quand les USA érigent les technologies en doctrine politique

L’engagement des dirigeants des groupes américains de la Tech aux côtés de Donald Trump contribue à l’avènement du technosolutionnisme, qui présente les technologies comme la réponse aux défis économiques, sociaux, environnementaux ou énergétiques.


Publié



Temps de lecture : 5min

Le technosolutionnisme défend l’idée selon laquelle l’innovation technologique peut résoudre n'importe quelle crise. (OLIVER BERG / DPA / MAXPPP)

Le technosolutionnisme défend l’idée selon laquelle l’innovation technologique peut résoudre n’importe quelle crise. (OLIVER BERG / DPA / MAXPPP)

L’entrée d’Elon Musk au sein de l’appareil d’État à Washington serait l’aboutissement politique d’un concept théorique : le technosolutionnisme.

Cette doctrine – le terme a été initié en 1994 par le chercheur américain Evgeny Morozov – défend l’idée selon laquelle l’innovation technologique peut résoudre différentes crises : économiques, sociales, environnementales ou même médicales. C’est, par exemple, le cas de ceux qui plaident pour l’injection de particules dans l’atmosphère afin de réfléchir les rayons du soleil en vue de lutter contre le changement climatique. Autrement dit, à chaque problème complexe, une réponse apparemment simple : la technologie y pourvoira.

Ce dogme a émergé au XIXe siècle, dès le début de l’ère industrielle, quand les ingénieurs travaillaient sur des solutions de dépollution à la sortie des cheminées des usines, plutôt que de se focaliser sur la limitation de la production de substances toxiques. Ainsi, la technologie est invoquée pour corriger les effets négatifs de situations qui, souvent, n’existeraient pas sans elle. Dans les années 1970, cela s’appelait l’écomodernisme.

Cette confiance dans la technologie encourage à ne pas modifier les comportements face à des circonstances contraignantes ou difficiles. Puisqu’il y a la conviction que le génie humain produira une innovation permettant de neutraliser l’impact, à l’instar du Deus ex machina, règle bien connue du théâtre classique où l’intervention d’un dieu ou d’un être surnaturel vient opportunément dénouer une situation dramatique. Dans le sillage de l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche, on trouve plusieurs entrepreneurs de la Silicon Valley comme Elon Musk, Peter Thiel, Marc Andreessen, Jeff Bezos, Mark Zuckerberg, Sam Altman ou Larry Page qui sont en phase avec cette approche idéologique.

Chacun d’eux a, dans son domaine respectif (le commerce, l’énergie, le transport spatial, les cryptoactifs, les services numériques de géolocalisation, de messagerie ou de contenus), réalisé en quelques années une rupture technologique lui permettant d’acquérir des parts de marché à l’échelle planétaire.

De quoi les inciter à régler tous les autres problèmes du monde grâce à leur créativité technique.

On est passé de travaux conduits par des ingénieurs dans des laboratoires, à des activités commerciales extrêmement profitables et lucratives, pour aujourd’hui les envisager comme des principes de gouvernance politique. À ce sujet, l’Institut français de relations internationales (IFRI) vient de publier – sous la plume d’un de ses chercheurs associés, Benjamin Pajot – une note très documentée qui s’interroge sur ce « solutionnisme technologique : vrais problèmes, fausses solutions ? ».

Premièrement, ces dirigeants d’entreprise peuvent évidemment agir par conviction, mais ils sont souvent également les promoteurs des offres commerciales de leurs entités respectives.

Deuxièmement, les grands défis majeurs, comme le changement climatique ou les crises énergétiques, sont des chantiers complexes qui impliquent une multitude de problématiques : gestion des ressources naturelles, traitement des déchets, coût environnemental, effets de bord sur l’écosystème, etc. Autant de matières qui ne peuvent se régler immédiatement par une réponse technologique unique.

Le risque est que l’échelon politique et la recherche publique soient de plus en plus tenus à l’écart de la connaissance scientifique, la seule qui permet d’apprécier et d’évaluer les options techniques prises pour résoudre les dysfonctionnements. Cantonner l’État à un rôle d’acheteur de solutions dont il ne maîtriserait pas forcément les mécanismes est un risque. Car on achète mal ce qu’on ne comprend pas bien.

Il ne s’agit certainement pas de rejeter, par principe, le recours aux technologies en elles-mêmes, mais de développer la connaissance technique des utilisateurs et des acheteurs, afin d’éviter l’acquisition de « boîtes noires » dont on ignorerait le fonctionnement. Il convient de toujours identifier les effets induits par l’adoption d’une technologie, et de ne pas se contenter de son application à courte vue. Cela oblige à envisager le contexte dans sa globalité au regard de la finalité visée, avec les conséquences sur l’environnement, sur les acteurs économiques et sociaux installés, sur le prix réel de la solution, sur la durée et l’impact pour les générations à venir.

C’est bien la prise en compte en amont de ces différentes dimensions qui permettra de dégonfler les utopies en matière de réponses technologiques universelles.


Crédit: Lien source

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.