AboBatteries et photovoltaïque
Péril sur l’industrie européenne des technologies vertes
La faillite du suédois Northvolt et les difficultés du suisse Meyer Burger, leader dans les batteries et les cellules solaires, jettent une lumière crue sur le secteur.

Le siège de Meyer Burger, à Gwatt, près de Thoune (BE). Le groupe suisse a été contraint de fermer son usine de modules solaires de Freiberg, en Allemagne, et s’est délocalisé en Arizona. Mais les difficultés s’accumulent et son rachat est à l’étude.
Christian Pfander / Tamedia AG
- Le suisse Meyer Burger ferme des sites allemands et se tourne vers les États-Unis.
- Le suédois Northvolt en faillite après des échecs dans sa production en Europe.
- La domination chinoise fragilise les entreprises solaires et de batteries européennes.
- L’Europe doit soutenir sa production solaire pour rester compétitive.
En mettant la clé sous la porte, le suédois Northvolt ne condamne pas seulement son usine de production de batteries de Skelleftea, mais hypothèque les deux projets de site, l’un allemand, à Berlin, et l’autre canadien, dans la province de Québec. Panique à bord: les 10’000 emplois annoncés par l’ex-chancelier Olaf Scholz resteront sans doute une chimère, et la gigafactory québécoise demeurera dans les tiroirs.
Il y a une année encore, Northvolt, pionnier de la fabrication de batteries européennes, créé en 2016, faisait figure de leader dans sa branche. De même que le suisse Meyer Burger, dont le siège est à Thoune et les lignes de productions de cellules solaires à Thalheim, en Allemagne, acteur numéro un en Europe qui avait encore tous les signaux au vert en 2022.
Meyer Burger: annus horribilis
Ce dernier est pourtant aujourd’hui en pleines turbulences. Après la perte de soutiens publics allemands en raison du frein à l’endettement, Meyer Burger opte en 2024 pour les États-Unis, afin de bénéficier de l’aide de l’Inflation Reduction Act (IRA). Une usine de fabrication de modules est construite à Goodyear, en Arizona, mais le projet d’un second site dans le Colorado, pour la production de cellules, est brutalement stoppé l’an dernier. Un plan de restructuration était annoncé fin septembre, soit 200 licenciements en 2025 sur un total de 1050 employés.
Contacté, Meyer Burger précise que cela implique «la fermeture en 2024 du site de Freiberg, en Allemagne (ndlr: dévolu à la fabrication de modules et panneaux solaires), ainsi que la restructuration des sites suisses et la rotation naturelle des employés sur les sites allemands».
En mode survie
«Le redéploiement de Meyer Burger aux États-Unis ne s’est pas déroulé comme prévu», déplore Christophe Ballif, professeur à l’EPFL et directeur du Centre d’énergie durable du Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM) à Neuchâtel. Depuis le début de l’année, l’entreprise accumule les prolongements de financements relais et court de sursis en sursis.
Le dernier en date, portant sur un montant total de 72,8 millions de dollars qui arrivait à échéance le 10 mars, a été ainsi prolongé par un groupe de créanciers. Un processus de fusion-acquisition est en cours, mais les chances de rachat ne sont que de 50%, estimait récemment la Banque Cantonale de Zurich.
Northvolt: qualité insuffisante
Northvolt, pour sa part, avait levé 5,6 milliards d’euros. «Mais l’argent ne fait pas tout, encore faut-il produire des batteries de qualité, et en quantité suffisante», explique Andreas Hutter, chef du groupe Energy Systems et coresponsable du groupe Battery Systems, également au CSEM. Le groupe a acheté énormément de matériel et de machines en Corée du Sud et en Chine, mais sans mettre la main sur la technologie. «Il ne suffit pas de démarrer les machines pour fabriquer des batteries, il faut en connaître le fonctionnement, être capable de les modifier, de les réparer, etc.»
En résumé, il n’y a pas eu de transfert de savoir technologique. «Lorsqu’un problème survenait, les ingénieurs chinois effectuaient les corrections, mais hors de la présence des ingénieurs européens, puis repartaient», précise-t-il. Résultat, Northvolt plafonnait depuis 2022 avec un rendement de 50%, c’est-à-dire qu’une batterie sur deux seulement avait la qualité requise. «Alors que le taux pour une production de masse et de qualité doit être de 90% minimum», souligne Andreas Hutter.

Northvolt (ci-dessus la «gigafactory» de batteries de Skelleftea, en Suède) a été mis en faillite le 12 mars.
keystone-sda.ch
Il est également reproché à Northvolt d’avoir vu trop grand, trop vite, avec l’ambition de maîtriser toute la chaîne, y compris le recyclage des batteries. Lâché par ses principaux clients, BMW, puis le groupe Volkswagen (lui-même en grandes difficultés en Chine), Northvolt était quasi condamné.
Pékin a investi 100 milliards dans le solaire
Au-delà des différents facteurs qui ont amené Northvolt à la faillite et placé Meyer Burger en mode survie, tous deux sont victimes de plein fouet de la force de frappe chinoise. «Alors que nous imaginions la Chine sonnée par l’épidémie de Covid et peinant à s’en remettre, plus de 100 milliards de dollars ont été investis dans la production de cellules et de panneaux photovoltaïques», rappelle Christophe Ballif.
De plus, elle a accès au raffinage des matières premières, et les producteurs chinois peuvent les acheter à l’interne, à des prix inférieurs à celui du marché. «Les entreprises chinoises produisent environ 600 gigawatts de panneaux solaires par année, poursuit-il, et à des prix que l’Europe ne peut concurrencer.»
Absence de soutien européen
«La Chine soutient depuis longtemps son industrie solaire par des milliards de subventions et contrôle désormais l’intégralité de la chaîne de valeur solaire sur son territoire, explique pour sa part Meyer Burger. En Inde et aux États-Unis […], des mesures de politique industrielle ont été mises en place. Seule l’Europe continue de dépendre de la Chine.»
Prix imbattables
«Il est très difficile de combattre quand votre épée est plus courte que celle de l’adversaire», résume Andreas Hutter. Northvolt est emporté lui aussi par la toute-puissance asiatique. «Les nouvelles batteries au lithium-fer-phosphate, dites LFP, sont en surproduction en Chine, à tel point que les entreprises chinoises les écoulent au prix de 50 dollars le kWh, alors que le coût de fabrication est de 73 dollars. Il est impossible pour les entreprises européennes d’être concurrentielles dans ces conditions.»
«Une catastrophe»
Il reste d’autres gigafactories de batteries, comme ACC, en partenariat avec Stellantis, qui a mieux contrôlé le transfert de technologies, ou Verkor, avec Renault, mais dont la production n’a pas encore atteint le gigawatt heure. D’autres usines en Pologne et en Hongrie produisent bien sur sol européen, mais sont en mains chinoises.
«Les volumes de panneaux solaires comme de batteries en provenance de la Chine sont tels que c’est en soi une bonne nouvelle pour la transition énergétique et la planète. Mais pour l’industrie européenne, qui se bat sur des marchés de masse, c’est une catastrophe», regrette Christophe Ballif.
À ce stade, l’Europe doit trouver un moyen de soutenir une production interne, au moins pour 20% à 30% du marché, tant pour le solaire que pour les batteries. «Il y a encore de multiples compagnies qui pourraient grandir, ainsi que de nombreuses entreprises actives sur les marchés de niche», ajoute-t-il. Citons l’entreprise 3S, qui produit ses panneaux solaires à Thoune et à Worb (BE). «Il est donc aussi essentiel d’encourager les consommateurs à utiliser de tels produits, de qualité et fabriqués localement», conclut-il.
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