Emma Grivotte
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Au début d’une soirée dédiée à la cinéaste Dominique Cabrera, jeudi 27 juin 2024 au festival Les Filmeurs à Conteville (Eure), plusieurs films de la réalisatrice (dont Ici là-bas et Grandir) ont été projetés sous le chapiteau. Rester là-bas (1992) est un film documentaire alliant l’intime aux témoignages, sur les pieds-noirs restés en Algérie après son indépendance obtenue en 1962.
Alors toute jeune femme, Dominique Cabrera part sur les traces de ce pays perdu dont ses parents ont tant dit leur nostalgie. Son père lui a appris qu’un de ses grands-oncles y était resté après avoir caché « par humanité » un Algérien qui fuyait la police pendant la guerre d’Algérie. Avant la séance, la cinéaste a rappelé :
Pour moi, c’était un pays inconnu. Je nais dans une famille de pieds-noirs d’origine espagnole, nous faisions partie des petites gens. Je suis toute petite quand on arrive en France. J’ai connu les sentiments de déracinement et d’exil de mes parents, qui avaient une forte nostalgie de l’Algérie et qui ont eu beaucoup de difficultés à remonter la pente. Car les gens sont souvent allés en Algérie à cause de la misère, ils s’y réfugiaient dans l’espoir d’une vie meilleure.
Or, sur place, comme l’affirment les pieds-noirs des années 1990 interrogés dans le documentaire, les inégalités avant la guerre étaient très fortes entre Français et Algériens. « Nous étions 5 000 étudiants à Alger, dont 500 Algériens », se remémore l’un des protagonistes. Les deux groupes ne se mélangeaient pas. Ils sont alors un million de pieds-noirs, contre 8 millions d’Algériens.
Dans le documentaire, les Français interrogés adoptent différentes postures. Luc, jeune enfant pendant la guerre d’Algérie, ne se sent pas concerné par le passé, contrairement à l’ethnologue Fanny Colonna, naturalisée algérienne pour mettre à distance les crimes commis par le camp français.
Après la projection, un membre du public demande si la période de colonisation résonne selon Dominique Cabrera avec l’actualité des hauts scores du Rassemblement national : « Évidemment, j’y pense dans les jours que nous traversons, car il y a de l’étranger en moi, comme dans nous tous. »
« Je filme pour garder des traces »
La réalisatrice évoque aussi ses difficultés de tournage. Les autorités algériennes l’obligent à rester à Alger et beaucoup de pieds-noirs refusent de s’adresser à sa caméra. Conséquence, le documentaire ne montre pas tout.
Certains ne veulent pas voir qu’ils deviennent insupportables pour la société algérienne, et que le conservatisme religieux devient de plus en plus en fort.
La réalisatrice se trouve aussi être la seule jeune femme dans son équipe de tournage, « moi petite cinéaste qui essayait de commencer », et doit négocier avec ses collègues plus expérimentés.
Mais au fait, qu’est-ce qui a poussé Dominique Cabrera à faire des films ? « Je filme pour garder des traces, répond-elle. En les regardant, je me disais que tout le monde est décédé, mais mes parents, la manière qu’ils avaient d’être, c’est resté présent grâce à ces films. On filme contre la disparition. »
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