Dominique Reymond, sensationnelle dans L’Amante anglaise

CRITIQUE – La comédienne, nommée aux Molières pour sa performance, porte à bout de bras le texte de Marguerite Duras dans la mise en scène d’Émilie Charriot aux Ateliers Berthier.

Un carré géométrique immaculé, deux chaises face à face, le fond du plateau des Ateliers Berthier de l’Odéon-Théâtre de l’Europe à nu. On s’apprête à assister à un combat. Côté jardin, debout près du premier rang, Nicolas Bouchaud observe le public, saisit son téléphone portable, fixe de nouveau les gens avant d’appuyer sur une touche.

Le comédien raconte alors un fait divers qui se déroula en 1981. Un Japonais tua, découpa une étudiante néerlandaise et la mangea. Puis il parle de Claire Lannes. Cette femme a toujours reconnu qu’elle avait assassiné sa cousine sourde et muette, dispersé des parties de son corps dans un train de marchandises qui passait à Viorne. Mais elle n’a jamais dit pourquoi et où elle avait caché la tête.

Les mystères de l’âme humaine

Marguerite Duras s’est longuement penchée sur un fait divers survenu en 1949 à Savigny-sur-Orge pour écrire L’Amante anglaise  (1967). Après la mise en scène en demi-teinte de Jacques Osinski incarnée par Sandrine Bonnaire au Théâtre de l’Atelier à l’automne dernier, Émilie Charriot s’empare à son tour de l’œuvre avec la virtuosité d’un Simenon et le désir premier de faire entendre le texte. « Sans décors ni costumes », avait indiqué l’écrivain qui avait rebaptisé son livre Le Théâtre de l’Amante anglaise en 1991. Son souhait est respecté. Les mots, les non-dits et les silences sont d’une importance capitale ici.

Dans la première partie, Nicolas Bouchaud, singulier Interrogateur, questionne d’abord Pierre Lannes, alias Laurent Poitrenaux (très juste) assis au milieu du public. L’homme n’a « rien vu ». Dans la seconde partie, cheveux attachés, visage pâle, en robe noire, Dominique Reymond entre sur le ring. Tout le monde l’attend. Claire Lannes est incapable d’expliquer son crime. L’Interrogateur n’a de cesse d’apprendre la vérité, de trouver les pièces manquantes du puzzle.

La salle est saisie par l’interprétation d’un trio hors pair, en particulier celle de Dominique Reymond. Elle vient d’ailleurs d’être nommée pour le Molière de la meilleure actrice. Fine mouche au sourire ambivalent, elle semble jouer avec l’Interrogateur, le provoquer, se moquer de lui. Derrière la brindille brune, la complexité de Claire Lannes face à son crime, détachement et bonne foi mêlés, est tangible.

Au bord d’une folie douce, inquiétante, elle tourne de temps à autre une tête d’oiseau vers les spectateurs, mais demeure une énigme. Le parti pris d’Émilie Charriot – sa direction d’acteurs, au plus près des intentions de Marguerite Duras – permet d’approcher les mystères de l’âme humaine. C’est fort !

« L’Amante anglaise », jusqu’au 13 avril, Ateliers Berthier (Paris 17e).

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