L’ancien garde des Sceaux Dominique Perben, en août 2020 à Paris. NICOLAS MESSYASZ/SIPA
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Entretien
« Le Nouvel Obs » a demandé à six anciens gardes des Sceaux leur opinion sur les pressions exercées sur les magistrats. En poste de 2002 à 2005, l’UMP Dominique Perben estime que, derrière les attaques contre les juges, la place croissante de la justice face aux autres pouvoirs doit être réfléchie.
La défiance actuelle envers la justice et les magistrats vous paraît-elle davantage exacerbée ou décomplexée par rapport au début des années 2000, quand vous étiez ministre de la Justice des gouvernements Raffarin ?
Dominique Perben Ce qui est nouveau, c’est le fait qu’il y a vingt ans, il était inconcevable de critiquer une décision de justice. Les hommes politiques commentaient. Ils débattaient. Depuis, deux phénomènes sont intervenus. La critique des élites est devenue générale. Désormais, dans un renversement général, celui qui sait est contesté et on interroge davantage celui qui ne sait pas que celui qui sait. Dans cette critique systématique des élites, les magistrats sont touchés comme les autres. Par ailleurs, la montée de la violence des débats dans notre société conduit au fait qu’on commence par ne pas respecter la fonction avant de s’opposer violemment à elle. Ce phénomène est celui qu’ont connu les professeurs, par exemple, face aux parents d’élèves. Commenter, critiquer une décision de justice est devenu banal.
Cette remise en cause se limite-t-elle à une expression politique, médiatique ou de l’opinion, ou se mesure-t-elle chaque jour dans les tribunaux et dans l’exercice de la justice ? Quel est l’indicateur le plus préoccupant à vos yeux ?
Tout cela est lié. Je suis convaincu qu’à l’occasion de la présidentielle de 2027, la question du pouvoir des juges se posera, notamment celle du rôle des cours européennes et de l’application directe, dans nos juridictions, des décisions des cours suprêmes européennes. Le citoyen s’interroge : la construction européenne a porté principalement sur les questions économiques et sociales. En matière régalienne, l’Union s’est constituée de manière prudente. La règle de l’unanimité s’applique toujours sur ces questions. La pratique judiciaire, elle, est allée beaucoup plus loin que ce qui était prévu dans les traités à travers de ce qu’on appelle le « dialogue des juges » [le partage de jurisprudence entre les juges européens, NDLR]. On nous dit que ce serait l’Etat de droit et qu’il ne pourrait pas en être autrement dans une démocratie mais ce n’est pas vrai. Le problème de l’application directe des décisions européennes par les juridictions françaises se posera.
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L’institution a-t-elle sa part de responsabilité dans cette montée de la défiance ?
Il peut y avoir des torts partagés. Je me souviens d’avoir été auditionné il y a quelques années par le CSM [Conseil supérieur de la Magistrature] après les affaires d’Henri Guaino [député des Yvelines entre 2012 et 2017, auteur d’attaques significatives contre les magistrats, notamment ceux qui étaient chargés des dossiers Sarkozy]. Cela ne leur avait pas plu, mais je leur avais dit que des critiques émergent en réponse à des excès. Et j’avais précisé qu’à partir du moment où le juge entre sur le terrain politique, il ne faut pas qu’il s’étonne, après, de prendre la porte dans le nez.
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Quelle réaction s’impose ? Comment faire ?
Nos cours suprêmes sont allées trop loin. S’il y a un concept à développer, c’est peut-être par le mot de prudence. L’actuel vice-président du Conseil d’Etat [Didier-Roland Tabuteau] a récemment expliqué que « si la norme est complexe, c’est souvent parce que la société est plus complexe, les attentes plus diversifiées. Et si les normes sont très complètes, très détaillées, ce n’est pas parce qu’il y aurait un fonctionnaire déraisonnable dans un ministère ou un juge mal intentionné, c’est parce qu’en général il y a un groupe social, politique ou économique qui a demandé que l’on précise, que l’on encadre, que l’on interdise ». Ces mots suggèrent simplement que les juges soient raisonnables. La plupart le sont mais tous ne le sont pas, ce qui provoque ces débats.
Par ailleurs, j’ai toujours été favorable, lorsque j’étais au ministère, à dire à l’institution qu’elle avait tout intérêt à se faire mieux connaître. J’ai amené les procureurs à parler. Avant, ce sont les syndicats de police qui le faisaient quand il y avait des faits divers. De même, il faut ouvrir les prétoires à la télévision pour montrer les procès en cours. A montrer la complexité, comme on le fait avec les jurés, on avance.
Justice sous pression, paroles de gardes des Sceaux
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