ces « radios communautaires » qui n’en sont pas

En République du Congo, l’appellation « radio communautaire » est devenue un terme générique, souvent vidé de son sens originel. Nombre de stations locales s’en revendiquent sans en respecter ni les fondements, ni l’esprit. Cette confusion persistante révèle un malaise plus profond : l’absence d’un cadre juridique clair et d’une culture partagée de ce que représente réellement une radio communautaire.

Alors que dans plusieurs pays africains comme le Cameroun, le Bénin, le Burkina Faso ou les pays de l’Afrique de l’Est, la radio communautaire constitue un pilier du développement local et de la démocratie participative, le Congo peine à se doter d’un modèle cohérent. Entre méconnaissance, instrumentalisation politique et dérive commerciale, les vraies radios communautaires sont l’exception plutôt que la règle dans le paysage médiatique congolais.

Une appellation souvent usurpée

Dans presque tous les départements du Congo — à l’exception notable du Kouilou et de la Cuvette-Ouest —, des dizaines de radios locales émettent quotidiennement ou en dents de scie selon la disponibilité de l’électricité. Mais beaucoup d’entre elles sont la propriété de personnalités politiques : ministres, députés, sénateurs ou figures locales influentes. A l’instar de Radio Enyelé, Radio Moka, Radio Betou dans la Likouala, Radio Munari à Mouyoundzi (Bouenza), Radio Souanké et Radio Sembé dans la Sangha, Radio Makoua-Penda dans la Cuvette. Pour ne citer que celles-là, les exemples étant légion à travers le pays. Leur programmation est souvent une pâle copie de celle de Radio Congo, ou se contente de relayer, à certaines périodes de la journée, des contenus de stations internationales comme RFI. Il est indéniable que ces radios rencontrent des fortunes diverses dans leur fonctionnement. En effet, un grand nombre d’entre elles ont cessé leurs activités.

Parler une langue locale ou émettre depuis une zone rurale ou semi-rurale ne suffit pas à faire d’un média une radio communautaire. Lorsqu’une station est contrôlée par un acteur politique et est mobilisée à des fins électorales ou clientélistes, elle devient un outil de communication personnelle ou politique, voire d’instrumentalisation des populations. Non un espace d’expression citoyenne et de développement local.

On trouve toutefois des exceptions : à Pokola, la radio Biso na Biso, aujourd’hui silencieuse, possédait un véritable statut juridique de radio communautaire. À Kinkala dans le Pool, la radio communautaire créée par le PNUD et confiée à la mairie avait au départ ce statut. Aujourd’hui, sa gestion par la municipalité soulève des interrogations : sans analyse de ses contenus, difficile de confirmer si elle mérite encore cette dénomination.

Un flou juridique entretenu par l’absence de normes

Sur le plan réglementaire, la situation est tout aussi problématique. La Loi n°8-2001 sur la liberté de l’information et de la communication, dans son chapitre III consacré à l’audiovisuel privé, ne distingue pas clairement les différentes catégories de radios : associatives, communautaires, commerciales, confessionnelles ou généralistes.

Le Conseil Supérieur de la Liberté de Communication (CSLC), organe de régulation, n’a jamais fourni de définition officielle des radios communautaires, ni établi de critères de fonctionnement spécifiques. Encore moins le ministère de la Communication. Cette carence contribue à entretenir une confusion préjudiciable pour l’organisation du secteur.

Le seul texte réglementaire évoquant les radios communautaires reste la décision n°17 du 06 décembre 2013, laquelle fixe uniquement les frais et taxes relatifs à l’établissement et à l’exploitation des services de communication audiovisuelle privés. Elle distingue deux types : Radiodiffusion sonore communautaire à vocation nationale ; Radiodiffusion sonore communautaire à vocation locale.

Mais sans précision sur les critères éditoriaux, la gouvernance participative ou le mode de financement, ces catégories restent purement administratives.

Des pratiques éloignées de l’idéal communautaire

L’analyse des publications existantes et l’entretien avec le Président du Réseau des radios communautaires du Congo, Godefroid Yombi, révèlent qu’il n’existe pas de nomenclature officielle reconnue. « Dans la plupart des cas, ces radios ne sont communautaires que de nom », regrette le président de réseau. Les radios membres du réseau fonctionnent de manière très hétérogène, souvent initiées par des individus — parfois avec de bonnes intentions, mais sans ancrage communautaire réel.

Leur seul point commun semble être l’usage de langues locales et leur implantation rurale. Par exemple, la Sangha compte près de 6 radios locales, la Likouala environ 8 (certaines ont déjà cessé d’émettre), et dans d’autres départements on en recense une à trois. Toutes sont considérées comme communautaires, sans l’être véritablement.

Lors des Assises de la presse congolaise, tenues du 25 au 28 octobre 2018 à Brazzaville, plusieurs recommandations fortes avaient pourtant été formulées pour remédier à cette situation. Parmi elles : l’élaboration d’un cadre juridique clair pour les radios communautaires, la mise en place de mécanismes de soutien institutionnel, et la promotion d’une formation spécialisée pour les équipes de terrain. Malheureusement, ces propositions sont restées lettre morte à ce jour.

Ce que doit être une radio communautaire

Il est essentiel de rappeler la définition reconnue par l’AMARC (Association Mondiale des Radios Communautaires) et l’UNESCO : une radio communautaire est un média à but non lucratif, géré par, pour et avec la communauté, visant à promouvoir le développement local, à donner la parole aux populations marginalisées, et à renforcer la participation citoyenne.

Elle repose sur : Une gouvernance partagée et transparente ; Une programmation en lien direct avec les besoins locaux ; Une ouverture à tous les groupes sociaux.          

Clarifier aussi la distinction entre radios communautaires (gouvernance participative, ancrage local, développement), associatives (souvent thématiques ou portées par des ONG), commerciales (recherche de profit), et confessionnelles (but religieux), serait salutaire.

Un potentiel immense, un encadrement urgent

Les radios communautaires peuvent être des acteurs puissants de transformation sociale. Elles diffusent le savoir local, alertent sur les catastrophes, favorisent l’éducation, la préservation de l’environnement, les droits des peuples autochtones, l’inclusion financière, ou encore l’autonomisation des femmes.

Mais au Congo, ce potentiel reste largement sous-exploité, freiné par : Le manque de financements durables ; L’absence d’appui technique et institutionnel ; Le vide juridique sur leur statut ; La captation politique.

Il est temps d’agir. Voici quelques pistes concrètes : Adopter un statut juridique spécifique avec des critères clairs ; Mettre en place un fonds d’appui public aux radios communautaires, géré de façon autonome ; Instaurer des comités de gestion communautaire rotatifs et inclusifs ; Renforcer la formation des équipes locales.

La radio communautaire n’est pas un label opportuniste ni une tribune électorale. C’est un espace de parole collective, de participation locale, de construction citoyenne. Le Congo gagnerait à lui redonner son vrai sens, en posant un cadre clair, équitable et protecteur. Il gagnerait aussi à soutenir matériellement ces radios (formation, équipements, accès à l’énergie).

L’enjeu est de taille : structurer un pan clé du paysage médiatique, et surtout renforcer la démocratie locale à l’échelle des villages, quartiers, districts et départements.

Le temps est venu d’un sursaut politique, réglementaire et éthique.

Par PRIVAT TIBURCE MASSANGA, Docteur en Sciences de l’Information et de la Communication,

Journaliste du développement/ Responsable Médias/Chercheur

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