Voici ce que me disait, il y a quelques années, un Congolais rencontré à Lubumbashi et qui a longtemps vécu à Conakry : « Le Congo, c’est dix fois la Guinée : dix fois sa superficie, dix fois sa population, dix fois ses richesses, dix fois sa beauté, et dix fois ses malheurs. » Je n’en disconviens pas. Côté proportions, il n’y a pas match entre le Congo, ce géant de l’Afrique centrale, et la Guinée, l’un des petits Poucets de l’Afrique de l’Ouest.
Deux pays, un potentiel immense, une même désillusion
Il reste néanmoins que ces deux Cendrillons ont beaucoup de points communs. Ils sont l’un et l’autre le château d’eau de leur région et passent tous les deux pour des scandales géologiques. Leurs indépendances furent les plus flamboyantes, les plus emblématiques, les plus prometteuses, les plus décevantes aussi. D’un côté, Sékou Touré, l’homme du 28 Septembre, l’homme qui a osé dire non à De Gaulle, pour reprendre l’inusable dithyrambe des griots et des charlatans ! De l’autre, Lumumba ! L’un devint un tyran et l’autre, un saint. Mais tous les deux, en quittant ce monde, ont laissé leur pays au bord du gouffre ; le gouffre le plus abyssal revenant naturellement au Congo.
Violence d’État en Guinée, guerres sans fin en RDC
Si, des deux, la Guinée perd une quantité d’hémoglobine mille fois plus faible, cela ne tient pas seulement à la géographie, mais également à l’histoire. La Guinée n’a pas subi d’autre violence que celle de l’État guinéen lui-même. C’est d’ailleurs le seul pays d’Afrique de l’Ouest, malgré tout, à n’avoir jamais connu ni invasion, ni guerre civile, ni sécession, ni mouvement séparatiste. Alors que, de tout temps, le Congo indépendant a cumulé ces fléaux récurrents, auxquels il faut bien sûr ajouter la longue dictature de Mobutu, qui est une guerre à elle seule.
L’Indépendance (le 30 juin 1960) est suivie de près par la sécession du Kananga (11 juillet), puis par celle du Sud-Kasaï (20 août). Comme par hasard, les deux provinces les plus minières ! Pousser aux mutineries et soutenir la partition du pays, c’est la stratégie que choisissent la Belgique et ses alliés pour mettre des bâtons dans les roues du progressiste Lumumba. Une stratégie qu’ils mèneront à terme puisqu’ils feront assassiner Lumumba et finiront par imposer leur agent, Mobutu qui, pour ainsi dire, se mettra tout de suite à l’œuvre : 500 000 morts entre 1965 (année de son arrivée au pouvoir) et 1966, et rien que dans la province de Kisangani !
Le carnage ne s’arrêtera plus pour mille et une raisons et, à son point culminant, il flirtera facilement avec le million. Sous Mobutu, la répression, et après lui, les guerres, si nombreuses qu’on parle de première, de deuxième, de troisième guerre pour un seul et même pays ! Rien qu’entre 1998 et 2007, International Rescue Committee évalue à 6 000 000 le nombre de victimes, soit le conflit le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale.
Il est trop tôt pour faire le bilan des violences en cours (celle du Kivu et de l’Ituri), où l’on retrouve pêle-mêle le Rwanda, l’Ouganda, le M23, l’ADF et ce qui reste de l’armée congolaise. Mais il suffit de zapper sur sa télécommande pour avoir une idée de ce qui se passe en ce moment dans l’est du Congo, où les violences faites aux femmes et aux enfants passent pour une simple stratégie de guerre. Selon un organisme de l’ONU, une femme est violée toutes les 4 minutes. Quant aux enfants, ils sont si nombreux parmi les centaines de milliers de déplacés que pas moins de 2 500 écoles ont été obligées de fermer. Mais il n’y a pas que ça, il y a aussi les morts, 2 900 rien que le 28 janvier dernier, lors de la prise de Goma par le M23 !
À Découvrir
Le Kangourou du jour
Répondre
Les spécialistes avaient pronostiqué le Congo et la Guinée comme deux pays phares : l’un, la première puissance économique du continent, et l’autre, la seconde de l’Afrique de l’Ouest, juste derrière le Nigeria. Ils ont tout faux. La dérive est telle dans ces deux pays que ce sera bientôt comme en Haïti, où ce sont les gangs qui décident de la police et de la loi, assis sur le fauteuil de Toussaint et de Dessalines.
* 1986, Grand Prix littéraire d’Afrique noire ex aequo pour « Les Écailles du ciel » ; 2008, Prix Renaudot pour « Le Roi de Kahel » ; 2012, Prix Erckmann-Chatrian et Grand Prix du roman métis pour « Le Terroriste noir » ; 2013, Grand Prix Palatine et Prix Ahmadou-Kourouma pour « Le Terroriste noir » ; 2017, Grand Prix de la francophonie pour l’ensemble de son œuvre.
Crédit: Lien source