L’échec de la tentative de retrouver les restes mortels du président Alphonse Massamba Débat (Tribune libre de Ouabari Mariotti)
Pendant le mois de mars, chaque jour renvoie quasiment à un anniversaire douloureux dans l’histoire de la Nation congolaise. En ce 24 mars qui correspond à la date de la condamnation à la peine capitale du président Alphonse Massamba Débat, peine exécutée le lendemain 25 mars 1977, le ministre Ouabari Mariotti revient, dans sa rubrique : « Terre des Légendes et des Lumières », sur la tentative de retrouver les restes mortels du président Alphonse Massamba. Voici son récit.
« Il s’en est fallu de peu pour que le Président Pascal Lissouba organise des obsèques nationales au Président Alphonse Massamba !
Avril 1997. Le Garde des Sceaux Ministre de la Justice de la République du Congo que j’étais, à l’époque, reçoit l’ordre du Chef d’Etat Congolais, le Président Pascal Lissouba, d’assurer la supervision d’une commission spéciale, dont la composition n’avait jamais été publiée, chargée de retrouver les restes mortels du Président Alphonse Massamba-Débat.
En effet, des suites de l’assassinat du Président Marien Ngouabi, le 18 mars 1977, à Brazzaville, le Président Alphonse Massamba Débat avait été condamné à la peine capitale par une cour martiale, instituée pour la circonstance. S’en suivra l’exécution de la sentence, le 25 mars 1977, et le corps du Président Alphonse Massamba Débat, non restitué à la famille pour la réalisation des funérailles.
Le manque de données fiables, même approximatives, sur le lieu où la dépouille du Président Alphonse Massamba Débat avait été enfouie, a complexifié le travail d’enquête de la commission. Celle-ci redoutant des apports inexacts, susceptibles d’entraîner de vaines, infructueuses et hasardeuses fouilles qui attireraient, en pure perte, l’attention et remettraient en cause tout le processus. La commission tablait sur des indices précis, cohérents et pertinents, pour éviter les ratés et, conséquemment, mener à bien les investigations. L’identification des personnes à entendre, pour établir l’exploration, était une autre paire de manche, encore plus compliquée. A ces difficultés s’ajoutait la frayeur qui remplissait les cœurs des membres de la commission dont l’imagination avait un impact considérable sur les peurs qu’ils pouvaient avoir, en raison de la sensibilité de l’affaire.
En mai 1997, près d’un mois avant les violences du 5 juin 1997, à Brazzaville, la commission ayant du mal à se mettre en route, le Président Pascal Lissouba , au cours d’un échange, dans son bureau, au sortir d’un Conseil des Ministres, m’a vertement exprimé sa déception, exigeant, de moi, plus de contention et davantage de bonne volonté pour augmenter les chances de réussite.
Au travers de la mise à jour des restes mortels du Président Alphonse Massamba Débat, le Président Pascal Lissouba misait sur deux desseins, l’un corollaire de l’autre, d’un symbolisme majeur, au nom de l’intérêt supérieur de la Nation. Pour la mémoire du Président Alphonse Massamba Débat, le Président Pascal Lissouba prévoyait l’organisation des obsèques nationales, à la hauteur de ce qu’a été, pour la Nation Congolaise, le Président Alphonse Massamba Débat. Par ailleurs, sans préjugés, sans a priori et sans aucune velléité de procédure judiciaire à l’encontre de qui que ce soit, le Président Pascal Lissouba, par cette initiative, ne rêvait que d’un renforcement de l’unité et de la cohésion nationales. Tous les Pays du monde en ont besoin.
Au moment où la commission spéciale, au regard des observations du Président Pascal Lissouba, allait requalifier sa méthode de travail pour mieux avancer dans l’exploration, sont arrivés les affrontements du 5 juin 1997. Les membres de la commission vont alors s’éparpiller, avec la cessation des activités des juridictions à Brazzaville. Le Président Pascal Lissouba s’expatrie, et, avec lui, la plupart des personnalités qui l’entouraient. J’en étais de celles-là. Sans compter ceux des Congolais qui avaient pris l’option de se mettre à l’abri d’éventuelles violences ou autres représailles. Le dossier de recherche des restes mortels du Président Alphonse Massamba Débat s’est alors, en conséquence, refermé, de lui-même, faute d’acteurs.
Les années de l’exil du Président Pascal Lissouba, en Angleterre et en France, je ne l’ai pas revu. L’occasion d’une rencontre avec lui m’aurait permis de lui avouer mon échec, dans le dossier des restes mortels du Président Alphonse Massamba Débat. Garant de l’unité nationale, le Président Pascal Lissouba avait à cœur de clôturer ce dossier comme Chef d’Etat en chaire. Tellement il y tenait.
Lorsque, le 24 août 2020, est annoncée la nouvelle du décès du Président Pascal Lissouba, la sensation de la souffrance morale que j’éprouvais de mon insuccès, dans le dossier du Président Alphonse Massamba Débat, s’est accrue en moi. Elle s’est accompagnée d’une expérience amère et frustrante. Mais j’avais la fierté d’y avoir tiré des leçons parce que convaincu d’avoir tenté de faire aboutir, avec abnégation et modestie, une démarche délicate, d’autant qu’il me semblerait qu’au moment où sont publiées ces lignes, cette intention du Président Pascal Lissouba n’ait jamais été relayée. Et Dieu seul sait si l’opinion congolaise ne partage pas cette intention.
Aux obsèques du Président Pascal Lissouba, le 31 août 2020, à Perpignan, dans le Sud de la France, j’ai été retenu par la famille Lissouba pour prononcer l’oraison funèbre, en hommage à l’illustre disparu, en la Cathédrale Saint Jean Baptiste de Perpignan. Devant le cercueil du Président Pascal Lissouba, recouvert du drapeau congolais, j’ai saisi l’occasion, dans mon for intérieur, pour demander pardon au Président Pascal Lissouba. J’estimais n’avoir pas, sous lui, totalement rempli mes tâches de Membre de Gouvernement, dont celle relevant du dossier des restes mortels du Président Alphonse Massamba Débat.
Je désirais obtenir du Président Pascal Lissouba, à titre symbolique, son indulgence. Je savais que le Président Pascal Lissouba était un homme qui cultivait l’humanisme et la générosité. Il savait pardonner. Je crois avoir été entendu par lui.
Nul, quel qu’en soit son grade, son statut et son rang social, n’étant à l’abri des vicissitudes de la vie, que là-bas, à l’Eternel Infini, à tout prendre, les Présidents Alphonse Massamba Débat et Pascal Lissouba reposent en paix.
Paris 24 mars 2025
Ouabari Mariotti
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