ans.
Pour avoir, tour à tour, connu le pouvoir et l’opposition, alterné échecs et victoires par la seule volonté des électeurs, John Dramani Mahama n’avait pas le droit de se muer ainsi en chantre des putschistes. Et, même s’il devait en tomber amoureux, lui, qui doit ses premières responsabilités politiques à Jerry John Rawlings, devrait savoir distinguer les putschistes aux idées claires, capables de porter leur patrie sur la rampe de la démocratie et du développement, des aventuriers qui s’emparent du pouvoir avant de commencer à improviser un avenir, pour eux, plutôt que pour leurs peuples.
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