« J’espère que la justice va vraiment se saisir du sujet », après Bétharram, les témoignages d’anciens de l’Institution Saint Dominique de Neuilly affluent
D’anciens élèves de l’Institution Saint Dominique témoignent de violences commises de façon répétées par des professeurs et des prêtes de cet établissement catholique de Neuilly-sur-Seine. La révélation que l’ancien surveillant de Bétharram, surnommé « Cheval » a exercé pendant des années dans le lycée a agi comme un électrochoc.
Le surveillant surnommé « Cheval » par les élèves de Notre-Dame-de-Bétharram a-t-il ensuite sévi au sein de la très chic Institution Saint Dominique de Neuilly-sur-Seine, où Damien S. de son vrai nom, a exercé de septembre 1989 et juillet 1997 ?
L’Enseignement catholique des Hauts-de-Seine a adressé un courrier début mars à la communauté éducative et aux anciens élèves de l’établissement pour recueillir d’éventuels témoignages de victimes.
D’anciens élèves de « Saint Do » dénoncent aujourd’hui des violences. Début mars, ils ont créé un groupe Facebook pour recueillir la parole de ceux qui veulent s’exprimer.
Une trentaine de personnes ont raconté les violences commises par des enseignants ou des prêtres, allant des humiliations répétées aux violences sexuelles, et la peur que leur inspirait le fameux « Cheval ».
Le parquet de Nanterre a ouvert une enquête préliminaire « pour approfondir les informations et identifier les potentielles victimes ainsi que les personnes mises en cause », confiée à la brigade territoriale de protection de la famille du département, a indiqué le parquet.
Constance Bertrand, âgée désormais de 42 ans et scolarisée de 1994 à 1998 à l’Institution Saint Dominique de Neuilly-sur-Seine (au collège), est la seule qui a accepté de témoigner à visage découvert, pour que les victimes aient une porte-parole identifiée.
Quels sont vos souvenirs de ce surveillant surnommé Cheval ?
C B : On avait très peur lui. Il était censeur, c’est-à-dire que c’était le responsable de la discipline. Quand vous vous faites renvoyer d’un cours parce que vous avez été insolent ou pour une raison X ou Y, vous allez dans le bureau du censeur qui vous donne des heures de colle.
Ce dont on se souvient tous, c’est qu’il y avait des adultes tout-puissants qui avaient toujours raison, et les élèves, les enfants, venaient après. Il y avait un déséquilibre énorme.
Beaucoup me disent avoir vécu des injustices en permanence. Il fallait suivre et se taire. Il y avait un climat de peur. Certains diront qu’ils y ont vécu leurs meilleures années, mais ce n’est pas le cas de tous.
Ce dont je me souviens, c’est qu’il tirait les oreilles, les cheveux, prenait les garçons par les tempes. Il était moins violent avec les filles. Il y avait beaucoup de sexisme à l’époque.
Il y a 2 semaines, avec des anciens de « Saint Do », on a ouvert ce groupe Facebook. Les témoignages arrivent (une trentaine à l’heure de la publication de l’article) et nous sommes choqués.
D’autres personnes sont-elles mises en cause par ces témoignages ?
C B : Oui, une enseignante au primaire (l’enseignement va de la maternelle au bac dans cet établissement, ndlr) est revenue plusieurs fois.
Une femme nous a écrit ce témoignage : « Coups, dévalorisation, moqueries, humiliations, menaces : elle s’acharnait chaque année sur deux ou trois enfants en difficulté. Moi, je me souviens d’un énorme coup de poing répété sur ma tête. Elle est arrivée par-derrière sans que je la voie. J’étais en train de sortir un cahier. C’était d’une violence inouïe. Ça m’a fait tellement mal et peur que j’en ai fait pipi dans ma culotte. Vous pouvez imaginer la suite. Ça m’a traumatisée.
Mais quand je pense à certains enfants qui subissaient ce genre de choses plusieurs fois par semaine toute l’année, ça me glace. 4 ans plus tard, mon petit frère est arrivé dans sa classe. Il est devenu sa cible, il a vécu l’enfer. Il a fini par m’en parler et j’ai immédiatement averti mes parents. Elle disait à mon frère que s’il leur parlait, il leur arriverait quelque chose de grave. Mes parents sont allés se plaindre à la directrice qui a vaguement repris la prof, mais l’a finalement couverte. Des années plus tard, elle était encore là. J’ai appris par hasard, 15 ans après, qu’elle avait finalement été suspendue, car elle avait maltraité une petite fille dont la mère était avocate et qui a porté plainte. La petite avait carrément été blessée avec des séquelles irréparables à l’œil. »
Un professeur et un prêtre ont aussi été mis en cause ?
C B : Nous avons reçu plusieurs témoignages qui vont en ce sens, du même acabit, sur un enseignant.
Un ancien élève nous a raconté le témoignage suivant : « Jeanne devait faire un exposé. Il était obsédé par elle. On avait l’impression, je suis désolée de vous dire des mots comme ça, mais qu’il se branlait derrière son bureau, pendant qu’elle faisait son exposé« . C’était un enfant de CM2. À l’époque, il ne comprenait pas ce qu’il se passait.
Au collège, un ancien prêtre est aussi accusé de choses très graves. Il n’a pas été renvoyé, mais exfiltré assez vite. Il a été condamné en 2015 pour détention d’images pédopornographiques.
Quelle a été la réaction de l’établissement ?
C B : Je ne pensais pas du tout qu’on aurait autant de témoignages. On a ouvert cette porte pour que les gens aient l’opportunité et sachent parce que la direction de Saint Dominique n’a pas du tout communiqué sur ce sujet.
Au départ, c’est l’enseignement classique des Hauts-de-Seine qui a écrit un courrier adressé à la communauté éducative et aux anciens élèves. Mais aucun de nous ne l’a jamais reçu.
Ensuite, j’ai écrit à l’évêché. J’ai été reçu par l’évêque jeudi dernier. Sa réaction a été exemplaire. Il était, visiblement, très touché.
Je ne suis ni avocate, ni journaliste, ni psychologue. On a ouvert cette phase de parole. J’espère que la justice va vraiment se saisir du sujet.
Est-ce que ces faits sont isolés selon vous ?
C B : Il y a une omerta, il y a une volonté de cacher les choses. Le prêtre n’a été exfiltré de Saint Dominique que parce qu’un garçon a parlé à une de ses camarades de classe qui s’en est émue auprès de sa mère. Elle est allée voir la direction qui n’a pas pu faire autrement que d’agir. Mais quand les enfants eux-mêmes ont parlé, personne n’a bougé.
Il y avait vraiment une volonté de ne pas faire de bruit. Saint Dominique de Neuilly est l’un des meilleurs lycées de France dans les classements. C’était très important que la réputation de l’établissement ne soit pas ternie.
Mais je suis à 100 % sûre que si cela a pu avoir lieu à Saint Dominique de Neuilly, cela a pu avoir lieu partout ailleurs dans l’enseignement catholique. Il y a une culture du silence, du secret dans tous les établissements.
Pourquoi est-ce important que l’on parle ? Parce que les établissements comme Bétharram paraissent très lointains par rapport à Paris.
Nous, on était à Neuilly-sur-Seine, dans la ville la plus riche de France, dans les beaux quartiers, en pleine ville au vu et au su de tous. Il y avait des parents d’élèves qui étaient dans les écoles régulièrement, qui faisaient le catéchisme !
Des gens vivent depuis 30 ans avec des traumatismes, soit parce qu’ils ont vécu des choses, soit parce qu’ils ont vu des choses. Des gens qui ensuite ont sans doute eu des difficultés à se construire en tant qu’adultes.
« Nous redisons notre compassion pour les victimes et notre volonté claire : tout doit être mis en œuvre (…) pour que la parole soit libérée, que la lumière soit faite, dans une coopération sans réserve, sans restriction, avec les autorités publiques compétentes », ont réagi l’actuelle direction de l’établissement et celle de l’Enseignement catholique des Hauts-de-Seine dans un communiqué diffusé auprès de l’AFP.
Elles ont confirmé avoir reçu « plusieurs témoignages (…) pouvant mettre en cause des personnes ayant travaillé à Saint Dominique » mais n’étant plus en poste, qui ont été « portés à la connaissance » du procureur de Nanterre.
Sollicitée, l’Institution indique n’avoir eu aucune information ou connaissance des accusations mentionnées par ces témoignages avant ces récentes révélations, mais espérer que « toute la lumière soit faite ».
Les faits dénoncés sont « graves », a estimé la direction de l’enseignement catholique des Hauts-de-Seine lundi. « Ni violence sexuelle, ni violence psychologique, ni emprise, ni omerta, ni mépris, ni arrogance de quelque nature qu’elles soient n’ont de place dans nos établissements. »
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